Alec Krynn La Vertu du Péché Evranesh

Evranesh

Ils marchèrent durant toute la journée, traversant le long plateau sur lequel reposait le Pilier d’Orixaryl. Le lendemain matin, après une nuit calme et sans lune, ils bifurquèrent en direction du Sud-Ouest et descendirent une série de collines giboyeuses où ne poussaient guère plus que des rocailles jonchant l’herbe sèche. Ils déambulèrent avec un grand luxe de précaution afin d’éviter tout accident, évoluant au ralentit avec pour seul point de repère d’étranges arbustes épineux éparses, émaillant le paysage de leurs branches nues et stériles d’une surprenante teinte aigue-marine. Sherald ne put s’empêcher de prélever plusieurs d’entre elles à l’aide d’un couteau grossier de facture épouvantable.

Cortez grommela lorsque son pied rencontra une énième roche et qu’il y abîma sa botte tout en meurtrissant ses orteils. Homme de la mer et friand des immenses espaces s’étendant à perte de vue, il abhorrait ses sols traîtres et inégaux sur lesquels florissaient, avec une cruelle malice, tout une cohorte d’obstacle prenant un malin plaisir à le faire trébucher. Envie posa une main apaisante sur son épaule et le rat en profita pour trotter sur le bras de la Déesse.

— Tu es à cran depuis l’autre jour, fit-elle remarquer avec inquiétude. Souhaites-tu m’en parler ? Je sais faire preuve d’écoute et je serais en mesure de t’apporter quelque réconfort.

— Non, lâcha l’escroc d’un ton sec et bougon. Mes états d’âmes ne concernent que moi et je ne souhaite pas les partager avec quiconque, encore moins avec un être tel que toi.

L’expression d’Envie changea en un éclair et son sourire compatissant se mua en une grimace. Ses yeux verts retranscrire, avec une poignante fidélité, le mélange de rage et de tristesse provoqué par la réponse acerbe de son interlocuteur, lorsqu’ils s’étrécirent à la manière d’un chat visualisant sa proie. Elle déploya des tentacules de pouvoir imperceptibles et se prépara à les envoyer se fracasser contre les défenses mentales du grossier personnage. Sans effet sur une Déité, sa fureur pouvait réduire un humain à l’état de légume si elle déployait suffisamment de puissance dans l’acte. Elle se concentra et modela son assaut. Elle allait déchiqueter ce balourd, faire de lui un exemple. Son regard se fit dur et elle se prépara. Le rongeur poussa un cri strident et elle changea de cible au dernier moment, choquée. Elle pulvérisa un arbuste non loin dans un fracas assourdissant. Les compagnons se retournèrent et observèrent les branchages choir des cieux, comme si les nuages s’étaient soudainement mis à cracher du bois. Leonhart lui lança un regard perplexe et un rictus se dessina sur ses lèvres. Envie se rapprocha de Cortez et Jingles sauta sur son propriétaire. Elle l’observa avec stupéfaction, se demandant si son esprit lui avait joué un tour pendable ou si le mammifère l’avait réellement traité d’idiote.

*

Le lendemain matin, Sherald se plaignit de douleur au bras et présentait une curieuse tâche noirâtre ressemblant à un bleu. Athlin lui appliqua une pommade épaisse, diffusant une forte odeur d’anis, et lui assura que la commotion se résorberait d’ici quelques jours. Leonhart menait la marche, tout en consultant une carte jaunie qu’il tira d’un étui de cuir ornementé de fines runes d’argent. Il la consulta du doigt et la partie touchée se mit à luire comme si elle allait soudain s’embraser. Il poussa un soupir et rangea l’artefact dans sa protection. Il avait espéré trouver un autre chemin, pouvoir contourner cette zone en empruntant le lit de l’Antissis. Hélas, les récentes intempéries tombées en amont avaient provoqué une violente crue du fleuve et tout passage était à proscrire. De telles averses n’étaient pas coutumières à la région durant cette période de l’année et cette coïncidence survenait au pire moment. Il semblerait que l’univers souhaite les voir traverser l’Evranesh. L’univers ou autre chose...

*

— Jamais je n’aurais cru voir un lieu d’une telle pureté, s’extasia Athlin en caressant du dos de la main une jonquille d’une perfection inimaginable. Regardez, tout est si calme et magnifique ici… J’aimerais ne jamais en partir !

Le guérisseur marchait dans un champ de fleurs qui s’étendait à perte de vue. Une odeur à tomber par terre emplissait ses narines, tandis qu’un vent agréable jouait dans ses cheveux. Une nuée de papillons aux ailes couleurs pastelles passa à proximité de Leonhart, qui les chassa d’un geste de la main.

— Ne dis pas une telle absurdité, répondit Delilah qui ne goûtait pas à l’aspect onirique du lieu. Nous sommes à Evranesh, c’est un lieu maudit entre tous.

— Quelle est cette sottise ? interrogea Cortez en observant son environnement, avisant au loin un somptueux cervidé dont la robe d’un blanc de neige s’illuminait sous le soleil au moindre de ses mouvements.

La créature tendit un instant sa tête longiligne dans sa direction et ses deux paires de bois d’ébène se dressèrent haut sur son crâne, avant qu’elle n’émette un son mélodieux et s’échappe tel un songe intangible, se soustrayant à la vue du corsaire en un éclair.

— Elle a raison, coupa Envie avec une gravité qui lui était inhabituelle, elle d’ordinaire si nonchalante était à présent sur ses gardes ici, comme si elle redoutait d’être attaquée à tout moment. Nous ferions mieux de nous hâter.

La troupe évolua entre les végétaux et ils croisèrent nombre de créatures à la grâce remarquable. Tout était si parfait, tellement empreint de beauté et de perfection que même Athlin finit par se sentir oppressé. Tandis qu’ils accéléraient le pas, Sherald lança un regard vers le lointain et désigna le soleil, qui avait d’ores et déjà amorcé sa descente derrière la ligne d’horizon et ne tarderait pas à disparaître, privant le monde de sa lumière.

— C’est inutile, fit remarquer Leonhart avec gravité en avisant l’infinité de fleur les entourant et menaçant de les submerger. Jamais nous ne serons sortis d’ici avant la tombée de la nuit. Restons sur place et allumons un feu. Il se pourrait bien que nous en ayons terriblement besoin dans les heures à venir.

Delilah se servit de son espadon pour faucher les herbes hautes et les fleurs sans distinction, avec une hâte confinant à la frénésie. Athlin et Envie cherchèrent des pierres qu’ils disposèrent en cercle, puis le magicien incanta et une brassée de bois apparut au centre, avant de s’embraser avec un crépitement joyeux.

— Que se passe-t-il ? demanda Sherald avec panique tandis que Cortez se plantait à côté de lui.

Envie eut un rire méprisant.

— Nous nous trouvons à Evranesh, répéta-t-elle avec lenteur comme si elle s’adressait à des esprits particulièrement lents.

C’est à ce moment précis que l’astre solaire disparut et que les ténèbres s’abattirent sur eux. Les fleurs pourrirent sur pieds, tandis que les herbes se ratatinèrent à une vitesse ahurissante.

— L’Eden Infernal, murmura Delilah avec effroi.

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7 commentaires

Véronique Rivat

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Il y a 5 ans

Ouh la la ! Dans quel monde sommes nous transportés ? On dirait un de mes chapitres !

Caro Handon

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Il y a 5 ans

C'est toujours un plaisir de suivre votre troupe dans ses aventures :D

Arielle Rock

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Il y a 5 ans

Un très bon chapitre !

Alec Krynn

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Il y a 5 ans

Merci beaucoup 😊

Sissy Jil Adan'S

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Il y a 5 ans

Ouhhh voilà qui devient intéressant ^^ le rêve qui vire au cauchemar le paradis qui se transforme en enfer. Hate d'avoir la suite !

Alec Krynn

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Il y a 5 ans

Merci d'être toujours assidue dans ta lecture 😚 La suite est en préparation, elle arrivera bientôt mais après il faudra patienter le temps du déblocage ^^
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