Alec Krynn La Vertu du Péché Ishiola obscure

Ishiola obscure

Les compagnons passèrent la nuit à Fort Corbeau. D’ordinaire, une fête mémorable s’étendant sur toute une semaine résonnait entre ses immenses murs afin de célébrer le nouveau Commandant. Rael avait cependant décrété qu’en mémoire des braves ayant périt sur la place, des malheureux décédés dans les geôles à tort et du décès de celui qui fut durant presque trois décennies un homme admirable, aucune célébration n’aurait lieu. Pas la moindre cloche ne sonna, pas une seule note de musique ne résonna dans l’air. Les drapeaux claquant d’ordinaire dans les vents éternels soufflant dans ses hautes tours étaient désormais en bernes. Jamais plus l’emblème du Corbeau ne défierait les bourrasques à présent qu’un Morozini n’était plus maître des lieux.


Aucun d’eux ne trouva le repos. Ils se levèrent avec le soleil et se rendirent sur la place pour retrouver Mack, comme il en avait été convenu. Delilah remarqua tout de suite le changement d’atmosphère. Elle avait senti l’odeur du bois brûlé lorsque Rael avait jeté sa torche sur l’arbre recouvert de poix à l’odeur écœurante. Fenêtre de la chambre ouverte, elle avait observé la lueur des flammes dévorer le terrible symbole et ne ferma ses yeux que lorsque la lumière orange cessa de danser sur le mur en face d’elle. À présent, l’arbre aux pendus n’était plus. Il ne restait de sa présence qu’un large cercle noirci ratissé avec soin par un homme. Leonhart observa avec intérêt l’individu planter un étrange végétal irisé et le recouvrir avec précaution. Une large tige germa avec une rapidité stupéfiante et une fleur immense déploya ses pétales majestueux d’un noir profond, tandis que son cœur d’un blanc éclatant semblait absorber le soleil pour refléter chaque teinte de la lumière ainsi captée. La corolle s’illumina alors et le mage aurait juré que l’efflorescence ondoyante était en vie et qu’elle chantait d’une voix silencieuse une mélopée d’une tristesse absolue.


— Une ishiola obscure, s’étonna Athlin avec de grands yeux ronds. Il n’en existe que très peu disséminées dans le monde, jamais je n’avais eu la chance de poser les yeux sur l’une d’entre elle. On raconte que les graines sont la cristallisation des larmes d’une personne au cœur pur. J’ignore d’où elle provient, mais elle est d’une beauté époustouflante. Sentez-vous le chagrin qu’elle véhicule ?


Aucun d’entre eux ne parla, chacun se perdant dans ses propres pensées. Delilah ne pu retenir ses larmes. La chanson muette de l’ishiola avait des relents de neige, de regret, d’amour éternel et de sang qui trouvèrent un étrange écho en elle. Mack arriva bientôt et malgré sa claudication prononcée dû à un genou en mauvais état, le vieil homme paraissait en bien meilleur forme.


— J’ai réfléchi à votre problème Cortez, annonça le grand-père avec satisfaction. Il m’a fallut fouiller les recoins de ma vieille caboche mais j’ai fini par me souvenir des histoires que me contait mon père étant marmot. Je sais où trouver le temple de Paresse. Hélas, je suis bien mauvais pour décrire les choses, aussi je vous propose de venir avec vous et de vous y mener moi-même en remerciement pour vos actes héroïques.


Cortez serra la main de Mack avec chaleur.

— Merci mon ami, ceci comptait beaucoup pour Courage, assura l’escroc.


Les compagnons quittèrent Fort Corbeau par la porte Nord, à l’opposer de celle qu’ils avaient emprunté pour y pénétrer. Ils descendirent une route escarpée formant des lacets au milieu de ravins aussi étroits que vertigineux. Ils ne virent pas la silhouette de Rael qui les observait, son regard suivant leur progression. Il espérait revoir Delilah un jour, même s’il savait que jamais plus leurs chemins ne se recroiseraient. La mercenaire avait besoin de tourner la page, tirer un trait définitif sur ce passé douloureux dont il faisait partie intégrante. Il descendit les marches de ses nouveaux quartiers en se remémorant les instants passés avec la belle-sœur de Pasquino. Il revit ses sourires dans les bras de son mari, l’éternel ravissement qui ne quittait jamais ses lèvres lorsqu’il lui tenait la main avec ce petit je ne sais quoi de candide. Il se souvint de son effondrement à sa mort, lorsqu’il fit le voyage pour consoler de son mieux son amie fidèle. Il l’avait trouvé défaite, pleurant nuit et jour sur la tombe de Verdell, son âme sœur.


Un matin, elle s’était reprit et l’avait remercié de son soutient, affirmant qu’il lui fallait partir, qu’elle voulait s’éloigner des hauts sommets enneigés pour ne jamais y revenir. Elle l’avait embrassé sur la joue pour lui faire ses adieux et s’en était allée sans un mot de plus. Il s’était recueilli à son tour sur la sépulture qu’elle avait creusé à mains nues, seule, ne cessant pas sa besogne même lorsque ses doigts ensanglantés aux ongles brisés avaient menacé de rompre. Il s’était agenouillé avec respect et son regard était tombé sur un objet brillant, à l’endroit même où la jeune veuve avait pris l’habitude de s’effondrer durant de longues heures, offrant sa peine aux aquilons hurlants. Il avait ramassé l’étrange graine en forme de larme pour l’envelopper dans un mouchoir en velours, se promettant qu’un jour il la planterait en mémoire de cette femme si forte qui lui avait tant appris.


Rael se rendit sur la place et observa l’ishiola dont les pétales d’un noir profond se paraient des couleurs de l’arc-en-ciel au moindre souffle de vent. Il ferma les yeux et laissa la mélopée silencieuse l’envelopper. Elle serait toujours là avec lui, bien qu’elle soit ailleurs. Tant que cette fleur chanterait, il entendrait la voix de la douce Delilah résonner.

*

— Il lui faut un nom ! trancha la voix de la mercenaire d’un ton ne souffrant d’aucune réplique.

— Mais non, il est très bien ainsi, n’est-ce pas mon compagnon à quatre pattes ? demanda Cortez à son rat, juché sur son épaule tel un perroquet.


Ils avaient quitté la route pour s’enfoncer dans une petite forêt. Comme à leurs habitudes, Athlin et Leonhart fermaient la marche sans mot dire, chacun perdu dans ses pensées. Plus loin, Delilah et Cortez se chamaillaient à propos du rongeur. Le flamboyant prenait un malin plaisir à agacer sa camarade, s’assurant ainsi de lui occuper l’esprit afin qu’elle ne ressasse pas les événements récents. Envie marchait de concert avec Mack. Elle avait avoué sa nature au vieil homme qui la régalait de ses récits de jeunesse et elle prit grand plaisir à les écouter. Elle le trouva tout à fait délicieux et il se sentit revivre à son contact.


— Là-bas, désigna Mack en leur dévoilant une mare silencieuse bordée de ruines à demi écroulées. Le temple de Paresse se dressait ici jadis. Je ne peux me joindre à vous pour la suite. Il ne me reste qu’à vous souhaiter bon vent jeunes gens ! Madame, ce fut un honneur de voyager à votre bras, jamais je n’oublierais cette journée !


Envie lui adressa un clin d’œil complice et s’avança pour chercher le portail d’accès au Royaume de Paresse. Leonhart observa Mack s’éloigner et remarqua qu’il ne boitait plus.

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35

35 commentaires

Véronique Rivat

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Il y a 5 ans

,"On raconte que les graines sont la cristallisation des larmes d’une personne" j'adore cet adage !

Sissy Jil Adan'S

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Il y a 5 ans

Je propose Mister Jingles pour le petit rat ^^

Alec Krynn

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Il y a 5 ans

Okay c'est prit !

Sissy Jil Adan'S

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Il y a 5 ans

😍😍 comme dans la ligne verte ❤

Sand Canavaggia

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Il y a 5 ans

Ça me touche toujours beaucoup dans ton écriture ces liens forts entre les êtres ce qui leur donne une énergie et avec cela tu tiens l'émotion au bout de tes mots ...j'aime et tu y ajoutes des moments à la limite du romantisme tendre comme avec cette ishiola et ce petit rongeur intelligent juché sur l'épaule...en passant par ce lien entre Mack et Envie....tu laisses dans des passages comme ce chapitre la trace de ce quil doivent faire tel un équilibre entre leur union complice et les risques pour lesquels tu nous prépare...

la voix du sabre

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Il y a 5 ans

Toujours auss envoûtant !

Arno Rozen

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Il y a 5 ans

Beaucoup d'émotion dans ce chapitre, et une touche de poésie avec cette ishiola chargée de chagrin. J'aime vraiment la richesse de ton univers, ton récit est de plus en plus passionnant 👍

Alec Krynn

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Il y a 5 ans

Merci beaucoup. Je suis heureux d'avoir réussi à faire passer l'émotion que je voulais 😊 Encore merci de suivre mon histoire, j'espère réussir à te passionner avec la suite 😊

Kiran Syrova

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Il y a 5 ans

Encore un chapitre riches en émotion et en beauté :D Les descriptions sont top, comme toujours :)

Alec Krynn

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Il y a 5 ans

Merci beaucoup pour tes commentaires et tes petites corrections 😊
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