Fyctia

Envie observait le nouveau venu et un maelstrom d’émotions divergentes la submergea. Le besoin irrépressible de se jeter dans ses bras et de l’enlacer, d’enfouir son visage dans son cou et de sentir son cœur battre à l’unisson du sien. Le désir ardent de l’anéantir, de réduire son corps si attrayant en charpie, de lui rendre au centuple la blessure béante qu’il lui avait infligé en sa chair et son âme lorsqu’il s’était retourné contre elle. Incapable de se décider, elle resta immobile et ne put qu’assister à l’avancée de son frère.

— Ma bien chère sœur, salua Orgueil de sa voix sensuelle et rauque. Il y a bien longtemps que je ne t’ai vu, je m’apprêtais à te rendre visite, je ne m’attendais pas à trouver deux Dieux pour le prix d’un.

Leonhart s’appuya sur Athlin qui l’observa avec inquiétude. Bien plus sensibles aux auras que ses compagnons, il avait le plus grand mal à rester stoïque face à la puissance émanant du corps d’Orgueil.

— Comment oses-tu ? fulmina Envie en s’avançant de quelques pas avant d’être retenue par le bras de Courage.

Son frère se contenta de hausser un sourcil avant d’éclater d’un rire moqueur. Il fit encore quelque pas dans leur direction.

— Avons-nous la moindre chance ? chuchota le petit Dieu sans un regard pour son alliée de circonstance.

— Non, aucune, reconnue-t-elle avec sincérité. Ne sens-tu pas l’énergie qu’il dégage ?

Orgueil était en liesse. Tout se déroulait pour le mieux dans son ascension au trône qui lui revenait de droit. Déjà trois Divinités hors-jeux, et maintenant Courage et sa stupide sœur aussi instable que désirable se dressaient devant lui, comme offerts sur un plateau d’argent. Suspicieux, il remarqua les humains postés en arrière et entreprit de sonder leurs âmes. Aucun d’eux ne réagissait à son essence mais le dernier, un curieux spécimen aux yeux mauves, paraissait morcelé, incomplet. Cet état de fait le laissa pantois. De mémoire de Dieu, jamais auparavant il n’avait croisé pareil phénomène, comme s’il avait été brisé et réassemblé avec des pièces ne lui appartenant pas.

— L’un de vos humains de compagnie est des plus intéressant. Je prendrais grand plaisir à disséquer son esprit lorsque j’aurais collecté vos essences.

Courage lança un regard en coin à Leonhart. Plus que lui-même, le mage était le véritable joker de leur petite communauté. S’il venait à tomber entre les mains du dément, cela signerait le glas de leur entreprise désespérée.

Cortez et Delilah restèrent interdit devant la scène irréelle. Envie et leur protecteur étaient tendus, dans l’attente de leur adversaire pas plus pressé que cela d’ouvrir les hostilités. Athlin servait à présent de béquille humaine au mage dont l’état se détériorait au fur à mesure de son exposition à l’énergie d’Orgueil.

— Nous ne gagnerons pas ce combat, réalisa Courage avec une froide lucidité. Je vais le retenir aussi longtemps que possible. Emmène les humains à Fort Corbeau et je t’en prie, ne trahis pas ce monde, ne l’abandonne pas comme tu l’as fais avec moi par le passé.

Incrédule, la Déesse lui adressa un regard peiné. Jamais elle n’avait supposé qu’il eût tant souffert de la fin de leur relation. Étant donné sa nature, elle s’était lassée de sa compagnie et lui avait faussé compagnie sans un regard en arrière, exempte de toute honte ou remords, imperméable face à ce que son attitude n’avait pas manqué de provoquer.

Elle rompit sa position et fit un pas vers lui avant d’effleurer sa joue de sa main. Elle se pencha avec légèreté et lui murmura quelques mots à l’oreille et se régala de l’expression abasourdie affichée par ses traits. Elle déposa un tendre baiser sur sa joue avant de lui offrir un énigmatique sourire.

De colère, Orgueil chargea avec hargne, faisant le jeu de sa jumelle. Sans arme, c’est à mains nues qu’il projeta sa masse musculaire sur Courage qui chancela sous l’impact et ne garda son équilibre que grâce à la pointe de sa lance qu’il planta en terre. Leur adversaire ne s’encombrait d’aucune lame, son corps qu’il jugeait parfait rivalisait avec aisance face à l’armement de ses ennemis. Avec une rapidité déconcertante, il esquivait les coups de poignard de sa sœur et détournait la pointe de l’épieu de Courage avec dextérité. Ses paumes frappèrent à une cadence folle, perçant les défenses du petit Dieu et lui envoya un terrible direct dans l’estomac suivit d’un uppercut avant de se fendre en arrière afin d’esquiver une potentielle riposte.

Avec un petit cri, Envie se précipita sur son acolyte et passa ses mains autour de lui en une attitude protectrice avant de lancer un regard étrange à son frère. Un court instant passa et elle se redressa avant de prendre ses jambes à son cou, obéissant à l’injonction de Courage.

— Il nous faut partir, cria-t-elle aux humains en passant à côté d’eux.

— Par ici ! appela Delilah qui connaissait bien la région. Il y a un dénivelé non loin qui nous mènera en contrebas, c’est le chemin le plus sûr pour descendre !

— Nous ne pouvons pas laisser Courage, il court à sa perte ! s’indigna Athlin.

Cortez poussa le petit homme contre un rocher et le souleva de quelques centimètres afin de donner plus de poids à ses paroles.

— Ne vois-tu pas qu’il se sacrifie pour nous imbécile ? Il nous fait gagner un temps précieux que tu gâche inutilement. Ton Dieu va mourir, soit tu te lève et lui fait honneur, soit tu fais demi-tour pour crever comme un chien aux côtés de son maître.

Le ton était glacial et dur, mais le message était passé. C’est le cœur lourd et résigné qu’il abandonna la Déité l’ayant choisi.

Menés par la mercenaire, les humains et la Déesse descendirent une pente abrupte avant de courir à perdre haleine pour s’enfoncer à l’abri des arbres.

*

Courage allait périr, il le savait. Une profonde entaille ornait son flanc et les attaques répétées d’Orgueil prélevaient leur tribut sur son corps affaiblit. Deux de ses côtes au moins avaient cédé sous la fureur du Dieu fou et son poignet gauche était inutilisable. Malgré toute sa bravoure, pas une seule de ses tentatives de blesser Orgueil n’avait rencontré le succès. Sa lance reposait sur le sol, inutile, son manche brisé comme un rappel cuisant de son incapacité à accomplir sa mission.

Il repensa aux derniers mots qu’Envie avait chuchoté à son oreille. « Je ferais comme toujours, ce qu’il me plait et rien d’autre ». Des paroles qui ne trouvèrent qu’un écho funeste en lui, lui faisant craindre le pire pour la suite. Avec une grimace de douleur, il palpa la blessure profonde qui répandait son sang.

— Foutue garce, marmonna-t-il pour lui-même.

Il attendit qu’Orgueil se jette sur lui et le surprit en l’étreignant avant de surcharger son énergie divine. Un peu plus de temps, voilà tout ce que Courage pouvait encore offrir à l’humanité.