Fyctia
Vestige sentimental
Installé sur son trône, Pasquino ruminait ses pensées en observant Delilah qui se tenait devant lui, tandis qu’il caressait son flanc du bout des doigts, palpant une ancienne blessure toujours douloureuse. La jeune femme était mal à l’aise, son beau-frère n’avait pas dit un seul mot depuis de longues minutes et elle n’osait interrompre le silence. Deux gardes l’entouraient et leurs proximités ne fit qu’attiser son inconfort. Rael l’avait laissé là avant de s’excuser et de vaquer à d’autres obligations à l’extérieur.
Le seigneur de Fort Corbeau poussa un soupir et secoua la tête avec tristesse. Il tendit sa main et fit signe d’approcher à celle qui hantait son cœur depuis si longtemps. La mercenaire s’approcha suffisamment pour être à portée de voix de son ancien amant. Les deux gardes reculèrent avec respect pour leur laisser un peu d’intimité
— Delilah, susurra-t-il à voix basse. Tu m’as tant manqué, ton absence fut un véritable crève-cœur.
Elle pinça les lèvres et ses yeux se plantèrent dans les siens.
— Tu m’as manqué aussi, admit-elle avec sincérité sur le même ton.
Il n’y avait aucune duperie dans ses mots, elle avait songé avec régularité à son premier amour, cet homme doux et si attaché aux idéaux de justices qu’elle avait appris à adorer.
Pasquino s’éclaircit la voix et son regard se fit doux alors qu’il se remémorait les moments passés avec elle. Souhaitant partager le souvenir de l’un d’eux, il se lança sur un ton nostalgique, sa voix un peu plus forte que précédemment.
— Te souviens-tu du jour où nous sommes montés tous deux au sommet de la plus haute tour de ce lieu ? Mon père était alors en vie et il nous avait interdit d’en escalader la façade, sous peine de prendre le fouet. Te remémore-tu lorsque nous avons désobéi et grimpé à la faveur des étoiles ? Je me rappelle le vent nocturne glacial, les pierres froides et glissantes, ainsi que notre entêtement à enfreindre les règles ! Nous avons manqué de peu de nous rompre le cou cette nuit-là, tout ça pour observer le levé de soleil que tu désirais tant voir.
Delilah s’en souvenait comme si c’était hier. Elle revoyait l’ascension, parvenait presque à ressentir la brise caresser son visage en lui rosissant les joues.
— Oui, ce jour restera à jamais gravé en moi, admit-elle avec joie. Jamais je n’oublierais les étoiles au-dessus de nos têtes, le sac de provision, ni cette excellente bouteille de vin de pomme du comté de Bourmomble ! Nous sommes restés là des heures en plein hiver, emmitouflés à l’intérieur de cette vieille couverture subtilisée dans la caserne. Grand Dieu, qu’elle était rêche et inconfortable !
Pasquino ne pu retenir un éclat de rire à la mention de cette satanée courtepointe.
— Ce fut une nuit mémorable, se livra-t-il avec regret. L’une des dernières que nous ayons passé ensemble.
Delilah s’empourpra. Elle se remémorait fort bien de la manière dont ils avaient tué le temps en attendant les premières lueurs de l’aurore. Le souvenir de leurs corps nus s’unissant, la chaleur de leurs ébats se mélangeant à la température glaciale de cette nuit hiémale. Elle se souvint du désir ardent réchauffant leurs âmes, le brasier insoutenable dominant sans partage sous cette couverture âpre qui trempait leur corps de sueur, aussi glacée que délicieuse. Elle revivait le frisson du vent alors que chacun expérimentait l’anatomie de l’autre, l’extase des caresses brûlantes dans les ténèbres de la nuit, l’odeur de la transpiration se mélangeant aux fluides sexuels. Elle se rappela l’incandescence entre ses reins, les mains inquisitrices sur sa poitrine alors qu’elle le chevauchait avec pour seuls témoins les étoiles, innombrables et si hautes dans le ciel, qui garderaient à jamais le secret de leurs ébats. Au cours de cette nuit durant laquelle le feu et la glace avaient pris possession de son corps, elle avait appris à donner et à recevoir, à dominer et à se soumettre. Elle était devenue pleinement femme, prenant la mesure d’elle-même, succombant au plaisir charnel, tant et si bien qu’elle y perdit son esprit en chemin, au profit d’une jouissance toute animale, tant ils expérimentèrent chaque partie de leurs êtres jusqu’à l’épuisement complet.
Delilah n’osait plus regarder son interlocuteur. Pasquino garda le silence un instant, se remémorant le plus merveilleux souvenir de son existence.
— Nous avons fini par voir l’aurore éclairer le monde et le spectacle, bien que magnifique, ne valait rien à coté de la nuit que nous venions de passer. Puis nous sommes redescendus de cette tour avant que le Fort ne s’éveille. Tu es repartie le lendemain matin avec tes parents. Lorsque je te revis plusieurs mois plus tard, je fis l’erreur – pour ton plus grand bien – de te présenter mon frère. Tu t’es entichée de lui puis, mes devoirs de fils aîné aidant, tu as fini par le préférer à moi.
Delilah voulut parler, mais il l’interrompit d’un simple geste de la main.
— Je ne t’en ai pas tenu rigueur. J’ai été heureux pour vous deux et nulle rancœur ne gangrena mon cœur, pas même lorsque mon frère m’annonça votre union. Je vous ai regardé vous épouser et une joie immense m’a étreint. Mon frère adoré et la femme que j’aimais, ensemble. Je n’aurai su en concevoir plus grande joie malgré l’amertume de ne pas être le choisi.
— Pasquino, je…
— Non douce Delilah, les mots sont inutiles ici. Le cœur a ses raisons et j’ai fait mon deuil. Jamais je n’ai cessé de prendre des nouvelles de vous et je sais que ton existence fut douce. Sa mort me peina et mes obligations me retenant ici, je ne fus pas en mesure de faire le déplacement.
Pasquino se lécha les lèvres, puis sembla hésiter un court instant.
— Il me faut savoir, ressens-tu de la colère à mon égard ? T’ai-je déplu d’une quelconque façon ? demanda-t-il d’une voix dure et glaciale. J’avais supposé, à tort semble-t-il, qu’avec la disparition de mon frère, tu reviendrais ici et que peut-être ensemble nous reprendrions notre histoire. Sais-tu que jamais je n’ai pris épouse ? J’ai passé mon existence à espérer que tu me reviendrais.
Delilah ne dit mot, prenant la mesure du sacrifice silencieux de son amour de jeunesse. Jamais elle n’aurait imaginé qu’il l’attendrait.
— J’avais fini par me faire une raison. Puis tu es revenue ici, tu t’es présentée devant moi et mon cœur à bondit dans ma poitrine. Tel un fou, j’ai supposé que tu revenais enfin pour moi. Pourquoi me fais tu cela Delilah, pourquoi me faire ainsi souffrir ? N’ai-je pas assez donné, suffisamment souffert pour ton bonheur ?
Pasquino fit un curieux signe et les deux gardes s’avancèrent pour saisir Delilah par les bras. Il se leva et pointa un doigt accusateur sur la jeune femme frappée de mutisme face à cette situation qui lui échappait.
— Tu es une sorcière Delilah, un être malfaisant et exécrable. Tu ne vis que pour me tourmenter et cela n’a que bien trop duré. Moi, Pasquino Morozini, Seigneur de Fort Corbeau, te condamne à mort par pendaison.
19 commentaires
Caro Handon
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Il y a 5 ans
Herrade_Riard
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Il y a 5 ans
Sissy Jil Adan'S
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Il y a 5 ans
dreamybookaddict
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Véronique Rivat
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Alec Krynn
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Véronique Rivat
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Sissy Batzy
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Alec Krynn
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barbaralaine
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Il y a 5 ans