Fyctia
Chapitre 5.1 - Héloïse
Le crépitement du feu et le brouhaha des conversations s’emmêlent dans mes oreilles.
— Et toi, Héloïse ?
La voix de Lucia, une trompettiste d’une cinquantaine d’années me ramène brutalement à la réalité. Je relève les yeux pour croiser son regard doux et attentif, qui me scrute à la recherche d’une réponse.
Le problème ? Je n’ai pas la moindre idée de ce qu’elle vient de me dire.
Ce soir, nous sommes tous réunis dans la salle commune de l’hôtel. Notre premier concert a lieu demain et Tom voulait que nous nous retrouvions tous ensemble pour partager un peu de joie avant le début officiel de la tournée. J’ai du mal à me concentrer sur mes collègues à cause de la représentation à venir. Pourtant, au fond, j’ai envie de m’intégrer, envie qu’ils m’apprécient. Quand je les regarde, je vois un groupe soudé, et c’est difficile de m’imposer en tant que nouvelle.
La quinquagénaire semble apercevoir mon air perdu car elle pose une main sur mon épaule dans un geste délicat et mesuré.
— Je me demandais ce que tu ressentais à l’idée de jouer pour les Etoiles de Noël pour ta première tournée ?
Un doux sourire étire mes lèvres. Depuis que je suis petite, j’ai toujours aidé mon prochain. Je me souviens encore de la fois où j’ai prêté mon archet préféré à un enfant de mon cours de violon quand j’avais cinq ans. Bon, certes, il ne me l’a jamais rendu. Je me suis faite pourrir par ma mère, parce qu’on ne « prête jamais son archet à qui que ce soit », mais je sais que je lui ai sauvé sa journée. J’ai toujours été comme ça, à me mettre en retrait pour que les autres brillent… Jusqu’au conservatoire, quand mon esprit de compétition est ressorti.
Je chasse ces pensées. Je n’ai pas envie que Maël s’immisce dans cette première soirée d’intégration avec l’équipe. Alors j’efface ses cheveux châtains de mon esprit pour me concentrer sur la question de Lucia. Jouer pour une association caritative tout en rejoignant l’orchestre de mes rêves, c’est un songe qui devient réalité.
Cette tournée, c’est ma chance.
— C’est… incroyable. J’ai du mal à trouver les mots. Je me sens à la fois chanceuse d’être là et surexcitée pour demain. J’ai hâte de jouer avec vous.
En prononçant ces paroles, je glisse mon regard sur l’ensemble des musiciens, évitant scrupuleusement de croiser les yeux bleus de Maël, dans lesquels je crains de déceler de la moquerie ou pire, du mépris.
J’en profite pour m’adresser à Tom :
— Merci de m’avoir laissé cette chance.
— Tu m’as prouvé que tu en étais digne, répond-il avec un clin d’œil complice.
Autour de moi, les conversations reprennent, les rires s’élèvent à nouveau, comme si cette brève parenthèse n’avait jamais existé. Je détourne les yeux et me replonge dans l’observation de la cheminée, tout en écoutant mes compagnons d’une oreille distraite. La lueur des flammes vacille pour projeter des ombres rassurantes sur les murs en bois de la pièce. L’odeur des marrons chaud qui provient de la cuisine chatouille mes narines et me met l’eau à la bouche : le dîner ne devrait plus tarder. Tom a proposé une activité « Playlist de Noël et jeux de société » pour poursuivre la soirée. Pour une fois, j’ai hâte. Même si je n’ai jamais vraiment eu de facilités à me lier aux autres, j’ai l’impression que les membres de l’orchestre sont soudés et je suis impatiente de pouvoir apprendre à les connaître davantage.
Peut-être que je pourrais trouver ma deuxième famille.
— Je suis contente que tu nous aies rejoins. Tout le monde semble t’apprécier, me dit Gabin en s’asseyant à mes côtés.
— Tu penses ?
Mon ton est sincèrement surpris. Depuis notre arrivée, je n’ai fait que répéter, au détriment de certaines activités, et je m’en veux.
— J’ai l’impression d’avoir passé mon temps avec mon violon.
— Qui te le reprocherait ici ? On est tous musiciens.
Nous rions encore quelques instants jusqu’à ce que le repas soit annoncé. Tout le monde se dirige vers la grande table dressée au centre de la salle. Les plats fumants circulent, emplissant l’air de parfums épicés et réconfortants. Le bruit des conversations joyeuses, ponctué d’éclats de rire et du tintement des verres qui s’entrechoquent, crée une atmosphère animée et chaleureuse.
— Alors, ces premiers jours ? me demande Pauline, installée à côté de moi.
Je relève les yeux de mon assiette et croise son regard curieux. C’est vrai que depuis notre arrivée, nous n’avons pas eu l’occasion de vraiment nous retrouver. Je hausse légèrement les épaules avant de répondre :
— Je me sens vraiment bien ici.
C’est la vérité. Malgré mes craintes initiales, il y a une légèreté dans l’atmosphère qui m’apaise. La magie des lieux, peut-être. Mon amie m’adresse un sourire en retour, mais un pli soucieux se forme entre ses sourcils lorsqu’elle reprend la parole :
— Malgré Maël ?
Mon souffle se suspend une fraction de seconde. J’aurais dû m’y attendre. Je cligne des paupières pour masquer mon trouble puis, dans un soupir, je lâche simplement :
— Je sais que je n’ai pas le choix.
Ma voix est rauque et s’apparente davantage à un chuchotement, mais Pauline comprend et hoche la tête. Elle me scrute un instant, comme si elle hésitait à continuer :
— Tu ne m’as jamais raconté ce qui s’est passé en troisième année.
Un frisson me parcourt, mes doigts se crispent autour de mon verre qui vacille légèrement. J’inspire lentement, cherchant mes mots. Que dire ? Que cette année-là a tout changé ? Que je suis passée du rêve au cauchemar en l’espace de quelques secondes ? Que j’ai vu mes ambitions s’effondrer sous le poids d’une seule personne ?
Je pourrais lui raconter, tout déballer après des années à garder cet instant pour moi. Après tout, Pauline était et est toujours mon amie, elle comprendrait, prendrait ma défense.
Mais je ne peux pas. En parler, ce serait revivre cet instant. En parler, ce serait prouver que j’ai échoué.
Et je n’ai pas le droit d’échouer. Alors j’esquive, comme toujours :
— Rien de bien spécial. Et toi, qu’est-ce que tu es devenue ces dernières années ?
Ses lèvres se pincent, ses yeux me sondent, mais je ne perds pas le sourire factice que j’ai plaqué sur mon visage. Elle finit par secouer la tête en signe de reddition et répond comme si de rien était :
— J’ai galéré à trouver une place après le conservatoire. Quand Tom m’a auditionnée, j’ai cru que j’avais tout foiré. Mais depuis, je suis là et… j’ai enfin trouvé ma famille.
Elle marque une pause.
— Je suis désolée de ne pas t’avoir contactée plus tôt. Tu m’as manqué, Hélo.
Malgré ma méfiance, mon cœur se serre sous son aveu. Parce qu’elle était ma seule amie, et que j’ai été nulle de lâcher tout ce qui me raccrochait à mon ancienne vie à cause de Maël.
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Soäl
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Aline Puricelli
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Scriptosunny
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Aline Puricelli
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Sarael
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Zebuline
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J.K.Fournier
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petites.plumes
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Aline Puricelli
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