Fyctia
Chapitre 2.1 - Maël
Mon casque sur les oreilles, je fais mine de ne pas voir l’ombre qui se presse au-dessus de moi. Pourtant, je le sais, je ne suis pas à ma place. J’avais seulement espoir de n’avoir personne à côté de moi et de passer le vol en toute tranquillité. Malgré tout, je lève la tête.
Et je reçois un coup de massue dans l’estomac.
Impossible. Je cligne des yeux pour tenter d’effacer l’image de la femme qui se tient devant moi, mais l’illusion persiste.
Héloïse Delacroix.
La même Héloïse que celle de mes années de conservatoire. Ses mêmes cheveux roux flamboyants, sa même moue un peu hautaine. Celle qui a failli détruire ma carrière. Qu’est-ce qu’elle fait là ?
Je descends les yeux jusqu’à sa main crispée sur l’étui de son violon puis soudain, je comprends. Le discours de Tom au sujet d’une nouvelle recrue après le départ de Petra. Je n’y crois pas. Parmi les millions de violonistes dans le monde, il a fallu que ce soit elle qui soit intégrée à l’orchestre ?
Elle ouvre la bouche, la referme, comme un poisson hors de l’eau. Elle non plus n’a pas été prévenue de ma présence.
Il faut que je masque mon trouble, que je fasse comme si la voir ne m’atteignait pas. Alors, je revêts un masque, comme à mon habitude.
— Salut, Héloïse, je lance avec nonchalance dans le but de la déstabiliser.
Ça semble fonctionner car elle se décompose.
— C’est ma place, lâche-t-elle du bout des lèvres.
Ne perd pas pied, Maël.
— Tu n’es pas contente de me voir ? j’enchaine.
Mille et une émotions passent dans son regard. Blessure, doute, panique, mais aussi colère.
Masque ton trouble.
Je me décale lentement, ma posture trahissant ma tension. Je ne fais aucun effort pour lui céder cette place, si bien qu’elle doit se tortiller pour passer devant moi.
A la lueur assassine qui danse au fond de son regard émeraude, je devine qu’elle ne rêve que d’une chose : m’écraser le pied au passage. Elle s’affale finalement dans son siège, bras croisés sur la poitrine, enfonce son casque antibruit sur ses oreilles et de tourne la tête vers le hublot.
Il faut que je trouve un moyen de la faire dégager d’ici. C’est mon orchestre, mon petit coin de paradis. Elle n’a pas le droit de venir tout gâcher.
Je jette un regard courroucé à Pauline, installée quelques rangées derrière moi, mais elle ne me voit pas. Elles étaient proches comme les doigts de la main pendant nos études, je refuse de croire qu’elle n’était pas au courant que son amie nous rejoignait. Alors pourquoi ne m’a-t-elle pas prévenu ? Elle sait pourtant que nous nous haïssons.
J’essaie de me reconcentrer sur la partition devant moi, mais mes pensées ne cessent de s’entrechoquer.
Le vol se passe dans un calme assourdissant. Héloïse est assoupie à mes côtés et je ne peux m’empêcher de lui jeter des regards de temps en temps, la gorge serrée. Elle est là. Tout ce que j’ai construit pourrait s’effondrer à cause d’elle. Un frisson me parcourt, mais j’essaie tant bien que mal de chasser cette pensée. Je ne dois pas paniquer.
« Mesdames et messieurs, nous amorçons notre descente vers Tromsø. Nous vous prions de bien vouloir attacher vos ceintures et de remettre vos sièges en position verticale. Merci de votre attention et bienvenue en Laponie. »
Les cils de ma voisine papillonnent et ses yeux verts s’ouvrent Très vite, je détourne le regard en toussotant pour masquer ma gêne. A mon grand étonnement, elle ne fait aucun commentaire et se plonge dans l’observation du ciel. Soudain, la voix du pilote grésille à nouveau dans les hauts parleurs.
« Mesdames et Messieurs, à gauche de l’appareil, vous pouvez apercevoir une aurore boréale ! »
Tout le monde s’extasie, mais la tête d’Héloïse devant le hublot me masque la vue. Je tente tant bien que mal de m’approcher.
— Tu veux monter sur mes genoux, pendant que t’y es ? fulmine-t-elle.
Peut-être que j’en profiterai pour t’écraser.
Je ravale ma remarque cinglante et lui demande :
— Allez Héloïse, laisse-moi voir.
— Si t’aimais tant le hublot, t’avais qu’à payer pour, marmonne-t-elle.
Pour autant, malgré ses piques, elle se décale pour me laisser apercevoir l’extérieur. Le bleu et le vert dansent dans le ciel, et mes lèvres s’étirent malgré moi en un sourire heureux. C’est envoûtant. J’ai rejoint l’Ensemble Équinoxe avant de savoir que nous allions jouer pour une action caritative, mais depuis que je le sais, mon expérience a pris une nouvelle dimension. Au-delà de construire ma vie professionnelle, j’ai hâte de distribuer un peu de magie autour de moi. Et ça, même Héloïse ne pourra pas me l’enlever.
❄️ ❄️ ❄️
Le bus nous transporte à travers un décor tout droit sorti d’un conte. Les décorations scintillent, les flocons tombent en silence, comme si le monde se taisait autour de nous. L’ambiance est surnaturelle, la féerie de Noël se ressent clairement. Je m’imprègne du paysage. Je sais que je ne vais pas beaucoup voir le jour ce mois-ci à cause de la nuit polaire, mais les guirlandes artificielles permettent de maintenir de la joie malgré l’obscurité persistante : tout brille.
— T’as pas l’air dans ton assiette depuis qu’on est arrivés. Ça va ?
Léo se penche vers moi, ses yeux remplis de sa curiosité habituelle. Mais ce n’est pas le moment. Je n’arrive pas encore à digérer la présence d’Héloïse dans cet orchestre, ni ce que ça implique pour moi.
— Oui, ça va, je réponds seulement, évasif.
— Mouais. On dirait que t’as vu un fantôme.
Parce que c’est le cas.
Instinctivement, je la cherche du regard, pour m’assurer qu’elle n’est pas en train de préparer un mauvais coup. Quelques rangées devant moi, elle discute avec Pauline. Elle se retourne soudain vers moi, comme si elle sentait mon attention rivée sur elle. Lorsque nos yeux se croisent, je jurerais y déceler de la tristesse.
— C’est la nouvelle qui te met dans cet état ? me demande mon ami en riant. C’est vrai qu’elle est canon.
Je grimace. Héloïse est jolie, c’est vrai, mais là n’est pas le propos. Sa présence me met en danger.
— On est arrivés ! s’écrie Tom, m’évitant de répondre à Léo.
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Sofia77
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Aline Puricelli
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Il y a 8 heures
Zebuline
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Aline Puricelli
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J.K.Fournier
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M.B.Auzil
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Emilie Hamler
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Aline Puricelli
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Il y a 10 jours