Alec Krynn La Vertu du Péché Légèreté

Légèreté

Ils marchaient depuis des heures lorsque la faim les obligea à faire halte le long du fleuve. Cortez s’activa à prélever de l’eau et à la faire bouillir dans une petite casserole afin de la rendre propre à la consommation. Delilah paraissait pensive et n’avait dit mot depuis leur réveil à l’aube. La jeune femme avait la curieuse impression que quelque chose clochait dans la région, bien qu’elle soit incapable de mettre le doigt dessus. Elle en concevait une grande contrariété qui se faisait ressentir dans son humeur distante et grognonne.

Privé de sa compagnie et ne souhaitant pas ajouter à son irritabilité, Cortez évita soigneusement son voisinage et décida de s’intéresser un peu plus à ses autres compagnons mâles. Hélas pour lui, leurs compagnies ne lui convinrent pas autant que celle de la mercenaire. Leonhart était d’une austérité à faire fuir un spectre, jamais il n’avait côtoyé personnage si lugubre et si peu enclin à la conversation. Ces tentatives désespérées d’entamer le dialogue se soldèrent invariablement par des réponses courtes et aussi sèches que l’haleine d’un requin sable, lorsqu’il ne se contentait pas d’un grommellement. Il n’eut guère plus de chance du côté d’Athlin. Le petit homme paraissant hors d’atteinte. Les larmes ne coulaient plus mais il arborait un visage creux et dénué d’expression.

De son côté, le mage supportait avec difficulté les intrusions de ce pétrousquin dans ses pensées. Cortez représentait la quintessence de ce qu’il exécrait. Ce n’était qu’un béotien, un ignare de basse extraction. Il l’insupportait au plus haut point tant il le concevait comme inférieur à lui. Après tout qu’était-il en comparaison de lui, le digne héritier de la maison Haerton dont l’existence avait été millimétrée et faite de tant de contraintes qu’il ne pouvait s’en rappeler le quart ? Il avait tant souffert, tant sacrifié pour cette vie qu’on lui avait imposé dès la naissance.

Une fois l’eau purifiée, chacun bu à sa soif et le reste du liquide fut stocké dans trois gourdes en peau de chèvres. Envie se joignit à eux et Cortez lui en tendit une qu’elle saisit en le remerciant. Elle avait décidé de juguler son aura au maximum et de n’en laisser filtrer qu’un mince filet afin de ne pas provoquer de réaction étrange chez le filou qui lui vaudrait les regards désapprobateurs de ses nouveaux compagnons de jeu.

— Que mange-t-on ? demanda-t-elle avec inquiétude en les observant mâchonner de fines tranches de viandes séchées.

Envie avait une sainte horreur de la chair desséchée. Elle honnissait ce gout de sel proéminent qui envahissait sa bouche lorsqu’elle mastiquait avec peine cette pauvre pitance à la consistance de cuir tanné.

— C’est Courage qui portait l’essentiel de nos vivres, lui apprit Leonhart d’un ton cassant comme le verre. Je doute que nos provisions aient survécu à l’explosion provoquée par le combat, il va donc falloir vous contenter de ce que nous possédons, à moins que vous n’ayez le désir de tester la comestibilité des racines.

Athlin ressentit de la peine pour Envie. Elle lui rappelait lui et ses premiers instants en compagnie de Cortez et Delilah, lorsqu’ils le jugeaient étrange et ne faisaient que peu cas de sa présence. Il comprenait la position délicate dans laquelle elle se trouvait et il se décida de lui venir en aide.

— Si vous aimez le poisson, je peux vous en attraper.

Envie parut réfléchir un court instant puis hocha la tête pour signifier sa réponse.

— Nous n’avons aucun matériel pour ça, fit remarquer Delilah dans un soupir.

Mais Athlin ne l’écoutait pas. Debout au bord du fleuve, il scrutait le fond de l’eau avec calme et immobilité. Au bout de quelques instants, son bras fendit les flots avec la vitesse du serpent et la seconde d’après il brandissait un omble de belle taille et bien charnu.

Delilah fit les yeux ronds et Cortez éclata de rire. Leonhart pour sa part trouvait le petit homme de plus en plus intéressant et plein de ressources. S’il avait eu un tel allié à ses côtés durant sa jeunesse, sans doute sa vie aurait-elle prit un tout autre chemin.

Envie eut un sourire ravi et frappa ses mains l’une contre l’autre afin de signifier sa joie. Fort de l’attention qu’il suscitait, Athlin n’en resta pas là et sortit deux autres poissons avec la même méthode.

Le magicien se proposa de s’occuper de leurs cuissons et conjura un petit feu d’un simple mot suivit d’un claquement de doigt. Delilah se chargea de les faire passer de vie à trépas d’un petit coup de pommeau sur la tête afin de ne pas les faire souffrir de manière inutile. Envie amena trois petites branches qu’elle tailla en pointe à l’aide de son poignard. Quelques minutes plus tard, les trois ombles grillaient paisiblement, dégageant une douce odeur de chair grillée. Les compagnons mangèrent à leur faim et l’humeur général était excellente. Tous rirent de bon cœur lorsque Cortez, certain de pouvoir en faire autant, tomba avec maladresse dans la rivière en poussant un cri d’orfraie.

Dégoulinant et blessé dans son orgueil, Cortez reprit la route avec ses compagnons. L’étrange attirance qu’il ressentait pour Envie s’était comme envolée. Il la trouvait toujours attirante et désirable, ça oui, mais il ne ressentait plus la jalousie maladive qui l’avait submergé lorsqu’elle avait approché Leonhart. Elle répondait volontiers à ses regards lorsqu’elle les surprenait et il y trouvait un certain réconfort.

Remontant le fleuve, ils ne tardèrent pas à passer à proximité des fermes annonçant les environs de Fort Corbeau. Les clôtures de bois entouraient de larges pâturages dans lesquels des ruminants et des volailles s’ébattaient paisiblement. Delilah chercha les paysans des yeux mais n’en vit aucun. Le chemin de terre se mua en chaussée pavée à mesure que l’immense fort se dressait sur leur route. Les fermes se multiplièrent et dans certaines les animaux paraissaient être mal-en-point et apparurent d’une maigreur alarmante. Une épidémie sévissait-elle dans la région ? Les bêtes faisaient peine à voir et Athlin ressentit une profonde tristesse teintée de colère. Comment pouvait-on laisser ainsi souffrir des bêtes ? Lui qui avait vécu en osmose avec les créatures de la Forêt Blanche ne parvenait pas à concevoir une telle cruauté.

— Quelque chose cloche, s’inquiéta Delilah alors que les gargantuesques portes de bois cerclées de fer du Fort se dressaient devant eux.

— Comment ça ? s’enquit Envie avec insouciance. Je ne vois rien d’alarmant, nous n’avons même pas été fouillés sur la route.

— Précisément. Je suis déjà venue plusieurs fois par le passé pour des contrats et c’est bien la première fois qu’aucun garde ne patrouille sur cette route.

Cortez posa une main apaisante sur son épaule.

— Ce n’est pas une si mauvaise chose, avança-t-il avec bonne humeur. Je n’aime pas trop que l’on fouille dans mes affaires.

Les gardes devant la lourde porte grognèrent à leur approche et actionnèrent l’antique mécanisme d’ouverture.

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18 commentaires

Luna-Bella-Me

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Il y a 5 ans

Si seulement ils pouvaient baignés dans cet atmosphère bonne enfant plus longtemps 😍🤩. Mais c'est juste le calme avant la tempête je pense. Ils sont tous si différent et c'est ça qui fait leur force

Phaenna SH.

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Il y a 5 ans

Très bon chapitre,j'aime trop le vocabulaire et les interactions entre les personnages 😁.

Alec Krynn

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Il y a 5 ans

Merci, ravis que ça te plaise 😊

DannyJ

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Il y a 5 ans

j'ai apprécié ce chapitre bien calme, avec des rires, des ombles et des feux de camps dans la Nature. Ca présage quelque chose... :p Tes descriptions sont toujours aussi bien menées, bravo !

Alec Krynn

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Il y a 5 ans

Merci beaucoup c'est gentil 😊

Herrade_Riard

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Il y a 5 ans

Méfiance méfiance...

Sand Canavaggia

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Il y a 5 ans

Ils avancent avec des moments plus conviviaux et arrivés devant ce Fort il y a un constat que je me fais, la traversée sans gens de ferme, animaux mal en point, pas de gardes...tu vas rebondir là-dessus, il y a une raison je le sais, je dois continuer...

Véronique Rivat

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Il y a 5 ans

C'est le calme avant la tempête ?

Kiran Syrova

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Il y a 5 ans

Un passage court et d'une tranquillité étonnante. Évidemment, le calme fait place à la tempête. Que réserves-tu à cette troupe ? Mystère et crotte de nez.

Lyaminh

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Il y a 5 ans

Un chapitre tranquille qui présage probablement d'une suite plus tumultueuse... Derrière ces portes probablement... 😉
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