Alec Krynn La Vertu du Péché Paresse

Paresse

— C’est calme ici, fit remarquer Cortez en scrutant la mare. Je ne me baignerais pas là-dedans en tout cas.

Athlin s’approcha pour observer l’eau stagnante et détailla les nénuphars avec attention. Le liquide épais et immobile renfermait une myriade de vie animale. Des moustiques aussi gros que des ongles volaient par nuées éparses à la surface, essayant tant bien que mal d’éviter les coups de langue des crapauds qui fermaient leurs yeux avec indolence tout en coassant, partiellement dissimulés au milieu des potamots. De magnifiques libellules se parant de rouge, de bleu et de jaune voletaient avec langueur autour des sagittaires et l’une d’entre elle se posa sur la main de Leonhart qui l’observa avec attention avant de lui murmurer un simple mot. L’insecte s’envola et fondit droit sur le nez de Delilah qui loucha afin de mieux observer l’animal. Lorsqu’elle voulu s’en saisir avec délicatesse, la créature lui faussa compagnie et retourna à sa paisible existence.

— Y a-t-il des poissons ici ? Pêcher serait une bonne manne savoureuse qui nous permettrait d’être repu sans trop d’efforts, déclara le fringuant en essuyant son front avant de replacer son tricorne sur son crâne.

— Il n’y en a aucun dans ses eaux, intervint Athlin avec une moue. Tu vois ces petites grenouilles vertes ? Elles ne tolèrent pas la moindre poiscaille, tout comme les libellules jaunes d’ailleurs. Tu ne prendras rien ici, à moins que tu ne désires manger des cuisses de batraciens.

Cortez grommela quelque chose à voix basse et Delilah éclata de rire devant sa déconfiture. Envie scrutait la mare et tendit la main avec réticence. Elle ressentait l’aura diffus et cotonneux de Paresse tout proche. Elle posa un pied dans l’eau et il s’y enfonça de quelques pouces, faisant fuir une kyrielle de têtards paniqués. Elle grimaça et ne parvint pas à étouffer son dégoût tandis que sa seconde jambe rejoignait la première dans les flots tièdes et sales. Elle ferma les yeux et concentra son énergie. Un large portail d’un vert translucide se matérialisa. Envie lança un rire ravi qui résonna à la surface de la mare.

— C’est ouvert ! claironna-t-elle. Hâtez-vous, je n’aime pas avoir les pieds mouillés !

Les compagnons passèrent à la suite dans le portail. La Déesse y pénétra à son tour et se laissa happer dans la demeure du Dieu.

*

Ils apparurent dans ce qui semblait être un vestibule aux dimensions gargantuesques. Cortez observa les colonnades s’élevant à des hauteurs si vertigineuses que son œil ne parvenait à en percevoir le bout. Des murs de marbre blanc veiné d’or étaient parsemés de lourdes tentures d’un rouge réconfortant. Ils avancèrent dans une vaste salle décorée de braseros d’argents. Leurs pieds foulèrent d’épais tapis moelleux et ils aperçurent les premiers fidèles choisis par la déité. Des hommes et des femmes assis avec nonchalance sur de lourds coussins paraissaient léthargiques, leurs yeux fermés, un sourire béat sur le visage alors qu’ils goûtaient au délice de ne rien faire. Plus loin, d’autres individus somnolaient sur des couvertures de soie ou de satin, certains d’entre eux plongés dans un profond sommeil.

— Il est tout proche, annonça Envie avec un sourire carnassier. Je ressens son essence, elle est primaire, lancinante et dangereuse. Ne vous laissez pas ensorceler par ses mots mielleux ou vous ne ressortirez jamais de son antre. Ses élus sont autant ses prisonniers que ses invités.

Ils progressèrent encore quelques temps à l’intérieur du domaine divin. Bien vite, il y eut une véritable marée de corps s’étalant à leurs pieds. Des personnes par centaines s’entassaient dans des positions les plus improbables, certain servant d’oreiller de fortune aux autres. Un concert de ronflement de de gémissement résonnait à leurs oreilles. Athlin sentait ses sens s’émousser tandis que l’appel du sommeil s’emparait de lui. Leonhart lui flanqua une gifle retentissante qui résonna avec force dans la moiteur ambiante. Envie observa la scène avec un regard appréciateur. Ce mage l’intriguait au plus haut point. Il lui semblait trop perspicace, prompt à l’excès de tirer ses compagnons des mauvais pas avec ce qui paraissait être toujours la décision la plus sage, ou à défaut, la plus adaptée. Tandis qu’elle l’étudiait, son regard mauve la transperça et elle se sentit défaillir, comme si son regard pénétrant avait lacéré ses chairs et mit son âme à nue. Il se contenta de sourire et elle ouvrit de grands yeux. Comment pouvait-il posséder autant de présence en lui ?

Un divan gigantesque de couleur bleu nuit se dressa au loin et Delilah remarqua une silhouette de taille impressionnante allongée sur le dos. À mesure qu’ils avançaient dans sa direction, elle ressentit une pression en elle. Elle lutta contre ce sentiment d’abattement, cette pernicieuse pensée qui lui commandait de s’allonger là et de ne plus bouger. Jamais. Elle combattit la léthargie et accompagna Envie jusque devant le trône sur lequel Paresse reposait avec indolence.

Envie l’appela presque avec douceur et le Dieu n’eut aucune réaction. Elle n’avait eu que peu de contact avec lui par le passé, leurs tempéraments étaient bien trop divergents. Si son seul désir à lui consistait à en faire le moins possible en se vautrant avec ostentation dans le désœuvrement le plus total, elle, en revanche, ne rêvait que de voir se matérialiser une multitude infinie de désirs.

Elle patienta quelques secondes puis réitéra son appel, mettant un peu plus de puissance dans sa voix. Cette fois, Paresse ouvrit un œil avec nonchalance et poussa un soupir désespéré. Delilah l’observa se redresser et avisa enfin son visage émacié et glabre. Ses yeux d’un bleu étonnant reflétaient toute l’inaction du monde et elle ressentit l’accablement la gagner lorsqu’il ouvrit la bouche.

— Envie, lâcha-t-il de sa voix ensommeillée et pâteuse en réajustant sa chemise de lin sur son torse maigre et noueux. Que me vaux le déplaisir de ta visite ? Ne vois-tu pas à quel point je suis occupé ?

— Navrée de te déranger, je sais au combien flemmarder est affaire de volonté pour toi, répondit-elle avec sérieux. Je vais être brève, il me faut une partie de ton essence pour mon amulette, elle servira à arrêter Orgueil.

Elle lui tendit l’artéfact et il s’en saisit avec lenteur avant de l’observer d’un œil endormi. Il le retourna et observa Envie comme s’il cherchait à percevoir quelque subterfuge derrière ses mots. Il haussa les épaules de manière presque imperceptible et décida qu’il s’en moquait, Paresse désirait se reposer, tout simplement. Il concentra son essence et une volute verte s’entortilla avec apathie avant de prendre le chemin de l’amulette avec une infinie mollesse.

Paresse rendit le bijou à Envie qui s’empressa de le repasser autour de son cou. Il lui fit un petit signe de la main pour la congédier, lui signifiant de le laisser en paix.

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23 commentaires

Véronique Rivat

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Il y a 5 ans

Tu as si ben fait transparaître l'atmosphère que je suis obligée d'aller me faire un café pour pouvoir lire la suite😉

Alec Krynn

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Il y a 5 ans

Ahah tu aurais dû le lire avant de dormir alors 😋

Véronique Rivat

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Il y a 5 ans

Dis-donc ! Fallait me le dire avant !🤣

Caro Handon

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Il y a 5 ans

Ah bah sympa l’accueil xD

Herrade_Riard

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Il y a 5 ans

Ce chapitre me rappelle à quel point je suis fatiguée 😅

Mr Marc Desne

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Il y a 5 ans

L'atmosphère est si bien rendue que j'ai étouffé quelque baillement en lisant ça sur mon canapé... Et même... Que.... Zzzzzzzz

Sand Canavaggia

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Il y a 5 ans

Les noms de chaque personne sont non seulement bien porté mais tu leur crée de réelles identités qui font dellesxdes présences définies qui se démarquent les unes des autres...et Envie passe des paliers obtient des espèces de passeport qui lui permettent d'avancer vers son objectif avec ses compagnons de route...enfin je te dis comme ça sur ma sensibilité...un ressenti comme des stades, des étapes...tu les colorés, leur donnes des décors très vivants qui me renvoient toutes les images. Alors bien sûr je sais que ces deux chapitres préparent des suites moins tranquille mais assurément avec autant d'intensité. Merci beaucoup de ces partages avec pour moi le bonheur davoir lus plus d'un...bonne suite à toi pour cette suite que j'attends 😊😉👌

Marie-Eve Tries

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Il y a 5 ans

Il va se passer des choses après...

Arielle Rock

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Il y a 5 ans

Très beau chapitre j'adore 😊 (+3)

Kiran Syrova

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Il y a 5 ans

C'est presque trop facile... Le calme avant la tempête ?
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