Fyctia
Entretien
Leonhart profitait de l’ambiance intimiste et ouatée de la pièce, procurée par le foyer ronflant avec douceur. Il observa Marcus qui fixait la flamme bleue sans dire mot, un verre de scotch à la main. Il claqua des doigts avec nonchalance et un second verre apparut dans la pogne de Leonhart qui haussa les sourcils de surprise. Il en huma le bouquet et versa un peu du liquide qu’il fit danser sur sa langue, savourant chaque arôme du breuvage ambré. Il n’y avait pas à dire, son ancien mentor savait toujours recevoir, il se remémorait même la boisson qu’il aimait à déguster.
— Il y a bien longtemps que nous ne nous étions retrouvés ainsi, commenta l’hôte avec nostalgie. Je me souviens encore de l’époque où tu n’étais qu’un vil sacripant, plus enclin à démontrer ton potentiel à tes camarades qu’à t’atteler avec sérieux à l’étude des arts ésotériques.
Leonhart eut un rire sincère. Bien que des plus dissipé à son arrivée à Meistos, l’académie de magie ayant vu naître les plus grands thaumaturges de ce monde, jamais Marcus n’avait tenté d’étouffer son esprit rebelle, pas plus qu’il n’essaya de lui inculquer quoi que ce soit par la force. Le maître l’avait encouragé dans son entêtement, et loin de lui reprocher son attitude singulière, il l’encouragea tout autant qu’il la cultiva pour lui donner le goût de la perfection. Leonhart avait supplanté ses camarades à une vitesse ahurissante, faisant éclore la jalousie dans son sillage tel un paon paradant au milieu des pigeons. Son comportement lui valut bon nombre de reproches et il se fit quelques ennemis sur la voie royale qui le mena vers une grandeur que peu atteignait.
Marcus fit jouer le contenu de son verre contre le récipient et poussa un curieux soupir.
— Tu fus sans conteste l’un de mes étudiants favoris. J’avais placé d’immenses espoirs en toi. Ton attitude bravache me rappelait tant ma propre jeunesse que je me suis vu en toi au premier coup d’œil. Je connais l’histoire de ta famille, révéla-t-il en posant une main frêle et compatissante sur le bras de son interlocuteur, cette tragédie qui t’a marqué au fer rouge et la dureté de ton existence après cela.
Leonhart se raidit quelque peu dans son fauteuil. Se pouvait-il que chacun ait été au courant de son horrible méfait ? Il l’ignorait à l’époque, pensant sottement que l’incident dramatique n’avait pas quitté la sphère rassurante du cocon familiale. Face au prisme de cette révélation, il revit son séjour à l’académie sous un jour nouveau et il conçut une grande honte à ce que son attitude désinvolte et supérieure avait pu faire penser de lui. Le vieux mentor remarqua le changement dans l’attitude de son ancien élève et il se radoucit quelque peu en changeant de sujet.
— Je fus moi aussi un grand magicien autrefois, assura-t-il en relevant quelque peu le menton avec une certaine fierté.
— Maître, vous êtes toujours l’un des plus grands sorciers de ce monde, assura Leonhart, bien qu’ils sachent tous deux qu’il n’en était plus rien à présent.
Les lèvres de Marcus se plissèrent dangereusement et sa paupière papillonna. Il fit un effort colossal pour se reprendre et il secoua la tête avec nostalgie.
— Non mon enfant. Regarde, ce lieu n’est que le mouroir d’un vieil homme à qui le destin a joué un tour des plus cruel. Je n’ai plus rien de l’être que je fus autrefois. Entouré de mes propres compagnons comme tu l’es à ton tour aujourd’hui, j’ai moi-même sauvé ce monde à ma glorieuse époque.
Marcus se remémora ce passé qu’il gardait si fermement ancré en lui. Vyndriolth, la terrible dracoliche, était sortie de son sommeil millénaire et avait semé la terreur sur l’Est du continent. Sa fureur s’était abattue sur Llendrast et la cité fut rasée en une journée. Les défenseurs ne purent rien contre ses assauts furieux et son souffle corrosif extermina toute vie, ne laissant que ruines fumantes et cadavres éparses. Son aura nécrotique assécha le sol et le laissa stérile. Jamais plus la nature ne reprendrait ses droits en ces terres désolées.
Avec ses alliés, Marcus avait traversé les terribles déserts de cendres dans lesquels la dangereuse dragonne avait son antre. Ils s’étaient frottés aux morts et après un âpre combat, le corps squelettique de Vyndriolth s’effondra, la lueur malsaine dans ses orbites vides définitivement éteinte. Par la suite, le mage et ses compagnons survivants furent traités en véritables héros et reçurent tous les honneurs.
— Un exploit extraordinaire, vous nous avez, sans le moindre doute, délivré d’un funeste destin, reconnu Leonhart avec une ferveur non feinte.
— Oui, je l’ai fait. C’est pourquoi lorsqu’un candidat fut recherché pour mettre fin à la crise actuelle, je me suis tout naturellement porté volontaire. Qu’avais-je à craindre après tout ? N’étais-je pas le héros de légende, celui dont les enfants chantent aujourd’hui l’épopée ? J’ai subi les épreuves, souffert milles morts, endurés des supplices que le commun des mortels n’imagine même pas.
— Je ne connais que trop bien votre souffrance, murmura l’ancien élève à son professeur.
Marcus lui lança un regard désapprobateur et leva la main comme pour l’intimer de garder sa complaisance pour lui-même.
— Non, tu n’en sais rien, décréta l’homme d’un ton cassant, tandis que sa voix maîtrisée se fêlait comme une coquille d’œuf et qu’une curieuse lueur dansa dans ses iris violacées. J’étais l’un des remparts de ce monde, j’ai fait tout ce que l’on attendait de moi et d’avantage en offrant une seconde fois ma vie afin de rétablir l’ordre. Alors pourquoi ai-je si lamentablement échoué Leonhart ? Pourquoi suis-je en si piteux état ?
Leonhart ne dit mot, se remémorant ce terrible jour au cours duquel il avait aperçu le corps de son mentor traîné de force en direction de l’infirmerie. Son regard était hagard et il bavait autant de sang que de propos incohérents. Il s’était rendu à son chevet chaque jour, pour l’écouter délirer et pleurer à chaudes larmes, tout en marmonnant des propos incompréhensibles à propos d’éternité et d’échec.
— Notre maître à tous, le grand mage Cidric Idril a disloqué mon âme et j’ai cru que je pourrais y résister, que je serais assez fort pour supporter le morcellement de mon esprit et sa reconstruction, murmura l’ancien héros. J’avais tort. J’ai péché par orgueil et mon existence se limite désormais à cette maudite tour et à tenter de ne pas sombrer dans la folie. Comment as-tu réussi là où j’ai échoué mon cher élève ? Comment fais-tu pour vivre avec cette infinité en toi ?
*
Athlin soutenait Cortez qui souffrait vraisemblablement d’une gueule de bois monumentale. Il avait tenté d’employer la manière douce, mais seule une paire de gifles retentissantes étaient parvenues à le sortir de sa torpeur. Ils s’engouffrèrent ensemble dans le passage secret et furent brièvement éblouis par une lumière crue et intense venant d’une salle toute proche. Une odeur atroce leur assaillit les narines en même temps qu’une exclamation résonna.
7 commentaires
Véronique Rivat
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Il y a 5 ans
Lyaminh
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Il y a 5 ans
Alec Krynn
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Il y a 5 ans
Marie-Eve Tries
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Il y a 5 ans
Alec Krynn
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Il y a 5 ans