Fyctia

Pasquino surplombait la foule et exultait devant la haine qu’il lisait sur les dizaines de visages levés vers lui. Il n’avait que bien trop supporté le comportement exécrable de Delilah. Elle s’était jouée de lui, l’avait brisé maintes fois en faisant naître l’espoir en son cœur, avant de le piétiner sans une once de considération. Il ne pouvait plus supporter pareille injustice, elle allait payer, enfin.

Delilah était bâillonnée et ne pouvait plus émettre le moindre mot. Incapable de se défendre, elle ne pouvait qu’assister impuissante à cette parodie de procès. Les habitants n’avaient cure de ses crimes, ils ne furent même pas énoncés. Ils déversaient juste leur haine et leur ressentiment sur une étrangère, bien heureux que les yeux de leur suzerain ne soient pas tournés sur eux.

Cortez voulu s’interposer mais les gardes se rapprochèrent tandis que la mercenaire était hissée sur une petite estrade.

— Bon sang, jura-t-il entre sens dents. Leonhart, que pouvons-nous faire pour empêcher cela ?

— Rien, siffla-t-il avec haine en observant le Commandant avec hargne. Ce fou furieux est bien trop entouré, au moindre geste nous serions tués.

Mack se recroquevilla sur lui-même et la vision de Pasquino le fit trembler de tous ses membres.

— Il recommence, se plaignit-il à voix basse sous le regard curieux d’Envie. Il a perdu la raison et pendu les fermiers qui avaient du retard sur les taxes. Puis il a enfermé ceux qui se sont élevés contre son acte de cruauté. Il fait régner la terreur et plus personne ne s’interpose à présent…

La Déesse observa Delilah. Elle ne l’appréciait guère, son affection allait plutôt aux mâles de manière générale. Son sort ne lui importait aucunement, pourquoi ce soucierait-elle d’un insecte agaçant après tout ? Pourtant, sa position dans le groupe serait plus confortable si elle usait de ses talents pour sauver son existence. Encore un dilemme savoureux dont toutes les alternatives lui seyaient à la perfection !

Elle resta pensive un instant, pesant le pour et le contre, jusqu’à ce que son regard ne tombe sur Cortez, livide. Elle l’aimait bien dans le fond, avec son caractère enjoué et charmeur. Le voir déprimé gâcherait sa propre humeur, elle ne pouvait le permettre.

— Moi, Pasquino Morozini, Le Grand Judicateur, parangon de justice et de bienveillance, je déclare que cette femme doit mourir ! s’exclama-t-il d’une voix forte et assurée.

Nouvelles acclamations de la foule, accompagnées cette fois d’applaudissements sarcastiques. Les vivats se turent et tous cherchèrent le responsable des yeux. Envie s’approcha de l’estrade d’un pas léger et parada devant les badauds avant d’ouvrir ses bras comme pour embrasser la foule.

— De la bienveillance ? railla-t-elle tout en libérant une partie de son pouvoir autour d’elle. Est-ce bienveillance que de pendre vos paysans parce qu’ils ne peuvent payer les taxes ? Nous avons vu les fermes vides et les animaux presque morts lors de notre arrivée. Est-ce faire preuve de compassion que de pendre d’honnêtes travailleurs et de laisser des bêtes crever de faim ?

Des murmures montèrent de la foule. Cette étrangère n’était pas des leurs, mais pour autant ses paroles ne leurs apparaissaient pas dénuées de sens. Envie secoua la tête et se dirigea vers Mack qu’elle désigna à la foule.

— Regardez ce pauvre homme trouvé dans les geôles ! Contemplez la maigreur de son corps, la peur dans ses yeux écarquillés. Emprisonné et affamé comme un criminel de la pire espèce ! Est-ce là votre conception de la bienveillance, messire Morozini ?

Pasquino prit une teinte pivoine. Qui était-elle pour oser l’accuser de la sorte ? Sa moralité et son jugement n’était pas à remettre en cause. Nul n’était plus enclin que lui à dispenser une justice saine et équitable qui tenait en un seul précepte : faire preuve d’une servilité exemplaire et obéir scrupuleusement au moindre de ses commandements. Tout ceux qui y contrevenaient étaient de facto des hors la loi et n’étaient plus dignes d’aucune miséricorde.

— Tuez-là, maugréa-t-il en désignant Envie d’un geste rageur tandis que la foule grondait sa désapprobation face à sa déclaration.

Morozini observa cette marée humaine et vit le dégoût dans leurs yeux. Comment osaient-ils se montrer si peu reconnaissant, lui qui avait tant donné et sacrifié pour leur garantir bien-être et sécurité ? Tout cela était injuste, la trahison de trop pour cet homme perdu, abandonné par l’essence de sa déité.

— Tuez-les, exterminez-les tous ! hurla-t-il à ses gardes d’une voix dans laquelle la folie était des plus perceptible.

Une partie des gardes chargea la foule et des hurlements résonnèrent tandis que la foule s’éparpillait à l’instar d’une volée de moineaux avisant un félin. Cependant, Envie avait laissé son aura étreindre l’âme des mortels et s’y insinuer en profondeur. Elle leur avait donné le désir ardent de se libérer du joug du tyran, de faire face à son hégémonie et de se dresser pour le renverser quoi qu’il en coûte. La seconde moitié des gardes chargèrent leurs camarades et une véritable bataille rangée se joua sur la place. La chaotique Déesse observa l’anarchie totale qui régnait et y prit un grand plaisir. Ce voyage commençait décidément à être des plus agréables.

Athlin se jeta dans la mêlée et frappa les gardes s’en prenant aux citoyens à l’aide de lourds pavés ramassés çà et là. Cortez mit Pasquino en joue mais le Seigneur le remarqua et s’approcha de Delilah en tirant un couteau d’argent sertit de rubis. Le message était clair, s’il tentait quoique ce soit, la mercenaire tomberait.

Leonhart ne le remarqua pas, trop occupé à lancer divers sorts de protection sur Athlin. Sans son concours, le moustachu aurait déjà péri transpercé par les coups de lances des gardes fidèles au Commandant. Chaque coup qu’il devait dévier lui coûtait énormément d’énergie et il puisait dans ses ressources pour ne pas défaillir, car si une telle chose devait se produire, Athlin périrait dans la seconde.

Pasquino ressentit une grande joie en avisant Rael qui revenait de ses obligations. Enfin un allié indéfectible, quelqu’un qui le comprenait et sur qui il pourrait s’appuyer.

— Rael, à moi ! ordonna-t-il. Protège-moi, abats les intrus !

L’homme avisa Cortez qui tenait son supérieur en joue. Il arma son arbalète et se prépara à décocher un trait mortel lorsqu’il sentit le regard d’Envie sur lui. Il se tourna instinctivement dans sa direction et remarqua son sourire narquois et l’éclat étrange dans ses yeux.

— C’est la fin pour toi Delilah, pour vous tous, jubila son beau-frère. Je vais t’égorger et tes amis crèveront dans…

Il cessa sa tirade et observa le carreau qui perçait sa poitrine. Il tomba à genoux et sentit des mains le soutenir. Il leva son visage pour découvrir Rael penché sur lui.

« Quelle injustice de mourir ainsi », pensa-t-il avant de rendre son dernier souffle.

Envie trembla de plaisir. Il avait réagi à son appel, comme ils le faisaient toujours.