Fyctia
Chapitre 5.2 - Héloïse
Peut-être que j’ai aussi le droit d’être entourée. Alors je serre sa main avec un sourire reconnaissant, et elle me prend dans ses bras dans un geste d’affection qui m’apaise instantanément. Un éclat de voix interrompt notre échange : Gabin s’est lancé dans une bataille acharnée pour le dernier gratin dauphinois avec un contrebassiste. Les rires fusent, la bonne humeur est contagieuse.
La tension quitte mes épaules grâce à mes collègues qui me font rire, et les visages autour de moi s’animent d’une chaleur nouvelle à mesure que la soirée avance.
Après le repas, nous sommes affalés sur les canapés, jusqu’à ce que Tom se lève et s’approche de l’enceinte.
— Allez, on met un peu d’ambiance !
Les cris de joie de mes camarades sont contagieux, et un sourire étire mes lèvres quand Have Yourself a Merry Little Christmas de Frank Sinatra retentisse. Je soupire de satisfaction en me laissant bercer par la musique. Je crois même que je ferme même les yeux un instant car au moment où je les ouvre de nouveau, l’euphorie s’est emparée du groupe et les musiques s’enchaînent sous les murmures enjoués des musiciens. Gabin fait du air guitar sur Jingle Bell Rock sous les rires de Pauline, une jeune femme inconnue essaie d’imiter Mariah Carey, puis tout le monde commence à danser.
Un joyeux chaos qui me grise. Pourtant, malgré mon envie de les rejoindre, je ne me sens pas encore suffisamment à l’aise. Je reste donc assise, assistant à l’effervescence de loin, jusqu’à ce que Gabin s’approche et prenne ma main pour m’entraîner avec eux.
— Non, Gabin, je…
Mes protestations se noient rapidement face à son regard de chien battu, et je me laisse enfin aller. Je virevolte avec mes collègues, chante avec eux. Tom, rieur, finit par interrompre ce moment de douceur :
— Et si on jouait à un jeu ? Chacun, à tour de rôle, va mettre une musique de Noël qu’il apprécie. Celui qui trouve la meilleure ou qui fait l’unanimité gagne…
— Le solo de violon ! le coupe Floriane en hurlant.
Le chef d’orchestre lui fait des gros yeux :
— Non, Floriane, j’allais dire qu’il gagnait la reconnaissance éternelle de tout le monde.
Certains pouffent, je me tends. Le solo. Je me suis tellement laissée aller à l’allégresse que j’allais presque l’oublier. Instinctivement, mes yeux cherchent ceux de Maël, qui semble happé dans une conversation avec un autre musicien. S’il sent mon regard sur lui, il ne le montre pas.
Je prends les devants, me lève sous les applaudissements et, pour une fois, je me laisse porter par l’ambiance. Alors, je choisis Santa Tell Me. Une valeur sûre, sans pression. Mais quand je croise le regard de Maël et que je vois ce sourire en coin, tout change.
Ce n’est plus un simple jeu. C’est un défi.
Et la soirée prend une tournure compétitive que je ne connais que trop bien.
Tout dans ses yeux semble me dire « Je peux faire mieux que toi ». L’énergie de la salle monte en flèche avec les rires et les danses tandis une vague de concentration me submerge. Un frisson me parcourt. Non, cette fois, je ne baisserai pas la tête. Cette fois, il ne gagnera pas. Pourtant, je souris à mes collègues, restant impassible face aux battements frénétiques de mon cœur.
Il me rejoint vers l’enceinte pour lancer Last Christmas de Wham ! et je lève les yeux au ciel, agacée, et d’un geste vif, je change la chanson pour Merry Christmas Everyone. Je veux prouver à Maël que je peux moi aussi fédérer les gens autour de moi. Tout le monde se lève et m’applaudit, déclenchant une vague de chaleur dans ma poitrine.
Il me fixe en souriant, mais la façon dont ses lèvres s’étirent rappellent en réalité un prédateur devant sa proie. Lorsque You’re the mean One, Mr Grinch retentit, je ne peux m’empêcher de pincer les lèvres pour ravaler une remarque cinglante. Le Grinch, c’est lui. Mais je garde ça pour moi, sous l’œil amusé de nos collègues.
— Vous faites un duel ou j’ai des hallucinations ? demande Tom, interrompant l’instant et déclenchant l’hilarité générale.
Pourtant, il ne sait pas à quel point c’est sérieux. Je veux gagner cette bataille.
— Je crois que oui, répond Maël en me fixant.
La tension entre nous devient palpable, alors je choisis Run Rudolph Run.
Sous-entendu : tu devrais courir avant que je te botte les fesses une bonne fois pour toute.
Il ne se laisse pas abattre, et mon cœur pulse plus vite dans mes tempes alors qu’il diffuse un morceau de Casse-Noisette, Trepak de Tchaïkovski. Le morceau fait vibrer l’air autour de nous alors que tous les violonistes applaudissent. Je roule des yeux si forts qu’ils manquent de ne jamais retrouver leur place.
Il veut jouer ? Je vais jouer.
Sans hésiter, je lance Carol of the Bells au violon. L’intensité du morceau emplit la pièce. Mes collègues, emportés par la musique, se lèvent et dansent avec enthousiasme, créant une atmosphère encore plus folle. Leur énergie me donne du courage.
Je jette un coup d’œil à Maël. Un feu brûle dans ses yeux de glace. Enfin, il appuie sur « Play ».
Le silence tombe. La pièce semble se figer autour de moi.
Puis Hallelujah de Jeff Buckley.
Les notes me heurtent comme un coup de poing. Je me fige. Mon souffle se bloque, m’empêchant de respirer. Je suis propulsée des années en arrière, dans la lumière tamisée de cette salle où tout a basculé.
C’est la chanson.
Celle qui m’a fait le détester à tout jamais.
Mes yeux s’embuent.
Non. Pas maintenant.
Ravalant la boule qui se forme au fond de ma gorge, je me rassois en titubant, prise d’un vertige. Je baisse les yeux sur mes mains tremblantes, abandonnant la partie.
— Bon, on va éviter qu’ils s’entretuent ce soir, murmure Pauline en se levant pour prendre le contrôle de l’enceinte.
J’entends à peine sa voix, perdue dans un souvenir qui n’appartient qu’à moi. Les yeux dans le vague, je contemple mes mains et me mords la lèvre inférieure, retenant tant bien que mal les larmes qui menacent de couler. La musique continue de résonner, accompagnée par les rires sincères et les éclats de voix des autres membres de l’orchestre, mais mes pensées sont prisonnières de mon passé. Fixées sur Maël.
Je te hais, je te hais.
Si je le pense si fort, peut-être qu’il l’entendra de sa place.
Lentement, je tourne la tête vers lui, espérant que de là où je me trouve, il parvienne à sentir la colère qui boue dans mes veines, la rancœur que je lui voue. Ses yeux sont ancrés dans les miens, empreints d’un sentiment que je ne parviens pas à définir, quelque chose de moins glacial. Sa main passe dans ses cheveux et ses joues se teintent d’un rose léger.
Et je déteste encore plus le fait de me perdre dans son regard, d’essayer de comprendre la lueur indéfinissable qui s’y cache.
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Scriptosunny
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Il y a 6 jours
Aline Puricelli
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Il y a 3 jours
Sarael
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Aline Puricelli
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Zebuline
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petites.plumes
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Aline Puricelli
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Laetitia B
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Aline Puricelli
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MelinaSANYA
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Il y a 13 jours