Fyctia
Le Brisé
Groggy et souffrant de maux de tête atroces, Cortez trouva cependant la force de grimacer. Il reconnut l’odeur de putréfaction, cette senteur de mort si particulière, odieux mélange de viande froide macérant dans du sang. Athlin s’avança avec précaution et se plaqua contre le mur lorsqu’il aperçut un jeune homme dont le visage portait encore les rondeurs de l’adolescence. Celui-ci ne perçut pas sa présence et se pencha sur un drap blanc recouvrant manifestement un corps humain disposé sur une table qu’il découvrit avec lenteur. Échappant au contrôle de son acolyte, Cortez tituba sur ses guibolles tel un marin en pleine tempête et se précipita en avant afin d’apostropher l’individu d’une voix tonitruante qui résonna dans la minuscule salle. Le garçon poussa un cri d’effroi et trébucha contre le billot avant de tomber sur son séant.
— Ho hé mon ami ! appela Cortez en se penchant sur le visage du cadavre reposant sur la table. Comment se fait-il que le maître des lieux dorme ici ?
— Qu’est-ce que tu racontes ? s’inquiéta Athlin en sortant de sa cachette.
Le flamboyant lui désigna le faciès de la dépouille gisant juste devant lui. Le petit homme se pencha et tendit une main secourable à l’inconnu afin de l’aider à se relever. C’est à ce moment précis qu’il remarqua la tête de Marcus dépassant du drap, les yeux grands ouverts. Il fronça les sourcils avec suspicion en observant les traits défaits du suspect. Celui-ci se ratatina sur place face à cet examen de sa personne. Sa chevelure d’un blond presque blanc, coupée court, se dressait sur le sommet de sa tête et il baissa le regard avec embarras.
— Tu as tout intérêt à nous expliquer qui tu es, et surtout, pourquoi la dépouille du mage gît sur cette table. Je te conseille d’être convaincant et clair, menaça Athlin en croisant les bras.
Cortez s’approcha de Marcus et enfonça son doigt sur son front avec détermination avant de compter sur ses doigts l’espace de quelques secondes.
— Bordel de Dieu Athlin ! s’exclama-t-il avec effroi. Je ne sens pas son pouls, je crois bien que maître Platipus est mort !
Athlin ne releva pas le surnom étrange crée par l’esprit embrumé de son ami et ne jugea pas utile de lui faire remarquer que le pouls ne se prenait pas sur le front. Il observa l’ancien corsaire bercer la tête de Marcus tandis qu’il lui chantonnait un curieux éloge funèbre dont il ne saisissait pas les propos.
— Je me nomme Sherald, se risqua le jeune homme en plantant ses yeux gris dans ceux du guérisseur avec un semblant de défi. Je suis l’apprenti de maître Marcus Celinarys. Il ordonne et j’obéis.
Athlin observa le visage du mort sur lequel coulaient les larmes de Cortez qui ne cessait plus de déblatérer des propos incohérents à propos de la Grande Mer, de reposer dans les Noirs Tréfonds et de finir engloutit dans l’estomac du Silure Cosmique. Le petit bonhomme leva les yeux au ciel, regrettant avec amertume d’avoir éveillé ce grand nigaud.
— Pourquoi l’avoir tué ? interrogea-t-il en désignant le spectacle navrant se déroulant sous les yeux écarquillés de Sherald.
— Enfin Messire… Je n’ai tué personne, jamais je n’oserais lever la main sur quelqu’un de sa stature. Je ne suis d’ailleurs pas un vulgaire coupe jarret ! s’insurgea le jeune homme avec véhémence tandis que son teint virait au cramoisi sous l’accusation. Je ne fais que me débarrasser des corps pour lui, rien de plus.
Sherald se rendit vers une autre table et rabattit le drap sur la poitrine du cadavre, puis fit de même pour un autre, puis un suivant et continua jusqu’à ce que tous les corps soient identifiables. Athlin resta interdit et contempla la figure de Marcus ornant chaque dépouille.
— Comment une telle chose est-elle possible ? s’horrifia-t-il à cette vision impossible.
Sherald recouvrit les cadavres et jeta un regard las à Cortez qui sifflait un air sépulcral. Il finit par hausser les épaules.
— Marcus a quelque peu perdu pied récemment, reconnu-t-il à contrecœur. Ce fut un grand homme autrefois, vous saviez qu’il avait sauvé ce monde ? Il a vécu une épreuve terrible, quelque chose qui l’a anéanti en profondeur. J’ai entendu ce qui se dit à l’Académie, on le surnomme « le Brisé ». Ce n’est pas un mauvais bougre, je vous assure. Il est plutôt bienveillant d’ordinaire, mais cette nouvelle lubie est des plus lugubre si vous voulez mon avis. Il crée des humains par magie, des êtres qui lui ressemblaient en tout point, sa copie conforme d’avant son « accident ». Il semble prendre plaisir à les briser à son tour, il dit chercher la vérité. Sa vérité, si vous voyez ce que je veux dire. Il perd un peu plus de son énergie et de son humanité chaque fois qu’il s’assassine lui-même. Je l’ai mis en garde et il m’a consigné ici, m’ordonnant de me charger de l’incinération des cadavres. J’ai cru qu’il venait se débarrasser de moi, c’est pourquoi j’ai crié lorsque votre camarade m’a interpellé en hurlant.
— Représente-t-il une menace ? s’enquit Athlin en ramenant durement Cortez à côté de lui.
Sherald parut réfléchir brièvement et hocha la tête de façon négative.
— Non, je pense qu’il ne représente un danger que pour lui-même. Pour moi aussi peut-être. Heureusement, je ne compte pas trop rester à présent que vous avez déverrouillé le passage. Et si nous remontions ? se hâta-t-il de proposer, soulagé par l’idée d’enfin fuir cette sinistre cave.
*
Delilah et Envie avait visiblement passé du bon temps ensemble, les deux femmes se tenaient par le bras et riaient de bon cœur à une plaisanterie de la Déesse. Les étages leur avaient dévoilés leurs mystères et nombre de merveilles qu’elles garderaient en elles. La mercenaire la considérait presque comme une sœur. Quelque chose dans cette créature immortelle la touchait à un niveau qu’elle ne parvenait à verbaliser. Elle se sentait proche d’elle, bien plus qu’elle ne l’avait été de quiconque, abstraction faite de son époux. Après un après-midi ensemble, il lui semblait à présent la connaitre depuis toujours, comme si l’entité faisait maintenant partie d’elle-même.
Envie attrapa la main de Delilah et entrecroisa ses doigts avec les siens. Elles redescendirent au rez-de-chaussée en conversant à voix basse. La Déesse à l’esprit aiguisé s’amusait à l’idée de s’être fait une amie humaine. L’idée lui plaisait et elle trouvait la femme rafraîchissante avec son caractère affirmé et son franc parlé. Bien-sûr, cette complicité naissante n’était pas totalement désintéressée et elle se demandait qu’elle bénéfice elle pourrait en retirer le moment venu. Elles croisèrent Athlin, Cortez et un jeune homme qu’elles n’avaient jamais aperçu. Envie remarqua l’état de Cortez et sa langue passa brièvement sur ses lèvres pleines avant qu’elle ne s’approche de lui, l’inquiétude visible sur ses traits.
Leonhart les rejoignit bientôt et Sherald répéta ce qu’il avait confié à Athlin.
— J’ai un service à te demander Athlin, annonça le mage au yeux pourpres.
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Véronique Rivat
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Il y a 5 ans
Sissy Jil Adan'S
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Alec Krynn
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Caro Handon
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Marie-Eve Tries
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