Fyctia
Le temple de la Déesse
Courage retira sa lance du cadavre de la bête. De mémoire de Dieu, jamais il n’avait combattu pareil adversaire. En aucun cas il ne serait parvenu à s’en défaire seul, sans doute aurait-il péri pour se réincarner quelques temps plus tard, son enveloppe corporelle dévorée par le narvantis. Être une divinité ne voulait plus dire grand-chose à cette époque, de nombreuses créatures comme celle-ci étaient à-même de détruire le panthéon tout entier. Il observa avec attention les humains l’accompagnant et il commençait à percevoir pourquoi le Grand Mage Edril Cidril avait constitué ce groupe malgré leurs tempéraments disparates. Chacun donnait le meilleur de lui-même et ensemble ils se révélaient redoutables quand l’urgence se faisait ressentir. Il poussa un soupir de satisfaction. Avec eux, la mission avait une chance d’aboutir.
Athlin et Cortez se précipitèrent ensemble sur Delilah. Elle gisait au sol, les yeux grands ouverts et l’homme à la peau mate craignit un instant qu’elle ne soit tombée dans la bataille, avant de remarquer que sa poitrine se soulevait avec grande difficulté au rythme de sa respiration bien trop ralentie à son goût. L’homme des bois inspecta son pouls et examina les bords de la morsure avec le plus grand sérieux.
— Poison paralysant, murmura-t-il comme pour lui-même. Où ai-je mis ma sacoche… ?
Cortez la repéra un peu plus loin gisant sur le sol au milieu des fleurs. Elle avait selon toute probabilité chue sur le sol lorsque le guérisseur avait enfoncé son arme de fortune dans la gueule du serpent. Il la ramassa et la lui tendit non sans l’avoir époussetée avec soin au préalable. Athlin lui offrit un sourire qu’il voulut chaleureux pour cacher son trouble en observant la main de son équipier posée comme si de rien n’était sur sa possession.
— Merci, balbutia-t-il en évitant tout contact avec sa personne.
Il sortit de sa besace une racine dodue et biscornue qui éclata dans un « pop » sonore et satisfaisant entre ses doigts experts et potelés à la rugosité insoupçonnée. Il fit couler le liquide poisseux d’une étrange couleur bleu foncé dans un petit pot en terre cuite puis y déposa une herbe translucide qu’il broya à l’aide d’un petit pilon de bois. Le mélange liquide se transforma en une pâte molle dont il badigeonna avec générosité les boursouflures de la déchirure.
Quelques minutes passèrent puis Delilah finit par cligner des yeux. Ce simple mouvement des paupières lui fit un bien fou. Ses rétines enfin humidifiées, elle prit de grandes inspirations et détendit tous ses muscles pétrifiés par le venin du nervantis. Cortez l’aida avec une infinie douceur à se redresser sous le regard stupéfait d’Athlin qui ne perdait pas une miette de la scène tout en se gardant de tout mouvement. Ces deux là n’échangèrent pas le moindre mot, leur amitié allant bien au-delà de tout ce qu’ils pourraient se dire en un moment pareil.
— Merci, chuchota le fringuant à l’intention du rebouteux. Je te dois bien plus que je ne pourrais jamais te rembourser, je le crains. Saches que je me sais à présent chanceux de faire route avec une personne aussi surprenante que toi, mon ami.
Athlin ne répondit rien et se contenta de baisser quelque peu la tête, son teint prenant un aspect cramoisi. Effet d’autant plus renforcé lorsque Delilah, restée consciente tout le long de sa paralysie, le remercia d’un baiser chaste sur la joue d’avoir sauvé sa vie. Pour la première fois de son existence, le petit homme compris qu’un contact physique pouvait être des plus agréables.
Leonhart resta à l’écart et observa la scène de liesse d’un œil critique. Il n’avait rien à faire avec ces gens, sa place était dans son domaine, ou mieux, à la tête du Grand Conseil des mages. Son enfance dorée à l’abri du besoin et l’isolement imposé d’une main de fer par sa mère lui avait octroyé une haute estime de lui-même. Persuadé d’être supérieur, son ego démesuré l’esseulait désormais avec bien plus d’efficacité que n’importe quel stratagème de sa défunte génitrice.
*
Le périple dans la forêt d’Antosir dura encore deux jours durant lesquels ils ne croisèrent rien de plus périlleux qu’un jeune marcassin en vadrouille qui constitua l’un de leur repas. Ils gardèrent un rythme soutenu imposé par Courage qui craignait sans oser le formuler à haute voix qu’Orgueil ne les devance. Aucun compagnon n’émit la moindre protestation même s’il savait que leurs guibolles devaient leur cuire. Au terme de la seconde nuit, ils laissèrent derrière eux les ultimes géants moussus et le Dieu bifurqua en direction du nord.
S’il avait craint durant le voyage que sa mémoire n’oublie, il fut rassuré de constater que son cœur, lui, se souvenait du chemin.
Il les mena à travers les immenses bassins de Vierveil, dont les eaux limpides regorgeant de vies animales et bordées de joncs formaient un spectacle étonnant et changeant au gré du vent et des saisons. Ils se virent contraint d’emmener Athlin par la force tant le guérisseur était obnubilé par le spectacle des batraciens multicolores évoluant de concert sous la surface aqueuse. Ensemble, ils parcoururent les chemins blancs, au silence irréel, bordés de saules pleureur menant au temple de la déesse écroulé depuis des temps immémoriaux. Il se souvint de l’odeur persistante de miel et de cerfeuil lorsqu’ensemble ils flânaient aux portes de celui-ci et que les hommes déposaient encore des offrandes fruitées en espérant une bénédiction de leur part.
À présent, il ne restait rien de la gloire d’antan.
Le lieu avait perdu tout attrait et les compagnons ressentirent une étrange tristesse devant cet ultime témoin d’un passé révolu. Courage s’écarta des hommes pour poser sa main sur un pan de mur grignoté par le Temps lui-même. Les souvenirs de ces moments évanouis avec Envie ne l’avaient jamais déserté, aussi fort tenta-t-il de les en chasser. La belle, aux aspirations si changeantes, s’était amourachée de lui avec sincérité et il en conservait aujourd’hui encore une grande joie. Cette époque, bien que vivante à jamais en son sein, lui manquait avec plus de cruauté qu’il ne voulait bien se l’admettre.
— C’est ici ? s’étonna Delilah avec incrédulité. Une Déesse réside-t-elle véritablement en ces lieux ?
— Non, répliqua Leonhart d’un ton sentencieux. Le portail menant à son domaine est quelque part ici, hors d’atteinte pour de simples mortels comme nous. Le temple n’est plus qu’un reliquat, un point de repère.
Cortez s’approcha et attrapa le bras d’Athlin pour lui désigner un arbre étrange aux feuilles iridescentes et dentelées, tandis que Leonhart examinait le lieu d’un œil paresseux.
Courage se détacha de la façade pour se diriger devant le feuillu qu’il reconnut d’un simple coup d’œil. Le Dieu tendit sa main et une lumière blafarde jaillit de sa paume. Devant eux se dressait à présent le portail menant au Royaume d’Envie.
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