Fyctia
Le pilier d'Orixaryl
Envie marchait en queue de peloton en compagnie de Cortez. Elle ne pouvait s’empêcher de penser à la délicieuse nuit qu’ils avaient partagé.
Elle lui avait conté une partie de ses souvenirs immémoriaux. Sa venue au monde dans ce corps d’apparence frêle et délicat n’ayant pas changé d’un iota en plusieurs millénaires, la solitude extrême dû à sa condition, l’apprentissage de ses pouvoirs, de son rôle de Divinité, d’être supérieur. Elle lui avait ensuite narré sa rencontre avec celui qu’elle nommait son jumeau tant leurs apparences physiques étaient semblables. Les moments douloureux, les instants complices. L’amour profond mais aussi cette haine viscérale qui les unissait autant qu’elle les divisait. Elle ne lui dissimulât rien de sa relation ambiguë avec Orgueil, de la profonde tendresse qu’il faisait naître en elle, de l’ardente inimitié qu’elle ne pouvait s’empêcher de ressentir à son égard. Il l’avait écouté avec compassion, n’émettant pas le moindre jugement sur sa personne, pas plus que sur sa nature intrinsèquement fluctuante. Elle avait ressenti un certain bien-être à se livrer à quelqu’un d’autre, quelqu’un qui ne soit pas lui.
À son tour, Cortez avait levé le voile sur un pan de son histoire personnelle qu’il aimait à divulguer presque autant qu’il désirait garder le passé sous silence. Il s’épancha sur son existence de forban à écumer les chaudes eaux du Sud tantôt en solitaire, tantôt en compagnie d’autres loups de mer de son espèce. Il lui avait raconté son mode de vie nomade, dépourvu de toutes attaches. Des trop nombreuses femmes rencontrées, séduites, puis mises dans son lit avant qu’il ne reprenne sa route vers l’horizon sans un regard en arrière. Elle se montra curieuse et bien qu’il remarquât qu’une foule de questions se bousculaient sur les lèvres charnues de la Déesse, elle eut la délicatesse de ne pas l’écraser d’interrogations et de le laisser dévoiler uniquement ce qu’il souhaitait lui partager.
Humain et Déesse s’étaient livrés l’un à l’autre avec respect et sincérité, bien que chacun gardât une part de secret pour lui-même. Cet échange verbal dépourvu de tout contact charnel les avait rapprochés l’un de l’autre à un niveau qu’ils ne saisissaient pas. Un peu de confiance germait entre eux à présent, une petite graine qui ne demandait qu’à croître.
Cortez se surprit à ressentir du bien-être en la présence d’Envie et ce constat le fit sourire. Il caressa Monsieur Jingles qui flemmardait sur son épaule et observa le ciel clair au-dessus de lui. Après la tempête de la veille, le temps était revenu au beau fixe, comme en écho à son humeur. Déconcerté, il découvrit qu’il éprouvait une certaine tendresse pour la femme marchant à son côté à présent qu’il la comprenait un peu mieux. Son regard chercha le sien sans même qu’il ne s’en rende compte, comme si son esprit avait émis le souhait de la contempler. Elle ressentit son attention et le dévisagea avec curiosité jusqu’à ce qu’il lui tire la langue avec malice. Son expression stupéfaite valut alors tout l’or du monde à ses yeux.
À l’avant et hors de portée de voix des deux traînards, le reste du groupe tenait conciliabule.
— Ils sont si…adorables ensembles, reconnut Delilah avec un petit rire. Regardez-les, ils paraissent si complices !
— Est-ce bien sage de laisser Cortez sous le joug d’Envie ? fit remarquer sèchement le mage avec désapprobation. Qui sait ce qu’elle instille par son venin dans son esprit. Si cela ne tenait qu’à moi, alors Envie serait…
— Nous savons bien ce qu’il en serait, le coupa-t-elle avec exaspération. En ce qui me concerne, elle a sauvé ma peau à Fort Corbeau en mettant en lumière la folie de Pasquino. Elle a également pris la peine de secourir Cortez, sans même parler de son rongeur ! Lequel d’entre nous aurait pensé à Jingles ? Pas moi en tout cas.
Athlin se racla la gorge et observa Envie au loin avec attention.
— Je ne sais pas, quelque chose en elle me gêne, avoua-t-il avec perplexité tandis qu’il reportait son attention sur la conversation. J’ai toujours la désagréable impression qu’elle manigance quelque mauvais coup dans notre dos. Nous devrions nous montrer prudent pour le moment.
Delilah leva les yeux au ciel, excédée par l’attitude des deux garçons. Pourquoi ne se rendaient-ils pas compte de l’évidence ? Le doute n’était plus permis, Envie était des leurs. Au moins jusqu’à ce qu’ils se retrouvent face à Orgueil.
Leonhart secoua la tête et continua sa route, les lèvres pincées. La crédulité de Delilah le laissait pantois. Comment pouvait-elle ignorer la nature versatile d’Envie ? Elle pouvait les sauver dans l’unique but de mieux les trahir par la suite. Qu’importe la mercenaire ou Cortez, lui et Athlin montaient la garde. Jamais il ne laisserait Envie ou n’importe quel autre Dieu avoir le dessus sur lui.
*
Ils marchèrent encore durant plus de trois heures jusqu’à ce que le magicien ne dévie en direction du lit d’une minuscule rivière. Malgré la pluie, le débit était des plus réduit et l’homme aux iris magenta les conduisit en direction d’une paroi rocheuse, dans laquelle s’engouffrait le mince filet d’eau qu’ils côtoyaient.
— Pourquoi suivons-nous cette rivière ? demanda Cortez en examinant le mur de pierre, se penchant pour observer l’eau s’écouler par une ouverture tout juste assez grande pour permettre le passage accroupis.
— Ce n’est pas une rivière, corrigea Leonhart avec un petit rire. Il s’agit de la source de l’Alentoise, le plus grand fleuve de ce continent. Allons, ne faites pas ces têtes-là ! Venez, vous allez comprendre.
Il incanta brièvement et fit un geste indéfinissable en direction de la roche qui gronda pour révéler une large ouverture dans laquelle la troupe pénétra avec appréhension. La température à l’intérieur était presque glaciale et l’air d’une pureté incomparable manqua de geler leurs poumons. De minces rayons de lumière sourdaient par des fissures situées haut dans le plafond naturel constitué de roche dure et offraient un éclairage sommaire, se reflétant sur un immense lac souterrain alimenté par une infinité d’insignifiantes cascades.
Au loin, un bruit assourdissant ne laissait pas place au doute. Ils se dirigèrent vers le grondement en suivant une pente douce, pour arriver au bout de quelques minutes au bord d’une prodigieuse cascade vrombissante se jetant à plus d’une centaine de mètres en contrebas. Au loin, se dressant tel un phare à l’horizon, une immense tour, dont le sommet crevait les nuages, scintillait sous les rayons solaires, offrant la splendeur de ses angles ciselés et cruels à la vue du groupe. Trônant au centre d’un gigantesque jardin à la symétrie parfaite, le lieu semblait hors du temps, comme arraché à un autre monde et rattaché à celui-ci à la simple force d’une volonté de fer.
— Voici le pilier d’Orixaryl, l’une des plus prestigieuses places magiques de notre monde, expliqua Leonhart avec fierté.
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Véronique Rivat
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Il y a 5 ans
Sand Canavaggia
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Il y a 5 ans
Herrade_Riard
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Il y a 5 ans
Lyaminh
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Amélie Marion
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Alec Krynn
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Arielle Rock
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Alec Krynn
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Il y a 5 ans