Alec Krynn La Vertu du Péché Le passeur

Le passeur

Suivant les instructions de Leonhart, ils crapahutèrent sur une pente douce sinuant sur la partie droite de l’immense cascade. Une fois arrivés en bas sans encombre, ils se retrouvèrent sur une rive de galet d’un bleu nuit presque noir. La grève n’avait rien de naturelle et le mage leur confia qu’il s’agissait là d’une pure fantaisie de son vieux compère. Ils marchèrent sur les pierres détrempées jusqu’à un tumulus moussu reposant dans une eau si limpide qu’on l’eut cru translucide.

Cortez examina le monticule avec attention. Sa forme étrange et irrégulière, autant que cette mousse abondante lui évoquant une épaisse toison, ne lui disaient rien qui vaille. Il recula avec un peu trop de précipitation lorsque Leonhart marmonna un mot et qu’un immense œil à l’iris verticale d’un jaune orpiment s’ouvrit avec lenteur. Il percuta Athlin qui perdit l’équilibre et tous deux chutèrent au sol sur les fesses, leurs frocs irrémédiablement trempés. Le petit homme ravala ses protestations lorsqu’il aperçut la longue encolure de la créature s’élever à plus de trois mètres du sol. La texture de sa peau, à mi-chemin entre la roche mordorée et les écailles d’une tortue, étincelait à la lumière du jour, tandis que sa tête plate semblable à celle d’un lézard cornu les toisait avec une certaine curiosité. Delilah dégaina son espadon et ancra ses jambes dans le sol pour lui faire face. Elle s’élança au moment où la bête darda son regard paresseux sur le magicien en élança sa gueule dans sa direction à une vitesse confondante au vu de sa corpulence. Elle freina des quatre fers lorsqu’elle aperçut l’énorme crâne posé avec nonchalance dans la main du thaumaturge. Yeux fermés, son immense corps sembla ronronner de contentement à la manière d’un chat, alors que sa langue bifide dardait de sa bouche entrouverte en écho au plaisir que lui procurait les grattouilles de l’homme sur son menton. Elle bavât sans retenue, sa salive coulant sur la manche de l’humain qui ne s’en préoccupa pas le moins du monde.

La bête déploya sa formidable carcasse pourvue d’une longue queue se terminant en un panache de mousse foncée. Le magicien escalada sa patte arrière et prit place sur son dos, avec aisance, se cramponnant à une excroissance osseuse faisant office de garde-fou. Il fit signe à la troupe de l’imiter et chacun prit bientôt place sur son échine avec plus ou moins d’appréhension. Leonhart émit un claquement de langue sec et l’animal se propulsa à vive allure en direction de l’immense colonne au loin. Cortez perdit toute appréhension lorsqu’il comprit qu’il s’agissait là d’un moyen de transport bien pratique. Il eut l’impression d’être à nouveau marin et son cœur bondit dans sa poitrine. Le vent fit voltiger ses cheveux bouclés, le soleil lui cuisait la nuque et il se sentit chez-lui l’espace d’un bref instant. Son sourire s’épanouit durant une fraction d’éternité avant de mourir avec une cruelle soudaineté, l’éclat de ses yeux s’assombrissant. Nul ne vit le brutal changement s’opérant en lui, trop occupés qu’ils étaient à profiter de l’expérience inédite.

Une demi-heure passa et la créature s’échoua avec grâce le long d’une berge avant de hisser ses lourdes pattes et d’aplatir son corps à même l’herbe verte et drue. Athlin bondit en premier, les jambes endolories. Trop crispé durant le voyage, il souffrait de crampes et se sentit en joie de retrouver enfin la terre ferme. Delilah sauta avec élégance, suivie de près par Cortez, lèvres serrées et regard terne. Envie lança son esprit à la rencontre de celui de l’animal qui lui renvoya le fantôme de son étonnement dans un glapissement mental interrogateur, avant de s’éloigner pour observer l’édifice les surplombant. Le magicien siffla et l’animal s’approcha, gueule ouverte, se dandinant sur ses pattes courtaudes. Elle lui offrit son cou qu’il enserra avant de déposer un baiser sur le coin de sa gueule. Elle poussa un véritable grognement de plaisir, ses yeux se fermant sous une paupière intérieure à la membrane blanchâtre. Elle s’ébroua avec force, sa langue caressant le visage de Leonhart et elle repartie dans l’eau avec un plongeon spectaculaire, remontant avec aisance le courant pour reprendre sa tâche perpétuelle au pied de la chute d’eau.

Ils pénétrèrent dans les jardins luxuriants surplombés par le Pilier d’Orixaryl. Les dallages de pierres blanches et régulières les menèrent dans un paradis végétal savamment agencé et mis en valeur par des milliers de feu follets magiques soulignant les courbes harmonieuses des fleurs aux couleurs surprenantes.

Delilah voulu s’approcher, enivrée par l’exquise fragrance d’une espèce à la corolle rose et charnue constituée d’un entrelacs de pétales diaphanes. Lorsqu’elle approcha son visage à un mètre de sa cible, un oiseau pas plus grand que son pouce, vint voleter devant son visage avec malice. Ses yeux ronds et noirs la contemplaient avec curiosité et la femme ne remarqua pas tout de suite qu’il ne possédait pas de bec mais une trompe enroulée qu’il déploya pour palper sa joue avec une infinie douceur, comme s’il désirait goûter sa peau. N’y trouvant pas son compte, le petit être se posa sur le dessus de sa main à l’aide de ses serres minuscules et fit claquer ses ailes de papillons irisées, constituées d’un mélange de vert et de jaune formant un motif envoûtant. La mercenaire passa un doigt sur le sommet de son crâne et il lui répondit par un sautillement enjoué avant de reprendre son envol. Elle observa les plumes rouges de sa queue quitter son bras. L’une d’elle se détacha et elle la récupéra en plein vol avant de la disposer avec soin dans un morceau de tissu.

Athlin marchait en tête avec son compère aux yeux violets. Ils passèrent devant une fontaine représentant un homme brandissant un long bâton, du sommet duquel jaillissait une douzaine de jets d’eau partant dans toutes les directions et formant un véritable dôme aquatique traversé par la lumière du soleil, créant un arc-en-ciel miniature nimbant la structure et faisant jouer une infinité de nuance sur la pierre, donnant presque l’impression que l’homme souriant allait s’animer.

Leonhart gravit les marches et eut la surprise d’apercevoir Envie avant qu’elle ne prenne son bras dans le sien afin de procéder à l’ascension. Il voulut dégager son membre mais il la sentit raffermir son étreinte. Il soupira et ils atteignirent ensemble la double porte dantesque munie d’un heurtoir d’airain représentant la tête d’une chouette stylisée. Il se saisit de l’anneau dépassant du bec et frappa trois coups sur la porte. Une minute passa, puis une autre et rien ne se produisit. Le reste du groupe s’était regroupé en bas des marches et observait la suite des événements. Leonhart frappa à nouveau, avec plus d’insistance cette fois, et les larges portes s’ouvrirent sans le moindre bruit sur un homme à la mine radieuse et à la barbe impressionnante. Ses cheveux mi-long de couleur miel encadraient ses iris mauves.

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17 commentaires

Véronique Rivat

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Il y a 5 ans

Quelle jolie allégorie !

Sissy Jil Adan'S

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Il y a 5 ans

Les lieux ont l'air magnifiques. J'aimerais bien m'y promener ^^

Marie-Eve Tries

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Il y a 5 ans

J’adore les jardins et les oiseaux, ta description est vraiment envoûtante.

Lyaminh

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Il y a 5 ans

Comme toujours tes descriptions savamment orchestrées, usant d'un vocabulaire précis et soigné, permettent de visualiser parfaitement la scène et de s'imprégner de sa perpétuelle féerie. Tu fais preuve aussi d'une grande imagination en ce qui concerne les paysages, ainsi que les personnages qui les peuplent. Un chapitre enchanteur, un récit magnifique dans sa globalité 👍😉😃

Alec Krynn

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Il y a 5 ans

Merci beaucoup pour ta lecture assidue. Je suis heureux de réussir à te faire voyager dans cet univers 😊

Sand Canavaggia

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Il y a 5 ans

Entre la créature et ce petit oiseau sans bec, c'est d'une infinie douceur dans une apparence pleine d'une magie animées sous ma lecture...Les yeux du compagnon d'Athlin et de l'homme qui ouvre ont quand même cette couleur dans les mauves qui m'a donnée des questions, ça n'a certainement rien à voir mais la note couleur est là et Envie qui s'accroche fermement au bras de Léonahrt, je me demande pourquoi, car je ne pense pas que ce soit sans motivation, raisons...Je dois t'avouer que tu crées un monde tellement à part que je me laisse dépasser par toutes les images qui me semblent si hautes en couleur que je m'emporte dans ton courant de lignes comme dans ton dernier écrit que j'ai lu...Sentiment qui captive et attache à l'histoire de bien des façons...Merci de ce nouveau chapitre partagé et une belle continuation à toi tout au long de ce concours que tu as si bien commencé selon moi... 👌✍🏼😊🤩

Alec Krynn

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Il y a 5 ans

Ça me fait tellement plaisir, à chaque fois tu remarques tous les petits détails et comprends toujours ce que je souhaite faire passer 😘

Marie-Eve Tries

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Il y a 5 ans

Je mets un pouce et reviens lire ce soir. Besoin de pouces sur Caliburnus
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