Alec Krynn La Vertu du Péché Miséricorde

Miséricorde

Perturbée par les révélations macabres de Sherald, la compagnie évita autant que possible la présence de Marcus. Fort heureusement, le maître des lieux était bien trop affairé pour se rendre compte du manège orchestré par ses invités. Delilah croisa sa route par hasard et se contenta d’un salut poli auquel il ne prêta pas attention.

La nuit se déroula sans incident majeur. Cortez continua de décuver, au grand dam d’Athlin qui du subir ses ronflements intempestifs. À bout de nerf, il finit par enfouir sa tête sous son oreiller dans un vain espoir d’étouffer l’atroce cacophonie. Les deux filles partageaient la même chambre dans laquelle trônait un lit imposant. Les rires résonnèrent durant de nombreuses heures à mesure qu’elles échangèrent leurs secrets intimes telles deux adolescentes. Leonhart, quant à lui, partageait la sienne avec Sherald. Le regard suppliant du jeune serviteur avait fait vaciller le cœur du taciturne personnage. Tout à ses réflexions, il lui laissa la jouissance de sa couche et s’installa sur un fauteuil sans confort. Il se remémora son ancien mentor, la gloire et l’aura indubitable qui l’avaient époustouflé lors de leur rencontre. Comment avait-il pu choir de la sorte ? Il ressentit une profonde tristesse l’envahir. Le sentiment ne fit qu’enfler durant les heures qui suivirent et sa détermination y puisa un terreau fertile. Il savait ce qu’il avait à faire.

L’aube trouva les compagnons prêts à prendre la route. Cortez avait repris ses esprits tandis qu’Athlin avait le teint frais d’un poisson gisant en plein soleil. Il jeta un regard dur à la source de son insomnie qui lui offrit une révérence d’une exquise politesse, inconscient du tourment infligé à son camarade.

Envie et Delilah arrivèrent ensemble. Bien que n’ayant presque pas fermé l’œil de la nuit, elles affichaient un sourire radieux et une mine reposée. Les deux garçons les saluèrent et elles répondirent avec chaleur avant de s’entre-regarder. La Déesse lui fit un clin d’œil et Delilah ne put empêcher le rouge d’envahir ses joues. Elle détourna son regard avec gêne sous l’air dubitatif d’Athlin, ainsi que les regards interrogateurs de Cortez et de son rongeur qui observait la scène, ses moustaches frétillantes avec intérêt. Delilah se prit d’un intérêt soudain pour un candélabre mural et s’attela à son étude minutieuse afin de se soustraire à l’observation des deux garçons. Cette nuit rejoindrait dans sa mémoire celle passée avec Pasquino au sommet de cette tour il y a si longtemps. Envie lui avait fait découvrir une facette d’elle-même qu’elle avait ignoré jusqu’alors. Bien qu’elle fût consciente que l’expérience n’avait pas d’autre valeur que son expérimentation, elle n’oublierait jamais la tendresse des lèvres de la Déesse, pas plus que la sensualité de ses caresses ou l’expertise indéniable de ses doigts fuselés. Bien qu’elle ne résonnât pas à son pouvoir, la nuit précédente Envie fut sa muse, sa reine, la déité à laquelle elle se vouât corps et âmes. Son pouvoir l’avait envahi et elle s’était abandonnée avec délice à ses charmes.

Sherald descendit à son tour et s’inclina avec timidité.

— Leonhart n’est pas avec toi ? s’enquit Athlin avec un froncement de sourcil en repensant à l’étrange requête du mage.

— Il est avec Marcus, lui apprit-il avec assurance. J’ignore de quoi ils peuvent bien s’entretenir. Sans doute évoquent-ils le passé et ce genre de racontars prend toujours une éternité. Je ne serais pas surpris si jamais il ne revenait pas avant que…

Un bruit de pas résonna dans l’escalier. Le son produit était lugubre et la cadence lente et déterminée ne laissait pas le moindre doute sur la personne qui descendait. Leonhart apparut et son expression indéchiffrable glaça les sangs du jeune homme qui essaya de se faire le plus discret possible.

— Sherald, tu viens avec nous, annonça-t-il d’un ton ne souffrant aucune réplique. Marcus te donne sa bénédiction. Nous partons sur le champ, si tout le monde est d’accord.

Il observa le visage de la déité qui hocha la tête pour confirmer son assentiment. Elle apprécia qu’il reconnaisse son statut et qu’il n’outrepasse pas sa condition de mortel en supplantant son autorité divine. Soulagé de quitter cette tour maudite dans laquelle il avait passé de trop nombreux mois à effectuer la crémation de cadavres, Sherald les mena à la sortie avec bonne humeur. Combien de temps qu’il n’avait pas sentit la caresse du soleil sur sa peau ? La fraîcheur du vent sur sa nuque ? Il ne saurait le dire.

— Quelle direction prenons-nous ? interrogea Cortez en effectuant un tour complet sur lui-même en tendant les bras de chaque côté de son corps comme pour embrasser l’air matinal. Marcus a-t-il donné une indication sur la route à suivre ?

— Non, il n’a été d’aucune aide hélas, dévoila le mage avec dépit. Fort heureusement, notre nouvel ami a un grand oncle qui…

— Un grand-père Messire, corrigea Sherald qui se ratatina tandis que Leonhart levait les yeux au ciel, avant d’éclater de rire devant sa déconfiture.

— Un grand-père, donc, qui était un fervent adepte de Tempérance. Nous prenons donc la direction du Sud jusqu’à l’Evranesh.

Un silence pesant accueillit la déclaration. Si Cortez se contenta de hausser les épaules, Delilah devint livide.

*

Penché à la plus haute fenêtre de son bastion, Marcus observa les humains et la Déesse quitter son antre comme il aimait à l’appeler. Son regard se fixa sur la silhouette de Sherald et il ressentit une colère fugace, rapidement remplacée par un sentiment de manque cuisant. Ce jeune idiot incompétent lui manquerait, il n’en avait que trop conscience. Sans doute ne l’avait-il pas traité comme il l’aurait dû, mais il était trop tard pour les excuses à présent. La discussion avec Leonhart l’avait surpris et même s’ils avaient échangé des banalités, il se sentit heureux qu’il ait prit la peine de lui dire au-revoir.

Il avait encore tant à faire. Le besoin inextinguible de compréhension était devenu obsession au fil du temps. À présent, il ne faisait plus rien d’autre que rechercher la compréhension, et, bien conscient que la folie gagnait du terrain, il ne parvenait à se résoudre à l’échec. Son regard se fixa sur une bouteille au contenu doré. De l’ambroisie de Dishen, l’un de ses péchés mignons. Juste un verre, ensuite il reprendrait ses expérimentations.

*

Leonhart ne regrettait pas son geste. En guérisseur chevronné, Athlin connaissait les poisons sur le bout des doigts. À la suite de ses instructions, son comparse lui avait concocté une dose de Khucine, un poison inodore et dépourvu de goût, qu’il mélangea dans la boisson que son mentor affectionnait tant, ce breuvage doucereux fabriqué par les moines Dishenian. Rapide et sans douleur, Marcus tomberait, foudroyé, sans se rendre compte de ce qui lui arrive. Une fin rapide et miséricordieuse, voilà le seul cadeau que l’aîné des Haerton pouvait offrir à son ancien mentor, son vieil ami.

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6 commentaires

Véronique Rivat

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Il y a 5 ans

Il valait mieux que ça finisse comme ça (déjà liké et partagé)

Véronique Rivat

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Il y a 5 ans

Un petit + 3 pour te débloquer 😉 je poursuis ma lecture en attendant d'en arriver là !

Alec Krynn

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Il y a 5 ans

Merci beaucoup mon héroïne 😄

Sissy Jil Adan'S

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Il y a 5 ans

Oh triste fin pour son vieil ami qu'être empoisonné :(

Alec Krynn

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Il y a 5 ans

Et oui, mais sa fin aurait été tout aussi triste de le laisser devenir de plus en plus fou en tuant inlassablement ses doubles dans une quête vaine 😔

Marie-Eve Tries

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Il y a 5 ans

Il me faut des likes sur Calliburnus...
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