Aline Puricelli La Symphonie des Aurores Boréales Chapitre 4.1 - Maël

Chapitre 4.1 - Maël

Je répète en boucle depuis ce matin en vue du concert de demain. Toutes les notes doivent s’enchaîner sous mes doigts avec une précision mécanique, afin que rien ne m’échappe.

Rien du tout.

Je ne me laisserai pas avoir cette fois. Je dois prouver au monde entier que je suis prêt.

Après plusieurs heures d’entraînement, des coups sont frappés à la porte de la salle.


— Entrez.


Tom passe la tête dans l’entrebâillement de la porte pour s’approcher de moi. Je hausse un sourcil interrogateur. Que fait-il ici ?


— Tout va bien ? me demande-t-il en s’asseyant à mes côtés.


— Évidemment. Pourquoi ça n’irait pas ?


Je croise les bras et me referme instinctivement. Ma voix sonne peut-être un peu sèchement, mais Tom ne lâche pas l’affaire.


— Maël, je vois bien que t’es pas comme d’habitude. Tu es… ailleurs.


Je pince les lèvres. Pourquoi est-ce qu’il vient me parler de ça maintenant ? J’ai un solo à préparer, une mélodie à peaufiner, je n’ai pas le temps de m’interroger sur mes sentiments.


— Je bosse pour le concert, c’est tout.


— C’est à cause d’Héloïse ?


Cette fois, je me fige. Une décharge électrique me traverse l’échine. Mon sang ne fait qu’un tour et je relève les yeux vers le visage du chef d’orchestre.


— Pardon ? je parviens à articuler.


— J’ai bien vu cette tension entre vous. Vous vous connaissez ?


J’hésite à répondre par la négative, mais décide finalement de ne pas mentir et ma voix se radoucit.


— Nous étions amis au conservatoire, mais ça… Ça s’est terminé.


Je reste volontairement évasif. Hors de question de rentrer dans des détails de cette période que je préfèrerais tout simplement oublier. Il hoche la tête pensivement mais n’insiste pas. Il se relève et me lance par-dessus son épaule en s’éloignant.


— Faites juste en sorte que vos querelles n’impactent pas votre musique.


Je sais qu’il est seulement inquiet, mais son ton sonne comme une menace. Je ne réponds pas et il quitte la pièce, laissant la porte se refermer dans un « Clac » sonore.

Je secoue la tête et cligne une fois des yeux avant de me relancer dans l’interprétation de The Snow is Dancing de Debussy. Pour une fois, le chaos dans ma tête se fait silencieux. Les sons ne sont pas dissonants, la musique m’emplit de toute part. Connaissant le morceau sur le bout des doigts, je laisse mon archet suivre les mouvements, ferme les paupières et me laisse entraîner dans la délicatesse de la mélodie, sans souffrance.


Jusqu’à ce qu’une trompette se joigne à moi.


Mes lèvres s’étirent en un sourire complice quand je comprends que Léo est arrivé. Je reconnais sa façon jouer. Quelques instants plus tard, un second violon – Floriane, me semble-t-il – s’ajoute et l’harmonie devient encore plus douce. Je me laisse porter par mes amis avant d’ouvrir les yeux. Devant moi, la fenêtre offre une vue sur les lumières scintillantes dans la rue et les boules colorées d’un immense sapin qui trône dans le parc d’en face.

C’est Noël.

C’est magique.

Peut-être que ça pourra me réparer et refaire de moi le musicien que j’étais… avant.


Lorsque le morceau se termine, mon cœur est gonflé d’un sentiment nouveau. Ce n’est pas de l’envie de gagner, ce n’est pas de la peur de ne pas réussir, ce n’est pas de la douleur liée à mon état. Non, c’est plus que ça.

C’est la sérénité après avoir joué avec mes amis.

Au bout d’une éternité, Floriane prend la parole :


— C’était beau.


Léo et moi hochons simultanément la tête, incapables de troubler ce moment de partage, ces notes qui flottent encore dans l’air et qui nous rappellent pourquoi nous jouons.


— Tu sais que si tu veux t’entraîner avec nous pour te perfectionner pour le solo, on est là, me dit Léo.


Sa sollicitude me touche, mais je ne réponds rien. Floriane est aussi en lice pour cette opportunité, aussi je ne veux pas la brusquer. Mais elle me surprend en poursuivant :


— Je bosse aussi comme une dingue pour ce solo, mais… franchement, tu le mérites. T'as un truc en plus.


Je lève un sourcil.


— Un truc en plus ?


— Quand tu joues et y’a cette espèce de… magie qui capte tout le monde.


Elle me sourit doucement.


— Alors bon, je me battrai, hein, mais si c’est toi qui l’as, je serai pas surprise. Donc, si t’as besoin, je suis prête à ce qu’on bosse ensemble.


Sa main se pose sur mon bras, comme à son habitude.


— Merci. Ça me touche beaucoup, j’articule.


Mais j’aime m’entraîner seul.

Plus il y a d'instruments autour de moi, plus je risque de perdre le contrôle, de souffrir. Et dès que ça arrive, je perds toute capacité à jouer correctement.


Alors, je répète plus intensément que les autres, parce que personne ne doit savoir que mon ouïe me fait défaut. Je suis musicien, je n’ai pas le droit de me laisser distraire par cette douleur. Pourtant, elle est là. Sourde, persistance. Je ferme les yeux, sens cette pression familière qui résonne dans mon crâne. Une douleur sourde qui annonce souvent l’approche d’une crise. Je dois m’allonger avant qu’elle ne prenne le dessus.


— Je crois que je vais aller me reposer un peu cet après-midi, j’annonce à mes amis.


— Tu viens pas sur le marché de Noël avec nous ?


Je secoue la tête. J’ai juste envie de me mettre au fond de mon lit et de ne plus bouger jusqu’à demain. J’ai l’impression que plus je m’entraîne, plus mes douleurs augmentent.

Mais moins je m’entraîne, moins j’ai de chances de gagner ce solo.

Et Héloïse…

Héloïse a encore progressé depuis le conservatoire. Je l’ai entendue jouer dans sa chambre ce matin, et ça me tue de me l’avouer à moi-même, mais elle m’a collé des frissons. C’était divin. Son jeu est précis, vibrant…

Mais je ne peux pas la laisser gagner. Pas alors que mon avenir est en jeu.


— D’accord, répond Floriane, qui est restée sur son histoire de marché de Noël. Rejoins-nous si tu veux !


Elle s’éloigne, guillerette. Léo s’attarde quelques secondes et me serre l’épaule après avoir croisé mon regard.


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61 commentaires

Soäl

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Il y a 11 heures

Maël malgré son arrogance apparente est touchant, je sens qu’il est blessé qu’il doute qu’il se met une pression monstre pour rester le meilleur… C’est criants dans tes écrits

Aline Puricelli

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Il y a 11 heures

Merci beaucoup 🩷

Scriptosunny

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Il y a 7 jours

Il ressent une telle douleur, j'ai mal pour lui. On sent qu'il n'est pas méchant, qu'il souffre autant qu'Héloïse. Et ce que j'aime le plus, c'est son côté faire play.

Aline Puricelli

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Il y a 3 jours

C'est ça, vraiment Maël c'est mon p'tit coeur

J.K.Fournier

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Il y a 8 jours

Pour l’instant je n’arrive pas à m’attacher à lui parce que j’imagine les pires trucs qu’il a pu faire. Pour moi une douleur n’excuse pas un comportement de con. On verra par la suite si je change d’avis 🙃

Aline Puricelli

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Il y a 3 jours

Je comprends aha

Zebuline

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Il y a 9 jours

Je suis contente d’avoir eu l’explication du mal être de Maël ❤️

Aline Puricelli

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Il y a 9 jours

Il devient tout de suite plus attachant ❤️

Zebuline

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Il y a 9 jours

Oui au début je ne savais pas trop quoi penser de lui, et vu qu’on a le point de vu de Héloïse en premier forcément on se sent plus de son côté 😅mais ça s’équilibre après

Aline Puricelli

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Il y a 9 jours

Je suis très contente dans ce cas, merci !!
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