Fyctia
Secrets
Delilah observa Paresse se coucher sur son divan et refermer ses étonnants yeux azur. Elle voulut le réprimander de son inaction et s’apprêta à le tancer vertement, exaspérée qu’un être de son statut se complaise dans l’inaction alors que le sort de chaque être, Dieux comme humains, étaient dans la balance. Elle fut coupée dans son élan par un ronflement victorieux accompagné d’un sourire en coin. Elle poussa un soupir, consternée. Elle n’obtiendrait rien de lui. Si Courage, Envie et même l’infâme Orgueil forçaient le respect du fait de leurs pouvoirs et leurs entêtements à vouloir changer le monde, ce démiurge fainéant en revanche, lui laissa un goût amer dans la bouche. Sa foi s’en trouva quelque peu blessée, elle qui ne jurait que par eux se rendit à l’évidence. À l’instar des hommes, certains Dieux faisaient de mauvais choix. Quelle rédemption un éternel pouvait-il espérer s’il faisait montre de négligence ?
Le regard d’Envie glissa sur le groupe et elle avisa l’absence de Cortez. Elle ferma les yeux afin de ressentir les vibrations de son âme en harmonie avec la sienne. Elle perçut l’étincelle de son être et en goûta la douceur et la luminosité particulière, teintée d’une note de mélancolie. Le fringuant était un homme des plus intéressant et elle se devait d’admettre que sa compagnie était pour le moins distrayante. Elle créa un filin intangible entre son étincelle et elle-même puis elle se contenta de le suivre, les humains naviguant dans son sillage. Elle enjamba un groupe de dormeurs et elle observa un tas pèle-mêle de corps inextricables se chevauchant. À son sommet, Cortez, coiffé de son emblématique tricorne, dormait comme un loir. Elle tenta de l’éveiller en envoyant une impulsion dans son esprit mais en ce lieu Paresse était bien trop puissant, même pour elle. Maintenant qu’il nageait dans sa béatitude onirique, jamais il ne s’éveillerait si on le laissait ici.
Leonhart poussa un soupir incrédule, ne parvenant pas à en croire ses yeux. Cette canaille ne se refusait rien et il le détesta avec une violence inédite. Pour lui qui avait passé son existence à subir des brimades et des privations, la vision de ce vaurien profitant de la vie sans se soucier de quoi que ce soit lui faisait l’effet d’un poignard en plein cœur. Il mit sa rancœur de côté et fit de son mieux pour l’enfouir au plus profond de ce qui composait son âme. Le sentiment fut promptement décortiqué et analysé. Ce qu’il apprit de lui-même le dégoûta au plus haut point. Il extirpa cette part de lui-même, si sombre, vindicative et mortellement hautaine qui lui faisait horreur et se força à la contempler bien en face. Il avait encore beaucoup à faire s’il voulait pouvoir tenir son rôle dans cette affaire. Le magicien aux iris magenta raffermit sa détermination. Il voulait le rendre fier. Il le devait.
Athlin escalada la montagne de corps et en piétina certains sans le moindre remord. Il secoua Cortez qui n’eut pas la moindre réaction.
— C’est inutile, il ne pourra être réveillé tant qu’il est ici, annonça Envie avec un sourire malicieux. Il va falloir le porter je le crains. Une besogne indigne de ma condition hélas…
Athlin lança un regard désespéré en direction du magicien qui se contenta de lui fournir un sourire en coin en guise d’excuse. Le guérisseur fit alors de son mieux pour faire passer toute la tristesse du monde dans ses prunelles lorsqu’il les posa sur Delilah, sûr qu’ainsi elle volerait à son secours. La mercenaire pouffa de rire et le gratifia d’un clin d’œil. La mine défaite et maudissant son impulsivité, Atlhin hissa Cortez sur son dos, ahanant sous le poids de son camarade.
— Bon sang, il est aussi lourd qu’un âne mort ! se plaignit le petit homme en transportant son fardeau. Aucun de vous ne me viendra en aide ?
Envie et ses compagnons s'entre-regardèrent avec un sourire de connivence et continuèrent d’avancer tout en feignant l’ignorance, se retenant de rire sous les jurons pour le moins colorés d’Athlin.
*
Cortez s’éveilla en sursaut au contact de l’eau sur son visage. Athlin se tenait les lombaires, soulagé de s’être libéré de son chargement qu’il avait laissé tomber dans la mare poisseuse. Le fougueux se leva en pestant, trempé. Il récupéra son couvre-chef flottant avec tristesse non loin, le petit rat à la robe grise juché sur son sommet, à demi dissimulé par la plume.
— Que fait-on maintenant, demanda Delilah avec angoisse. Je n’ai aucune idée de la direction à prendre. C’était Courage qui s’occupait de mener notre groupe. Sans lui, nous sommes perdus.
Envie grimaça. Bien qu’elle l’eût poignardé, elle appréciait le Dieu défunt. Si son frère ne les avait pas trouvés, sans doute les événements se seraient déroulés autrement. Face à lui elle n’avait pu se contenir. Ce besoin presque charnel de le rendre fier d’elle, de lui prouver son affection par un cadeau aussi futile que lui offrir l’essence de sa proie. Elle l’aimait autant qu’elle le craignait et le détestait. Elle rêvait de revoir son corps nu et sa musculature fine, de l’enlacer et de lui faire offrande de sa peau soyeuse, de lui faire entrevoir le paradis avec ses lèvres pleines et sensuelles. Elle fantasmait sur l’idée d’enfouir sa main dans sa chevelure blonde tandis que sa dague se planterait dans sa nuque avec lenteur. Son souffle se fit court lorsqu’elle imagina ses yeux écarquillés d’horreur et de compréhension. Elle faillit perdre toute contenance et lâcher un gémissement de plaisir qu’elle parvint à juguler tant bien que mal. Penser à lui faisait naître des sentiments bien trop disparates en elle.
— Je connais quelqu’un, à deux jours de marche de notre position, dont l’érudition n’est plus à démontrer, déclara Leonhart. Je ne doute pas qu’il soit en mesure de nous renseigner. En outre, nous pourrons passer quelques jours sur place afin de nous ressourcer en toute sécurité. Il semblerait qu’au moins l’un d’entre nous ait besoin de repos.
Cortez lui tira la langue et leva le nez en l’air pour lui signifier toute son indignation. Envie ricana avec bonne humeur. Le jeune homme paraissait toujours en pleine représentation, tout comme elle. Elle ne pouvait s’empêcher de se demander ce qu’il cachait sous cette couche de faux semblants. Elle se sentait fascinée par sa personnalité complexe, sans doute prendrait-elle bientôt les devants et passerait-elle à l’offensive. Après tout, son plan ne souffrait d’aucun délai, et si elle n’avançait pas ses pions avec autant de célérité que d’acuité, il se pourrait bien que certaines options ne lui soient refusées.
— Ce pourrait-être une bonne alternative, concéda Delilah. Je n’ai que peu voyagé par ici et la pensée d’errer durant des semaines au hasard ne me sied guère. Je suis quelque peu las depuis Fort Corbeau, j’aspire à me détendre un peu.
Les autres approuvèrent, bien trop heureux à l’idée de trouver une oasis de paix sur leur route.
10 commentaires
Véronique Rivat
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Il y a 5 ans
Sand Canavaggia
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Il y a 5 ans
Alec Krynn
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Il y a 5 ans