Fyctia

Cortez déambulait dans la rue, suivi de près par Athlin. Il essayait tant bien que mal d’initier son compagnon aux arcanes du marchandage qu’il maîtrisait à la perfection. Hélas, le petit homme était loin d’être l’apprenti dont il avait rêvé. Il bafouillait avec gêne dès la première phrase, n’osait regarder son interlocuteur dans les yeux et ne possédait pas la moindre once d’assurance dans la voix. Résultat, Athlin était à présent l’heureux propriétaire d’un minuscule poignard dont il n’avait pas la moindre utilité, d’une bague d’argent payée trois fois son prix véritable et d’une étrange pousse de fleur supposée être magique, qu’il avait glissé dans sa sacoche avec précaution. Le fringuant dû se rendre à l’évidence, Athlin était ce que l’on appelait communément un gogo.

Cortez fit de son mieux pour lui montrer l’exemple. Il se dévoila dans toute sa splendeur, éloquent, charmant autant que charmeur, prompt à donner du messire au plus humble des commerçants. Il faisait honneur à la marchandise de chaque camelot, s’extasiait sur leur savoir-faire exceptionnel, avait toujours un bon mot ou un compliment à la bouche pour réchauffer les cœurs. Sans qu’ils ne s’en rendent compte, les braves hommes, hypnotisés par sa sophistication, lui offraient des rabais sur leurs marchandises et le remerciaient avec chaleur et courbettes pour ses achats.

— Tu vois, il n’y a rien de compliqué, affirma-t-il avec un rire joyeux en répartissant ses nombreuses possessions entres ses multiples poches et son paquetage.

Ni lui, ni Cortez ne remarquèrent l’individu qui les filait avec sournoiserie.

*

— Je suis à la recherche d’un vieil homme, déclara Delilah à son beau-frère. Courage nous a indiqué qu’il vivait ici, entre les murs de ta forteresse.

— Ce bon vieux Dieu ! Où est-il, vous ne voyagez pas ensemble ? demanda-t-il en observant les compagnons de la mercenaire comme s’il s’attendait à apercevoir le petit démiurge sortir de derrière une tenture.

Delilah ne répondit pas et son regard suffit à moucher l’enthousiasme de Pasquino.

— Orgueil, marmonna-t-il avec dégoût, comprenant en un éclair. Resteras-tu ici quelques temps avec tes compagnons ? Tu sais que ta présence est toujours un plaisir pour moi.

— Juste le temps de trouver l’homme que nous cherchons. Nous repartirons dans deux, trois jours maximums.

Pasquino Morozini ressentit une profonde douleur à cette révélation. Il avait accepté avec classe et stoïcisme la fin de leur relation et ses épousailles avec son jeune frère, bien que son cœur en souffrît. Il était parvenu à juguler à grand peine sa déception, après la mort de son cadet, de ne pas la voir revenir à Fort Corbeau, la jeune femme préférant alors se lancer dans une existence dissolue, une vie de mercenaire sans attache alors qu’il restait là, espérant qu’elle lui revienne. À présent elle se tenait devant lui et bien qu’elle se montre heureuse de le revoir, il décelait dans l’éclat de ses yeux l’absence de cette émotion que lui-même ressentait à son égard.

— J’espérais te voir rester plus longtemps, bien plus pour être honnête, avoua-t-il à mi-mot en scrutant ses traits avant de pousser un soupir. J’espère que tu trouveras ce que tu es venu chercher. Si tu as besoin de quoi que ce soit, ma porte restera ouverte à tes amis et toi-même.

Delilah embrassa la joue de Pasquino avec tendresse. Elle espérait par ce geste lui exprimer sa gratitude et qu’il comprenne les regrets qui la tourmentaient. Incapable de se défaire de l’image de son aimé, elle n’avait pu se résoudre à confier son cœur à un autre homme, même à son premier amour.

Envie trouvait cet échange d’un ennui sans nom et elle crut périr tant l’échange lui apparaissait dégoulinant de bons sentiments. Avant de quitter la salle, elle se retourna pour observer l’homme plus en détail et sonder son âme, plus par jeux et curiosité que réel intérêt. Elle ressentit tout de suite le vide béant dans son âme, juste là, à l’endroit où devrait se nicher la place de sa déité. Elle écarquilla les yeux et sortit en silence, un vague sourire ornant ses lèvres.

Lord Morozini se rassit sur son trône en observant l’étrange femme disparaître dans le couloir. Non, la rencontre ne s’était pas déroulée comme il l’avait maintes fois rêvé. Il s’était joué la scène des centaines de fois dans son esprit. Delilah revenant enfin à ses côtés, le cœur lourd de sa terrible méprise. Lui, bon seigneur, lui pardonnant dans la seconde et la couvrant de son amour. Hélas, le cruel destin qui était le sien se jouait de lui une fois de plus. Elle n’était là que par un stupide concours de circonstances.

Ses mains agrippèrent ses accoudoirs avec force et ses sourcils se froncèrent. Tout cela était profondément injuste. Il tritura sa chevalière avec mauvaise humeur. Comment avait-elle osé se jouer ainsi de lui, une fois de plus ?

Leonhart était quelque peu déçu. Il s’était attendu à découvrir un aristocrate fier, un être digne et sophistiqué. En lieu et place de cela, il s’était tenu face à un homme vieillissant, sans grande prestance, un simple chef militaire de petite envergure. Il était bien loin le noble avec qui il aurait aimé deviser. Lord Pasquino n’était qu’un vulgaire militaire, un homme sans réel pouvoir et aucune influence en dehors de son fortin insignifiant.

Envie passa devant lui et l’étrange sourire qu’elle arborait ne lui évoquait rien de bon.

— Pourquoi une telle bonne humeur ? lui demanda-t-il sans s’encombrer de finesse, une fois qu’ils eurent quitté la demeure du commandant.

— Cet homme recèle bien plus qu’il ne le laisse paraître, minauda-t-elle avec innocence. Je pensais que toi aussi tu le ressentirais, au vu de ce que tu es.

Leonhart resta un instant interdit. Que savait-elle sur lui ? Ce pouvait-il qu’elle soit en mesure de voir à travers lui, de deviner sa véritable nature ?

— Ne fais pas cette tête mon cher petit, continua-t-elle à voix basse en se saisissant de sa main. Je ne sais pas avec exactitude ce que tu es, mais je te promets de le découvrir.

Cette simple promesse, d’apparence innocente, le glaça d’effroi. Si elle venait à découvrir son véritable rôle dans cette quête, alors il ne donnait pas cher de sa peau. Il haussa un sourcil et prit le parti d’en rire afin de masquer son trouble.

— J’ai hâte de te voir essayer. Nous verrons ainsi qui de nous sera le plus surprit.

Delilah fit de grands gestes à Cortez et Athlin qu’elle repéra non loin. Les deux amis discutèrent un peu à l’écart, tandis que le magicien se rendit auprès du guérisseur.

— Il semblerait que je sois un piètre marchand, se plaignit-il en dévoilant ses achats au mage guindé.

— Ne sois pas trop dur avec toi-même, le reprit-il avec douceur. Tu as bien d’autres qualités et il me plairait de passer davantage de temps en ta compagnie.

Athlin lui sourit et Leonhart comprit qu’il ressentait une sincère compassion pour cet homme rustique.