Fyctia
Morozini
La porte protesta avec force et s’ouvrit avec une lenteur qui mit Envie sur les nerfs. Ne pouvaient-ils pas faire cela un peu plus vite ? Elle supportait avec difficulté d’attendre comme un vulgaire laquais et ressentait le besoin légitime de massacrer les gardes. Elle s’imposa le calme et lorsque les portes furent enfin suffisamment ouvertes pour permettre le passage, elle s’engouffra à l’intérieur sans un mot ni aucun regard pour les deux sentinelles.
Athlin fut stupéfait à la vue de la concentration humaine évoluant dans l’enceinte du fort. Jamais de toute son existence il n’avait vu autant de personne à la fois et c’est une véritable marée humaine fourmillante et vaquant à ses occupations qui s’étalait devant ses yeux ébahis. Leonhart observa le lieu d’un œil critique. Le pavé était crasseux et aurait mérité un bon balayage. Une véritable procession de demeures semblait avoir poussé telles de mauvaises herbes rebelles dans un désordre apparent.
La place centrale était constituée d’un puits en pierre côtoyé par un arbre immense aux branches dépourvues de feuillage. Ses racines noueuses s’enfonçaient dans le sol en soulevant les pavés alentours, mais c’est dans ses hauteurs que le véritable spectacle se jouait. Une dizaine de pendus se balançaient à plus de seize pieds de hauts. Si certains étaient encore reconnaissables, d’autres, bien plus ancien, offraient divers états de décomposition à tous les passants.
— Charmant, commenta Cortez avec une grimace. Une coutume locale je suppose ?
— Il n’y en a pas tant d’ordinaire, s’étonna Delilah sous les regards interloqués de ses camarades tandis qu’elle haussait les épaules. Sans doute des brigands ou des traîtres, je ne vois pas d’autres explications. Quoi qu’il en soit, nous devrions nous présenter à lui, je suis certaine qu’il se montrera des plus heureux à nous venir en aide.
Delilah avait hâte de retrouver son vieil ami. Elle ressentit une curieuse émotion à l’idée de le revoir après tant d’années de silence durant lesquelles elle avait mit toute son énergie à éviter la région. Elle avait craint, à juste titre, que revoir son visage n’éveille des souvenirs douloureux en elle.
— Je vais rester ici, déclara Cortez en lorgnant les échoppes non loin. Je peux sans doute faire quelques bonnes affaires ici.
La lueur malicieuse dans ses yeux laissait penser à la mercenaire qu’il userait sans doute de son éloquence légendaire pour embobiner un pauvre artisan quelconque en lui faisant miroiter une opportunité exceptionnelle.
— Je vais rester avec lui, décida Athlin. Je préfère être à l’extérieur et j’aimerais beaucoup assister au marchandage de notre compagnon à la langue si bien pendue.
— Ah ! Je vais faire de toi un chicaneur de premier ordre mon ami, plus aucun commerçant ne te résistera !
C’est accompagné de Leonhart et d’Envie que Delilah se présenta à la porte principale des quartiers privés du Commandant. Elle n’aurait pu espérer plus triste escorte. Le mage, en dépit de son jeune âge, lui faisait l’effet d’être en compagnie d’un aïeul acariâtre, tandis que la Déesse ne provoquait qu’un profond malaise en elle. Comment un être aussi puissant pouvait-il revêtir une apparence si innocente ?
Deux gardes devisaient à voix basses devant l’entrée de la demeure du Lord. Les voyants approcher, celui du droite, un tout jeune homme à peine sorti de l’adolescence, s’interposa sur leur route, son épée en avant.
— Halte ! cracha-t-il d’une voix mal assurée. Il s’agit des quartiers privés du Lord Pasquino Morozini, nul ne peut passer.
— Crétin, siffla l’autre, un vétéran à en croire ses rides et ses cheveux blanchis. Il s’agit de dame Delilah. Si tu l’empêche d’entrer je t’assure qu’il pourrait bien te faire moisir dans une geôle sans que jamais plus un rayon de soleil n’effleure ta peau.
La sentinelle fut douchée par la menace et s’adossa au mur en grommelant. Leonhart ricana devant sa déconfiture et Envie lui lança un regard méprisant en représailles. Elle détestait l’arrogance du magicien qui lui rappelait de manière désagréable son frère.
Tous trois entrèrent et un serviteur les accueillit pour les guider à travers un long couloir de pierres grises ornementé de quelques torches. Ils débouchèrent sur une large salle rectangulaire dans laquelle reposait un trône de bois d’une simplicité déconcertante, entouré de deux étendards noirs et or. Leonhart eut un claquement de langue appréciateur en avisant la hauteur du plafond qui lui évoqua les pièces démesurées de sa demeure familiale. Il se dévissa le cou pour apercevoir l’homme occupant le trône et fut bousculé sans le moindre ménagement par Envie qui lui tira la langue lorsqu’il se racla la gorge devant ce manquement criant à la bienséance.
L’homme aux cheveux courts et à la barbe rasée de près les observa s’avancer avec un total désintérêt. Un petit individu vêtu d’un chapeau vert, ressemblant à un coussin reposant avec mollesse sur son crâne, prit la parole d’une voix criarde.
— Bienvenue à vous étrangers. Vous voici en présence du maître de ces lieux, Lord Pasquino Morozini, l’Aumônier Impartial, le Grand Judicateur, le…
Le commandant leva la main pour faire taire son majordome. L’énonciation de ces titres ronflants l’agaçait au plus haut point. Il ne souhaitait rien tant que répondre à la doléance de ces voyageurs et s’occuper d’affaires bien plus importantes.
— Avancez, voyageur, demanda-t-il d’un ton las et harassé. Je ne crois pas vous connaitre et…
Il s’interrompit alors que Delilah avançait devant le trône. Les mains de Pasquino saisirent les accoudoirs à s’en faire blanchir les jointures et il se leva d’un bond. Se pouvait-il qu’elle soit de retour après autant de temps ? Il l’avait espéré durant des mois, puis des années. Était-ce un mirage, un mauvais tour de son esprit ? Elle fit encore quelques pas et le doute ne fut plus permis.
Le Commandant du fort marcha à la rencontre de Delilah, puis parcouru la distance restante en courant, avant de la saisir dans ses bras et de lui donner une profonde accolade. Son cœur fit un bond lorsqu’il réalisa qu’elle était bel et bien revenue et il en conçu une immense joie.
— Il y a bien longtemps que nous ne nous étions rencontrés Delilah ! s’extasia-t-il tout en brisant leur étreinte et en reculant d’un pas.
Delilah fut heureuse de voir qu’il était toujours fidèle au souvenir qu’elle gardait de lui. Elle revoyait le jeune homme qui l’avait séduite, son premier amour, avant qu’elle ne rencontre son époux.
— Des années, répondit-elle avec culpabilité. Depuis la mort de mon époux à dire vrai.
Pasquino posa une main sur son épaule pour lui apporter un peu de réconfort.
— Moi aussi il me manque. Mon frère était quelqu’un d’exceptionnel à n’en pas douter.
Delilah Morozini sourit à son hôte. Comme elle l’avait craint, revoir cet homme lui arracha le cœur tant il lui rappelait son tendre époux.
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