VirginieG La Source et La Flamme Funérailles 1

Funérailles 1

— Le temps vient, il arrive, préparez-vous prêtresses ! Il arrive celui qui n'a pas passé le Pont !


Toute la nuit j'ai rêvé de cette phrase, elle m'a poursuivie. Je me réveillais en sursaut, regardais si Ella dormait toujours, si elle n'était pas tombée du matelas pneumatique. Puis je regardais le visage de Sam, traversé de mimiques. Lui aussi devait connaître des rêves agités. Me serrer contre lui... Tout contre. Pas difficile dans ce lit Louis-Philippe conçu pour une personne et demie.


À 6h30, le réveil sonne. Je l'éteins au plus vite et descends en pyjama, sur la pointe des pieds, préparer le café dans la cuisine. Trois percolateurs y sont déjà installés, nous accueillerons à la maison les intimes pendant le temps de la crémation. L'idée de rester à attendre dans la cafétéria du crématorium de Robermont me filait des hauts-le-coeur. Pas envie de partager mon deuil avec celui d'autres familles qui auraient aussi patienté dans les autres salles privées. Déjà qu'outre la famille, il faudra se coltiner les immanquables pique-assiettes...


Éviter de penser à ça... Je m'assois, bois mon café tranquillement en regardant vaguement vers le jardin, les idées encore dans le flou.


— Déjà debout, Bichette ?


Je sursaute et renverse la moitié de mon café sur mon pantalon de pyjama. Débout, oui, réveillée, c'est une autre histoire. Romaine me tend de quoi m'éponger, se sert et vient s'asseoir en face de moi. C'est rare de la voir sans maquillage. Mais même au naturel, difficile d'imaginer que l'âge de cette très belle femme commencera bientôt par un 8. Grâce féline, séduction, élégance. La calme assurance de la femme très aimée.


— Tu as rêvé de ce qu'elle nous a dit ? Je vois que tu as mal dormi, chérie...

— Oui. Des cauchemars. Mais ce n'est pas que ça, je crois que je suis anxieuse à cause de la journée qui nous attend. Tu sais, plein de monde, les gens qui s'invitent ici. Je devrais pouvoir être tranquille avec juste les proches et je sais que je vais devoir courir dans tous les sens pour servir des gens dont j'ai rien à foutre et bon... Disons qu'avec notre vision d'hier et ce que j'en ai compris, ça donne un combo assez désagréable.

— Chuuuut ! Tout ira bien, je suis là, Sam et Arthur sont là, on va s'entraider. François et Murielle aussi, c'est certain. En gros, les endeuillés qui feront le service pour les pique-assiettes, mais on connaît la chanson. Mais dis-moi, qu'as-tu compris de notre vision ?

— Hé bien c'est un problème, parce que c'est en principe impossible. Pour moi, Poitevin voudrait s'en prendre à nous, toutes les trois. Or, il est toujours enfermé. Et puis, comment saurait-il où nous sommes ? Quelque chose m'échappe... Enfin, quand je dis Poitevin, c'est plutôt le truc qui l'habite. Un de ceux qui ont chassé les sorcières. Mais lequel ? Il y a trois mains différentes sur ces documents... Je voudrais comprendre et ça me turlupine. Et je n'ai pas le temps de me pencher sur les parchemins en ce moment.

— Hé bien, s'il tombe tout seul sur nous trois, il n'est pas près de se relever, le salopard. On lui fera passer le pont à coups de pompes dans le cul, ma Bichette ! Allez Babou, chasse ces pensées et va t'habiller, on a des courses à faire avant le début des hostilités. Une nuée de sauterelles à nourrir, tu sais...


Je me rends dans la salle de bain. C'est vrai qu'il faudra faire vite, nous sommes plus que la maison ne peut normalement contenir et ce sera bientôt la file. Or, la levée du corps a lieu à 10h. Un bref regard dans le miroir. J'ai effectivement la tête de quelqu'un qui a mal dormi. Mais qui pourrait m'en faire le reproche, après tout ? Je m'apprête à entrer sous la douche lorsqu'on frappe à la porte.


— Lizzie, je peux entrer ?

— Ben, oui. J'allais prendre une douche, là.

— Et ça t'embête si je la prends avec toi ?

— Non, viens...


Lorsque je suis enfin prête – ce qui a pris, hum, un peu plus de temps que prévu – et Romaine aussi, nous partons chercher les petits pains, les tartes, les charcuteries et fromages. J'ai insisté pour que nous allions chez les petits commerçants. Tellement pas envie de mâcher du coton, des fonds de tartes tout humides ou du jambon en caoutchouc. Puis ça nous fait faire un tour dans le quartier, avec cette impression très bizarre de tout reconnaître sans que grand monde vous reconnaisse. Le boulanger-pâtissier propose de venir tout déposer à la maison puisque nous sommes à pieds. Il a suffi d'un battement de cils de Romaine. Parfois, je me demande si, comme moi je suis protectrice et je peux blesser, elle est séductrice. Que sa séduction n'est pas exactement naturelle... Qu'elle relève du don. Ce qui explique la facilité avec laquelle elle se met tout le monde dans la poche en 5 minutes. Tout le monde, sauf mon père. Comme s'il était immunisé.


Devant la maison, quand nous arrivons, il y a déjà des voitures. C'est l'heure ? Non, pas encore, il y a encore une heure avant la levée du corps. Je reconnais la voiture de François, celle de Roger, mais les autres ?


Les autres, ce sont mes cousines. Christelle est allée chercher Angélique à la gare, Isabelle est arrivée avec son mari. Aucun des enfants n'est là. Ma foi, une grand-tante... Bien, une grand-tante, ça ne signifie pas plus que ça pour eux. Quelqu'un qu'on croise aux fêtes de famille, tout au plus.


— Courage, bichette, le cirque commence. En avant, calme et droite !


Je soupire, j'en ai déjà marre. Il va déjà falloir préparer les cafés, les thés pour les uns et les autres. J'enterre ma mère, merde ! Respirer... En avant, calme et droite !


Je rentre, sourire aux lèvres. Sam et Arthur ont commencé à s'occuper de tout le monde, aidés par Roger et Olivier. Mes cousines se font servir. Dans son fauteuil, papa lit une histoire à Ella qui semble mettre un point d'honneur à l'occuper, à ne pas le laisser seul dans ses pensées.


Je mords sur ma chique en voyant Angélique, actuellement entre deux hommes – grand bien lui fasse – se montrer tout sucre et tout miel auprès de Sam. Elle ressemble tellement au genre de femmes avec qui il est sorti après son divorce.


En avant, calme et droite. C'est l'heure. Je prends mon manteau, j'aide Ella à enfiler le sien. Sam nous rejoint et m'embrasse sur la tempe, très doucement. « Quelle plaie, ta cousine Angélique ! »


Déjà beaucoup de monde qui nous attend au funérarium. Beaucoup qui étaient déjà passés cette semaine. Amis, voisins, cousins éloignés – maman était fille unique –, anciens collègues, Sofiane, Aurélien et sa compagne Julie, Vivien. Et parmi tout ça, deux visages à l'air perdu qui s'éclairent à notre arrivée : Pascal et Yolande !

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5 commentaires

Véronique Rivat

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Il y a 5 ans

J'arrive trop tard pour le déblocage mais tant pis je like qd même !

VirginieG

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Il y a 5 ans

Merci :)

Camille Jobert

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Il y a 5 ans

Les enterremenrs c'est jamais la joie entre la famille proche, éloignée, connaissances, hypocrites, pique-assiette, perdue...😅🤦

VirginieG

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Il y a 5 ans

Ouaip. Et je trouve qu'on ne le raconte pas assez ;)

Marie-Eve Tries

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Il y a 5 ans

Allez courage... c’est dur d’enterrer un personnage!
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