Fyctia

Orgueil ne parvenait pas à s’extirper des bras de Courage. Il le frappa avec toute sa fureur et brisa ses os en moult endroits sans que celui-ci ne relâche son étreinte. Une vive lueur l’aveugla tandis que le corps de son adversaire émettait une chaleur de plus en plus intense. Il ressentit l’accumulation d’énergie atteindre un seuil critique et sut qu’il était trop tard. Il ferma les yeux et serra les dents, fou de rage.

Une explosion de lumière éclaira le crépuscule et ce fut comme si le soleil envahissait le plateau. Le phénomène dura quelques secondes puis les ténèbres revinrent, accompagnés d’un nuage de poussière. Orgueil en émergea groggy, son corps fumait et son bras droit arraché laissait échapper une partie de son énergie. Il lui faudrait du temps pour se remettre de la blessure, pour que son corps reforme son membre manquant.

Il n’en avait cure cependant. Bien qu’ayant perdu le combat, la bataille était sienne, aucun doute là-dessus. Il se félicita de sa prévoyance, s’il n’avait pas ingéré une partie de l’énergie de Colère et Justice, sans doute aurait-il péri lui aussi dans la déflagration. Il chercha des yeux la carcasse de chair accueillant l’essence du Courage. Il la trouva non loin, disloquée et brûlée, une fine brume argentée voletant autour avec lenteur. Il s’en approcha puis déboucha l’un de ses flacons de verre dont il était si fier. La substance divine entra dans le récipient avec difficulté, comme aspirée contre son gré. Elle parut lutter pour ressortir, mais Orgueil scella la fiole avec un sourire victorieux. Il lui tardait de pouvoir se repaître d’une partie du Dieu, d’ajouter son énergie à la sienne.

Orgueil aurait voulu pouvoir poursuivre sa sœur et lui réserver le même sort. Hélas, son état physique nécessitait qu’il retourne dans sa dimension pour y lécher ses plaies comme le prédateur qu’il s’estimait être. Son regard se porta une ultime fois le corps inanimé à ses pieds. L’entaille cruelle qui perçait son flan le laissait perplexe. Pourquoi Envie avait-elle poignardé son camarade ? L’évidence s’imposa à lui. Envie n’était peut-être pas son adversaire. Sans doute espérait-elle qu’il l’épargne. Il eut un rire indulgent. Il l’aimait tant. Souhaitait-il l’avoir à son coté ou mélanger son essence à la sienne ? Il haussa les épaules, incapable de répondre à cette question, seul le temps le lui dirait. Par chance il en avait à foison.

Le pas traînant, il prit la direction de l’est le cœur léger. Elle l’aimait toujours, il en était persuadé à présent.

*

Envie fermait la marche. La nuit les enveloppait presque et leur progression entre les arbres en devint si dangereuse qu’ils s’arrêtèrent au milieu des fougères. La déesse profita de cet instant de solitude pour nettoyer la lame de sa dague sur la large feuille d’une des plantes l’entourant. Elle n’avait pas eu le moindre remord en poignardant le flanc de son ancien amant lors de sa dernière étreinte. Elle espérait ainsi prouver à Orgueil qu’elle n’était pas son ennemie. Sans doute avait-il remarqué son petit cadeau. Elle ne doutait pas un seul instant qu’il lui plairait, il avait toujours été friand des petites attentions de sa sœur, d’autant plus lorsqu’elles étaient des plus sournoises.

Elle observa les humains. Le magicien paraissait avoir repris ses esprits ainsi que le contrôle total de lui-même. La femme humaine dont elle avait oublié le nom était tendue et ne cessait de jeter des regards furtifs en direction de l’explosion lumineuse. Elle surprit à plusieurs reprises ses regards suspicieux. Il lui faudrait gagner sa confiance ou se débarrasser d’elle si elle voulait atteindre son objectif.

Cortez la couvait du regard et elle savait que l’attirance n’était pas juste physique. Il résonnait à la perfection avec son essence, bien plus qu’aucun de ses élus ne l’avaient jamais fait. Elle savait que si elle le travaillait avec assiduité, le jeune homme flamboyant serait son dévoué serviteur, son âme damnée. Le petit homme bedonnant quant à lui avait sombré dans la catatonie. Depuis l’explosion il n’esquissait plus le moindre mouvement, se contentant de rester debout et d’observer le lieu de la détonation, les larmes maculant ses joues en silence. Courage défait, son comportement s’en trouverait changé dans les jours suivant sans que personne ne puisse prévoir dans quelle mesure son tempérament évoluerait.

— Reprenez-vous, les encouragea-t-elle d’une voix douce et compatissante. Je sais que vous souffrez mais nous avons une mission à accomplir, une quête à achever.

Leonhart étudia ses traits. Elle manigançait quelque chose il en était certain. Son empressement à poursuivre leur entreprise était des plus suspects à ses yeux. Il allait la surveiller de près sans en avertir les autres. Si elle se sentait épiée, Envie pourrait décider de les laisser tomber voir pire, de passer ses nerfs sur eux. Mieux valait qu’il garde ses doutes pour lui.

— Nous aiderez-vous vraiment ? demanda Delilah avec angoisse. Il est dit que vous êtes sa sœur, qu’est-ce qui nous prouve que vous ne nous menez pas dans un piège ?

Envie ouvrit la bouche tout en tendant une main vers la mercenaire avant de se raviser. Delilah ressentit une pointe de regret en constatant sa mine défaite. Ce pouvait-il que la Déesse souffre d’être ainsi associé à son odieux jumeau ?

— Pardonnez-moi, reprit-elle, radoucie par l’attitude de la déité. Vous représentez notre dernière chance et je suis quelque peu perdue face aux événements récents.

Envie haussa les épaules et écarta les excuses d’un geste de la main comme si tout cela n’avait pas la moindre importance.

— Orgueil doit être stoppé, assura-t-elle d’une voix déterminée. Nous allons remplir l’amulette et lui offrir la fin qu’il mérite. Pour le moment reposons nous, progresser dans le noir est une mauvaise idée, nous reprendrons notre route demain à l’aube, si toutefois vous acceptez de me venir en aide et de me guider.

Les humains se rassemblèrent et la laissèrent un peu à l’écart, ne souhaitant pas l’inclure dans leurs conversations. Elle s’installa plus loin, leur laissant toute l’intimité dont ils avaient besoin. Nul doute que la conversation porterait sur elle et le crédit qu’ils pouvaient accorder à ses paroles. Cortez lui jeta un regard curieux et elle lui répondit par un petit signe de la main. Elle comptait sur lui pour se faire accepter dans leur groupe. Elle avait besoin qu’ils croient en elle afin qu’elle ait l’amplitude nécessaire pour mener ses désirs à bien.

Le sommeil l’emporta et les rêves vinrent à elle. De délicieux songes dans lesquels elle punissait son jumeau et où il la suppliait. D’autres où elle prenait son essence et celles de tous les autres Dieux pour devenir l’Unique, la seule créature à même d’être révérée, une force cosmique inarrêtable. Enfin, un dernier rêve la visita. Dans celui-là, elle offrait l’amulette à son frère pour qu’ensemble ils règnent à jamais, modelant le monde selon leurs caprices.