Fyctia
Froid d'outre-tombe
Des cadavres percèrent la terre et remontèrent à la surface, leurs sourires moqueurs braqués sur les vivants. Des racines flétries et tortueuses s’échappaient de leurs orbites creuses, reliquat des magnifiques fleurs les entourant quelques instants auparavant. L’atmosphère se fit lourde, le ciel auparavant dégagé se couvrit d’un épais voile noir.
— Les Ténèbres sont sur nous ! glapit Delilah, les yeux écarquillés d’horreur.
Un vacarme assourdissant s’éleva sur leur droite et Cortez recula instinctivement lorsqu’il reconnut le bruit caractéristique des sabots piétinant le sol en cadence. Une volée de cavaliers, vêtus de tuniques de cuir sombre et brandissant des torches, montait des destriers décharnés auxquels manquaient de larges lambeaux de peau, mettant à nue une chair noire et depuis longtemps putréfiée.
Ils changèrent de direction au dernier moment et les cavaliers, aux visages dissimulés par des capuches, chargèrent les compagnons. Delilah bondit face à l’homme de tête et y opposa son espadon en serrant les dents, se préparant au choc spectaculaire de la monture s’opposant à sa gigantesque lame. L’animal se rapprocha inexorablement d’elle, elle perçut la bave brunâtre s’écouler de sa bouche tandis que les mors entaillaient avec cruauté la commissure de ses lèvres.
La mercenaire se figea en hurlant lorsque monture et cavalier passèrent à travers son corps. Le reste du groupe se décala sur le côté pour esquiver le passage de la horde. Ils contemplèrent, impuissant, une bonne dizaine d’apparition traverser leur camarade.
— Des spectres, remarqua Envie avec mauvaise humeur. Des échos du Passé. Une terrible magie est à l’œuvre ici.
La Déesse se renfrogna. Ici, en ce lieu maudit, elle n’avait aucun pouvoir, pas la moindre prise sur les événements qui se dérouleraient. Elle détestait ne pas avoir le contrôle, se sentir faible et démunie. Humaine.
Leonhart s’approcha avec circonspection de Delilah. Il connaissait les rumeurs sur l’Evranesh et s’était attendu à tomber sur des esprits malveillants. Grand érudit, il connaissait bien ces engeances, des esprits du passé, forcés de rejouer inlassablement la même scène jours après jours, saisons après saisons, réinterprétant leur terrible pantomime jusqu’à ce que le Temps lui-même finisse par les oublier.
Delilah grelottait sur le sol, ses yeux écarquillés fixant le ciel d’ébène qui la surplombait. Jamais elle n’avait voulu fouler cet endroit cauchemardesque. Pourquoi avait-il fallu qu’elle se laisse persuader ? Elle sentait le froid d’outre-tombe s’insinuer dans ses veines, la Mort remontant telle une lente agonie en direction de sa poitrine. Ses membres étaient d’ores et déjà paralysés, sa bouche engourdie ne lui répondait plus et ses lèvres étaient scellées, l’empêchant d’hurler son effroi. Elle sentit le mal s’approcher dangereusement de son cœur. Elle se sut perdue.
Le gel atteignit son cœur qui se serra convulsivement. Elle eut l’impression qu’il allait éclater dans sa poitrine et elle en vint à l’espérer tant l’expérience indicible la mettait au supplice. Elle perdit l’usage de ses yeux et les ténèbres l’enveloppèrent. Son organe vital émit un ultime battement avant de s’immobiliser. Elle hurla en elle-même et sentit sa conscience se déliter, tandis que son cerveau se mourait faute d’oxygène. Elle cessa de se débattre, trop affaiblie pour lutter contre l’inéluctable. Son ultime pensée allât à son défunt époux.
*
Delilah sentit une intense chaleur se déverser en elle et ses yeux s’ouvrirent pour découvrir le visage de Leonhart collé au sien, leurs lèvres s’unissant en un baiser chaste et pourtant d’une incroyable sensualité. Le magicien caressa sa joue et leurs bouches se séparèrent. Elle remarqua l’aura flamboyante entourant les lèvres du sorcier, avant de se rendre compte qu’elle était en vie.
— Ça c’est un baiser ! fit remarquer Cortez rêveur. Moi qui pensais être celui qui l’embrasserait, me voilà doublé !
— Ne soit pas si jaloux, rétorqua Leonhart avec l’ombre d’un sourire. Il ne s’agit que d’un baiser pour tromper la Mort. J’ai sacrifié avec joie un peu de moi-même pour lui insuffler de ma chaleur afin de chasser le gel mortel de son corps. N’y voit nul ombrage Delilah, tu es une femme magnifique mais d’ordinaire ce ne sont pas les demoiselles que j’aspire à embrasser.
La mâchoire d’Athlin faillit se décrocher lorsqu’il comprit le sens des mots. Cortez pouffa de rire devant sa réaction et Envie lui offrit une moue radieuse. Delilah remercia avec chaleur son sauveur et se pencha pour se saisir de son arme qu’elle sangla dans son dos avec raideur. Elle trébucha et Sherald s’avança pour lui offrir son bras. S’attendant à être repoussé, ses joues prirent une teinte écarlate lorsqu’elle accepta. Sa longue tresse caressa l’épaule du jeune homme et il n’osa la regarder alors qu’elle le remerciait de son geste.
Ils se remirent en route et suivirent les traces de la horde spectrale. Ils rattrapèrent les cavaliers au bout d’une demi-heure et tombèrent sur une scène insoutenable. Un hameau de quelques dizaines d’âme était pris d’assaut, des villageois désarmés courant en tous sens pour sauver leurs vies, tandis que leurs maisonnettes de chaumes et de bois flambaient gaiement.
— Pourquoi agissent-ils ainsi ? remarqua Athlin avec tristesse. Regardez ces pauvres masures, ses gens ne possèdent vraisemblablement rien. À quoi rime tout cela ?
— Parce qu’ils le peuvent, se contenta d’affirmer la déesse avec froideur. Ils n’ont rien à gagner, ils désirs simplement démontrer leur supériorité, se parfaire dans un acte bestial et cruel pour assouvir leurs sombres pulsions.
Envie se rappela ses moments durant lesquels, elle-même avait perdu l’esprit et avait laissé libre court à ses sombres instincts. Sans égard pour la valeur d’une vie, elle avait massacré de simples voyageurs et des guerriers aguerris au gré de sa nature imprévisible et de son humeur du moment.
Ils assistèrent à la scène, impuissant. Les sinistres cavaliers traquaient des villageois en paniques, hurlant pour qu’on les épargne. Aucun cependant n’eut cette chance. Les pilleurs les traquèrent sans pitié et les fauchèrent en pleine course. Des enfants tombés à terre furent piétinés, sans le moindre égard, par les lourds sabots ferrés des montures de guerre, sous les rires gras des mécréants. Une jeune adolescente en larme parvint à fuir et se dirigea au bord du lac situé non loin. Elle ne remarqua pas l’homme qui fondit sur elle et qui bondit littéralement de sa monture pour la plaquer au sol avec force tandis qu’elle hurlait. Les cris de la demoiselle et les râles rauques de l’homme ne laissèrent aucune place à l’imagination. Une fois son affaire terminée, il éventra la gamine qui se mit à ramper en direction de l’eau tout en tentant de retenir ses entrailles d’une main.
Les compagnons suivirent l’apparition fantomatique et réalisèrent soudain que la jeune fille était debout, dos à eux.
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Michbonj
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Alec Krynn
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Lyaminh
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Véronique Rivat
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Luna_Dagird
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Sissy Batzy
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