Fyctia
La douce joufflue
Delilah observait la petite salle de son œil alerte. Peu importe l’endroit dans lequel elle se trouvait, elle ne parvenait jamais à se détendre, fusse même ici, à la taverne répondant au doux sobriquet de « La douce joufflue » en hommage à sa propriétaire.
Mercenaire de profession, la femme de presque quarante printemps gardait toujours la porte dans son champ de vision, une vieille habitude acquise d’une dure vie sans concession. Vivant au jour le jour, elle ne se souciait que peu des lendemains et savourait chaque instant comme s’il s’agissait du dernier. Son corps athlétique enfoncé avec négligence dans sa chaise rembourrée, elle se trouvait néanmoins prête à brandir son large espadon reposant contre le mur en un éclair au moindre signe de danger. Elle rejeta sa longue tresse brune sur le côté et poussa un soupir discret en humant l’odeur de viande rôtie provenant des cuisines.
Un rire enjoué retentit et son regard se posa sur l’homme assit à sa droite. Le fringuant venait de l’Île de Montaulès situé loin au Sud et se targuait d’être l’une des plus fines lames de son époque. Delilah savait à quoi s’en tenir avec lui. Dragueur invétéré, l’homme était un margoulin de la pire espèce, un intriguant à la langue de velours, un aigrefin. Elle ne pouvait toutefois s’empêcher de ressentir de l’affection pour lui tant il avait bon fond. Ses poches toujours percées, il était continuellement à la recherche d’argent pour couvrir ses dépenses aussi faramineuses que diverses. Son éternel tricorne ornementé d’une plume de paon vissé sur son crâne, Cortez s’esclaffait à gorge déployée. Avec son teint mate, ses yeux clairs et son apparence exotique, il adorait être le centre de l’attention, en particulier celui des demoiselles. Charmeur autant que charmant, l’ancien corsaire se glorifiait d’un nombre conséquent de conquêtes.
Un second homme rondouillard se tenait en face de la mercenaire. Il arborait un large sourire de façade et bien que son visage tendît à prouver sa joie, ses yeux céruléens trahissait son trouble. Athlin avait passé la majeure partie de son existence dans la Forêt Blanche qui devait son appellation à l’importante concentration de bouleau qui la constituait. Issu d’une ancienne tribu possédant de nombreuses accointances avec la nature, l’homme de petite taille à la moustache impressionnante possédait le don de converser avec les bêtes. Il tripotait avec nervosité la sacoche de cuir dont il ne se séparait jamais tout en souriant poliment à Cortez.
— C’est à ce moment précis qu’il s’est rendu compte de la supercherie et qu’il est sorti à ma poursuite en pleine rue avec le froc sur les chevilles en hurlant qu’il allait m’étripailler ! se gaussa le sudiste de sa voix suave à l’accent discret.
Delilah s’amusa de l’anecdote qu’elle connaissait par cœur. Elle voyageait de concert avec Cortez depuis de nombreux mois, juste après qu’Orgueil eut tué Colère et emprisonné son essence. Athlin les avait rejoints il y a peu, sa timidité était une véritable entrave et il essayait encore tant bien que mal de trouver sa place dans la compagnie.
Un bruissement interrompit les pensées des compagnons et chacun se tint coi lorsqu’une femme apporta le déjeuner à leur table. Un demi-sanglier rôti trônait au milieu de celle-ci et la tenancière les gratifia d’un sourire maternel. Ses joues rebondies et roses étaient un régal à l’œil et Cortez ne manqua pas de la complimenter sur sa mise. Elle lui assena un coup de torchon avec un grand rire et ses cheveux roux bouclés cascadèrent sur le devant de son tablier. Elle les appréciait tous et les considérait comme ses propres enfants. Ses petits lui manquaient et elle prenait grand plaisir à couver les aventuriers de ses attentions.
Les compagnons félicitèrent sa cuisine et le visage de Rowena prit une teinte cramoisie. Cortez lui offrit un sourire désarmant et elle s’éclipsa un instant avant de revenir avec trois chopes d’hydromel. Elle prit congé sous une pluie de remerciements, son cœur de mère plus léger.
Athlin préleva une cuisse de l’animal et entreprit de la dévorer à pleines dents sans s’encombrer de couverts ou de toute bienséance. Les règles régissant les rapports humains ne lui étaient pas coutumières et bien qu’il fît de son mieux pour s’adapter à la civilisation, il ne parvenait pas à acquérir certains automatismes. Le jus de l’animal coula sur son menton glabre alors qu’il se régalait de la chair du mammifère.
— Vous y croyez à cette histoire abracadabrante de Colère qui serait vaincu ? demanda-t-il en essuyant le bas de son visage d’un revers de la main.
— Evidement, répliqua la mercenaire dont les sourcils se froncèrent comme outrés qu’on puisse oser discuter cette évidence.
— Cela reste à prouver, rétorqua Cortez en essuyant sa barbe avec grand soin. J’ai accepté cette mission mais je ne suis toujours pas convaincu d’une telle éventualité.
Delilah paraissait éberluée devant le scepticisme du bellâtre. Elle sentit monter une sorte de feu en elle et elle posa ses mains sur le bord de la table, comme prête à se lever pour le gifler.
— Comme nul n’est censé l’ignorer, les hommes sont tous affiliés à l’une des divinités régissant le monde et ce dès leur naissance, lâcha-t-elle avec une véhémence qui ne lui était pas coutumière et qui les surprit. Depuis la disparition de Colère, ses enfants s’en retrouvent tourneboulés. Certains s’emportent pour un rien et des drames ont eu lieu un peu partout. D’autres en revanche se retrouvent presque catatoniques, incapables de ressentir le moindre accès de rage même face au plus grand des outrages.
Athlin écarquilla les yeux de surprise. Il ignorait tout de cette histoire et la peur l’étreignit.
— Comment savoir à quel Dieu nous sommes rattachés ? demanda-t-il perplexe.
La femme aux cheveux bruns haussa les épaules et tritura la pointe de sa tresse.
— Nul n’est en mesure de le dire avec certitude. Certain affirment que les Divinités elles-mêmes sélectionnent leurs fidèles. Il est impossible de savoir laquelle s’harmonise avec nous à moins de se retrouver à proximité de l’une d’elle. Ou que son pouvoir ne vienne à disparaitre, comme avec Colère.
Cortez haussa les yeux au ciel mais se garda de formuler sa pensée à haute voix. Il la trouvait insupportable lorsqu’elle se lançait dans ses interminables diatribes sur les Dieux. Lui faisait partie des cartésiens, il ne croyait qu’en ce qu’il pouvait constater lui-même. Pour l’instant à ses yeux, ce conte à propos d’êtres supérieurs ne représentait qu’une vaste blague, une arnaque des plus grossières à l’intention des crédules.
Comme en réponse à son cheminement intérieur, la porte de la taverne s’ouvrit à la volée et une présence titanesque pénétra dans la salle. Chacun ouvrit de grands yeux ronds, s’attendant à voir entrer un véritable colosse. Seule Delilah ne parut pas surprise de voir un homme ayant presque la taille d’un jeune adolescent s’aventurer à l’intérieur.
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