Fyctia

Leonhart examina les alentours avec attention. Il finit par repérer la créature à une vingtaine de mètres de leur position, se rapprochant à pas de loup grâce à un sort d’invisibilité sommaire ne laissant transparaître que ses contours translucides. Le mage prit une pincée de guano séché dans sa main qu’il égrena avec soin tout en murmurant son incantation.

Athlin jetait des regards en coin en direction de Courage. Il se sentait étrange en sa présence, quelque chose le poussait à vouloir s’illustrer, à faire preuve de hardiesse alors que d’ordinaire il se complaisait dans la lâcheté. Non loin de lui, Cortez et Delilah se délassaient, leurs corps reposant avec nonchalance contre le tronc moussu du géant. Un claquement sec retentit avec soudaineté et un trait de foudre crépita dans l’air silencieux pour passer à quelques encablures des deux petits hommes qui se redressèrent avec stupéfaction.

Un jappement guttural retentit et la silhouette d’une créature colossale se matérialisa. Sa tête de chacal aux yeux d’un blanc laiteux trônait à plus de huit pieds du sol et découvrait ses babines retroussées sur des crocs effilés et quelque peu recourbés. Sa peau d’un noir abyssal soulignait son corps tout en muscle dont la poitrine déchiquetée laissait apercevoir des côtes d’un rouge sanguinolent entourées d’une paire d’ailes membraneuses. Un serpent ambré remplaçait sa queue et le reptile à la tête triangulaire se dressait en toisant Ahtlin, tout en poussant de furieux sifflements. Une étrange toison d’un vert sombre ornait le crâne du monstre, coiffant l’espace entre ses oreilles et recouvrant son échine pour mourir à la naissance de sa queue serpentine.

Les compagnons battirent en retraite et s’éloignèrent de l’étrange entité au pas de course. Cortez arma ses deux pétoires à main et visa avec soin la tête de l’animal tandis que Delilah avait baissé son centre de gravité pour brandir son lourd espadon devant elle. La bête se tourna vers elle et lança un grondement sourd et puissant qui se répercuta jusque dans ses os.

— Qu’est ce que c’est que cette chose ? hurla-t-elle tandis que le monstre fonçait sur elle tout en essayant de la faucher de sa large patte aux griffes proéminentes.

— Il s’agit d’un narvantis, expliqua Leonhart avec un calme irréel. Il s’agit d’une créature venant d’un autre plan d’existence.

Delilah esquivait la charge à grand peine et l’une de ses griffes entailla sa cuisse. En représailles, son espadon se planta profondément dans la patte de l’atrocité qui glapit de fureur. Cortez visa avec soin les yeux ivoires de la tête du canidé. Les armes crachèrent deux projectiles d’acier qui filèrent avec célérité sur le monstre qui se contenta d’utiliser ses ailes comme un bouclier. Les munitions ricochèrent sur la membrane de cuir tandis que la créature se jetait sur le brigand en représailles.

La mercenaire se jeta en direction de ses pattes antérieures et traça un long sillon sanglant au niveau de la cheville du monstre. Elle parvint à esquiver les ruades de riposte mais ne fit pas attention au serpent qui ficha ses crochets dans son avant-bras. Delilah tituba, poussa un cri de pure angoisse et s’écroula sur le sol, inerte.

Courage s’interposa devant le narvantis afin de défendre Cortez en brandissant une lance de fer ouvragée dont la poignée d’argent étincelait chaque fois qu’un rayon solaire venait à la frapper. Leonhart incantait un nouveau sortilège en broyant entre ses paumes une curieuse racine à l’odeur iodée tout en psalmodiant à haute voix des syllabes imprononçables pour un non-initié. Athlin d’ordinaire si couard puisa dans le lien l’unissant à Courage et sentit une audace inédite enfler en lui. Il ramassa une branche d’aspect solide et se précipita en direction de Delilah. Obnubilée par la présence du Dieu, la monstruosité l’ignora mais sa queue serpent se dressa pour ficher ses crocs venimeux dans son dos. Le petit homme se contorsionna et effectua une torsion du poignet pour envoyer son bâton sur le coté de la face du reptile qui retomba avec mollesse avant de se redresser en crachant. Il profita de ce temps libre pour soulever le corps inanimé de la femme et la déposer un peu à l’écart de la fureur du combat.

Cortez continuait en vain d’arroser le narvantis de ses tirs. L’un des projectiles emporta un morceau de chair de son visage au niveau de la joue et la créature planta ses yeux morts sur lui. Sa toison verte se mit à luire et prit un aspect menaçant. Sa gueule se déboîta de manière grotesque et une étrange lumière illumina sa gorge. Cortez n’eut pas la présence d’esprit d’esquiver le flot de feu jade qui se déversa sur lui. Leonhart se précipita devant lui et claqua des doigts, formant un mince bouclier intangible sur lequel s’écrasa le souffle délétère. Cortez hocha la tête à l’attention du mage taciturne, sans son concours il ne serait sans conteste plus de ce monde.

— Mes armes sont inefficaces, remarqua le fringuant avec rage.

— Il s’agit d’un être magique de grande puissance, expliqua le mage aux pupilles pourpres. Ils sont insensibles à la magie et aucune arme de mortels n’est en mesure de le vaincre. Notre seule chance réside en Courage, il faut lui donner l’opportunité de frapper la bête au cœur.

— Compris, lâcha Cortez.

Malgré toute son expertise martiale et son intrépidité, Courage ne parvenait pas à prendre l’avantage sur le narvantis. Sa tête garnie de crocs l’assaillait sans répit, l’obligeant à se fendre et à esquiver. Les rares ouvertures s’offrant à lui se trouvaient mises en échec par les pattes puissantes qui écartaient son arme divine comme un fétu de paille balayé par le vent. En outre, le serpent ne cessait de harceler sa position, faisant peser une menace supplémentaire sur le Dieu qui se trouvait en bien mauvaise posture.

Cortez se posta à coté d’Athlin et visa la tête du reptile. Le projectile le manqua de peu et siffla à un pouce de son visage. Toutefois le but, lui, était atteint. L’ophidien darda sa langue dans sa direction et détourna son attention de Courage, lui procurant un répit des plus appréciables.

Courage tenta de prendre l’ascendant sur son opposant mais le chacal démon redoubla de sournoiserie et essaya de piétiner l’avatar divin entre ses pattes en martelant le sol avec frénésie. Courage se vit forcé d’abandonner sa position et toute dignité pour ne pas périr sous la masse du prédateur.

De leur côté, Cortez et Athlin harcelaient le serpent. Agacé, l’animal se tendit en direction du rondouillard pour le punir de son outrecuidance. Le petit homme lui opposa son arme improvisée avec un cri de rage et le bois s’enfonça profondément dans la gorge reptilienne avec un bruit mat et humide. L’animal étouffa et Cortez l’acheva d’un tir dans l’œil.

Le narvantis se cabra de douleur et Courage profita de l’ouverture pour passer entre ses pattes et projeter sa lance dans son poitrail décharné. L’acier trouva le chemin de son cœur et la bête s’écroula dans un râle d’agonie.