Aline Puricelli La Symphonie des Aurores Boréales Chapitre 4.2 - Maël

Chapitre 4.2 - Maël

Péniblement, je range mon violon puis sors de la pièce de façon mécanique. Mes pas s’enfoncent dans la moquette épaisse alors que je grimpe les escaliers. Une fois dans ma chambre, je me laisse tomber sur le lit, à bout de forces. Les larmes me montent aux yeux mais je les ravale. Dans des moments comme celui-ci, où la panique manque de m’engloutir, je perds tout mon self-control.

Alors je fais la seule chose qui, je sais, va me calmer. Je compose le numéro de Vincent et porte le téléphone à mon oreille. Sa voix résonne dans le combiné quelques secondes plus tard.


— P’tit frère ! T’as survécu à la Laponie ou t’es devenu un bonhomme de neige ?


Malgré mon inquiétude, sa voix grave et ses plaisanteries me font sourire.


— Je gèle, si c’est ta question.


— Cache-toi sous les poils d’un caribou !


— Je suis même pas sûr qu’il y ait des caribous ici.


— Caribous, rennes, c’est du pareil au même.


Même à plusieurs milliers de kilomètres de lui, je peux facilement l’imaginer lever les yeux au ciel avec un sourire en coin. Mais je ne réponds pas, la vulnérabilité prenant le dessus. J’ai peur que mon hyperacousie ressorte pile au mauvais moment. J’ai peur de perdre mes moyens.


Je suis nul. Nul, nul, nul de ne pas pouvoir me battre contre cette maladie.


— Maël ? reprend la voix de mon frère au bout du fil, quelque peu alarmée.


— J’ai peur de me planter, je murmure, davantage pour moi que pour lui.


Un long silence me répond.


— L’hyperacousie ?


Je hoche la tête même s’il ne peut pas me voir. Il me connaît par cœur, je n’ai pas besoin de parler pour qu’il entende mes pensées les plus profondes.


— J’ai l’impression que plus rien ne sera comme avant. Pourtant, tu m’avais dit qu’avec du travail…


— Non, Maël, m’interrompt-il. Je n’ai jamais dit que les sons redeviendraient normaux.


Au ton de sa voix, je comprends que ce n’est plus mon frère qui s’adresse à moi, mais le neurologue qui soigne des traumatismes crâniens comme le mien tous les jours.


— Je t’ai dit que les lésions pourraient se stabiliser, reprend-il, plus doucement. Et c’est aussi ce qu’a dit l’ORL.


— C’est Noël, Vincent. Les miracles arrivent toujours, je contre.


J’entends mon frère s’affaler dans un canapé, poussant un profond soupir de lassitude.


— Maël…


— Si je n’ai pas ce solo, je peux de dire adieu à ma carrière de violoniste. Tu sais à quel point c’est mon rêve. Je ne peux pas m’asseoir dessus. Si quelqu’un le remarque…


Je marque une pause.


— Aucun chef d’orchestre ne voudra garder une personne avec un handicap auditif dans son groupe, Vince. Aucun.


— Non, c’est faux. Tu arrives tous les jours à prouver que tu peux jouer malgré ta condition physique.


— Parce que personne n’est au courant ! j’explose. À part toi, personne ne sait, et ça ne doit surtout pas changer. J’arrive à jouer, oui, mais je souffre quotidiennement. Et si quelqu’un découvre… Si mon chef d’orchestre se rend compte que mes doigts hésitent… C’est fini, Vince. Il me verra comme un musicien brisé, un poids mort dans l’ensemble. Je serai remplacé avant même d’avoir pu jouer une seule note du solo.


Et Héloïse prendra la place, comme à chaque fois.


— Aujourd’hui, j’avais aucune crise. Je jouais parfaitement. Mais quand j’ai fini de répété, j’ai paniqué. Sans raison. Parce que j’ai peur sans arrêt. J’ai peur que ça s’accentue. J’ai peur de perdre l’ouïe.


— Tu sais que ce n’est pas possible. Le nerf auditif n’a pas été endommagé.


Pourtant, plus les années passent, plus l’hyperacousie me fait souffrir. Et si l’ORL s’était trompé ? Et si les séquelles continuaient de s’aggraver ?


— Écoute, Maël, reprend finalement mon ainé. Avec ou sans ouïe, tu resteras le plus talentueux des musiciens que je connaisse.


Je lâche un rire amer avant de m’enfoncer plus profondément sous la couverture.


— Tu dis ça parce que t’es mon grand frère.


— Peut-être, mais aussi parce que j’ai raison. Sinon, tu n’en serais pas là. Tu n’aurais pas réussi tes examens avec brio malgré ton hyperacousie ni intégré L’Ensemble Équinoxe. Crois-moi, ce n’est pas parce que je suis cloîtré dans mon hôpital que je ne connais pas le prestige de cet orchestre. T’es doué, Maël, et ça va bien au-delà des sons que tu entends.


Et ses mots parviennent à faire naître une bribe d’espoir au creux de mon ventre.


— Merci, Vincent, je murmure.


— De rien, frangin. Je t’aime, l’oublie pas.


Nous raccrochons après quelques mots. Mon cœur semble se gonfler d’optimisme. Peut-être qu’il a raison, peut-être que je peux encore faire illusion, malgré tout. Je tourne les yeux vers la fenêtre, attiré par la danse silencieuse des flocons de neige qui tombent en cascade, créant un voile féerique au-dehors. Je me lève lentement, ouvre le battant, et laisse l’air frais m’envahir. L’odeur de feu de cheminée et de cannelle flotte dans l’atmosphère, m’enveloppant d’une chaleur réconfortante et magique. Et cet après-midi, même le brouhaha qui s’élève des rues bondées me semble presque rassurant.


Peut-être que les miracles de Noël existent. Peut-être qu’au milieu de cette cacophonie, je trouverai enfin ma mélodie.


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68 commentaires

Soäl

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Il y a 13 heures

Plus ça va plus j’aime Maël , son désarrois est criant , on a envie de lui dire que tout va aller , que que je suis certaine qu’il s’impose lui même trop de pression. Je crois que cet orchestre c’est sa vie Heureusement il semble bien entouré avec son frère qui a l’air d’être un vrai soutien

Aline Puricelli

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Il y a 13 heures

C’est marrant comme il y a deux teams entre la team Maël et la team qui l’aime pas ahaha

Farahon

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Il y a 4 jours

Ce chapitre est hyper touchant, on a qu'un envie c'est prendre Maël dans nos bras là 🥹

Aline Puricelli

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Il y a 3 jours

Oh merci ! Oui c'est vraiment ça, il mérite de gros câlins <3

Scriptosunny

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Il y a 7 jours

Cette seconde partie....❤️ Définitivement, Maël est un bonbon. Qu'est-ce qui lui est arrivé ? 🥺

Aline Puricelli

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Il y a 3 jours

Mon p'tit coeur <3

Lunedelivre

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Il y a 8 jours

J’aime tellement cette histoire 🥺

Aline Puricelli

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Il y a 3 jours

Merci ma douce <3

J.K.Fournier

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Il y a 8 jours

Je connais pas cette maladie. J’ai hâte d’en savoir plus.

Aline Puricelli

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Il y a 3 jours

J'espère l'avoir traitée avec justesse !
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