Fyctia
Paléographie 1.
« Morning has broken, like the first morning.
Blackbird has spoken, like the first bird.
Praise for the singing, praise for the morning,
Praise for them springing fresh from the Word. »
Ces quelques mesures d'une chanson de Cat Stevens mes traversent l'esprit, alors que je regarde Sam encore endormi. La nuit a été plus paisible. Comme si l'idée de me plonger dans ces documents comme s'il s'agissait de n'importe quelle liasse non classée me rassure. Le fait de ne rien ressentir quand je les touche. Certes, c'est parce que la mémoire est partie ailleurs et que pour la contacter, je dois le faire volontairement...
Une bonne douche et trois cafés plus loin, Ella en vadrouille et les hommes de la maison au travail, je commence à installer mon bureau pour être à l'aise. La lampe de brodeuse, avec sa grosse loupe, quitte la table de couture. Je range les classeurs de réservations et les factures sur l'étagère, dégage au maximum le bureau pour pouvoir dérouler les parchemins. Je retourne les rayons de la bibliothèque pour retrouver mon dictionnaire d'ancien français, mets la main dessus et, miracle ! Il est juste à côté de la grammaire.
Par acquit de conscience, pour être certaine d'être protégée de ce qui resterait de mémoires sur les documents, je pose sur le bureau ma pierre de lune, un rameau de romarin et pratique une fumigation de sauge, puis tente de me visualiser dans une bulle de protection. Visualiser intentionnellement, hors d'un état de transe, est très compliqué pour moi. Naturellement, je sens et je sais – c'est si difficile à expliquer, cette perception qu'on appelle claire-sapience... Mais c'est que le Tout, l'Univers, la Déesse en a voulu ainsi. Romaine aussi est clairesapiente. Et Lola ?
Je suis saisie d'une appréhension, alors que Cyrcé souffle vigoureusement en direction du bureau. Quelle étrange sorcière je peux bien être, dont le chat est bien plus puissant voyant qu'elle-même. C'est que ces animaux ont un accès aux mondes invisibles de façon bien plus naturelle, instinctive que nous. Je lui ouvre la porte et la vois filer dans la direction de la fontaine aux oracles. La Source aux songes. Cette source qui « n'aurait jamais dû être déterrée ». Ce qui tendrait à croire qu'elle a été volontairement enterrée. D'où la couche peu profonde à laquelle nous l'avons trouvée. C'est fou, je n'y avais jamais fait attention. Il faudra que je consulte le bulletin de la société d'Histoire locale, afin de savoir si des superstitions, des traditions y sont liées. Une forme populaire de divination, un quelconque arbre aux fées... C'est presque honteux de ne pas l'avoir fait bien plus tôt. Et en même temps, aucun des membres n'est venu m'en parler.
Mais soit, j'ouvre l'étui et sors les documents. Il y en a une quinzaine. Parchemin et papier de chiffon. L'encre a roussi, pris des nuances de sépia, est effacée par endroit. J'hésite... Dois-je frotter ces zones lacunaires à la mine de crayon ? Cela m'aiderait sans doute à faire apparaître les traits creusés par la plume mais je risque d'abîmer le support. Qui sait si les documents ne pourront pas être exploités par quelqu’un d'autre, plus tard, dans la cadre d'un mémoire ?
Je les étale et m'y penche de plus près. Tous ne sont pas datés. Ceux qui le sont ont été rédigés entre 1437 et 1438. C'est leur seule lecture qui me permettra, éventuellement, de remettre les événements dans l'ordre. Et à y regarder très attentivement, il y a deux ou trois mains différentes. Il a... Ils ont donc perpétré ces... ces choses durant au moins deux ans. Voire même se sont dispersés ? Deux, trois mains, cela serait-il la marque d'une correspondance ? Et donc, ces hommes, certains d'entre eux, auraient été des lettrés ? Des clercs ? Des marchands à tout le moins ?
Je prends au hasard un des documents datés de 1437, du moins je suppose. Là aussi, le nom du saint célébré est presque illisible. Tant pis. Il faut bien commencer quelque part. Je m'assieds, respire profondément, prends un bloc de feuilles et un crayon. Et j'entre dans le vif du sujet.
« Fête de saint x, an de grâce MCMXXXVIII
Ami, j'espère que cette lettre te trouvera bien portant. Je la confie à (Brice ? Brieuc?) qui a toute ma confiance. Il est mis au courant de notre affaire, de l'importante quête qui est nôtre.
La sorcière est en l'air, son âme retournée à l'enfer qu'elle n'eût jamais dû quitter. Mais nous savons bien qu'elle n'est pas seule. Nombreuses, bien plus nombreuses que ne le croient les Pères Inquisiteurs sont-elles qui suivent cette voie de péchés.
Saint Dominique*, loué soit son nom, doit être bien déçu du peu de zèle de ses successeurs, qui laissent ainsi échapper moult pécheresses et fauteuses de sacrilèges.
Je tente par ruse et par mensonge – il le faut bien, la cause vaut que l'on triche avec suppôt du diable – de remonter les chemins de ces dites « filles de lune », car c'est ainsi qu'elles s'appellent, vouant culte à la succube que les anciens prenaient pour déesse et nommaient Hécate et se prétendant capables de lire l'avenir et de guérir. Seul Dieu guérit et seul lui possède la connaissance de nos destinées !
Ami Hugues, il ne faut point faiblir dans ta foi ! Ni faiblir dans tes recherches. Elles sont fourbes et trompeuses, elles sont séductrices. Reste pur, ami ! Ne te laisse point circonvenir par leurs charmes de femelles, ni tromper par ceux qui ont succombé à leur impudicité ! Car il se dit que par nuits de pleine lune, elles dansent auprès des fontaines, dans les bois, vêtues de leur seule chevelure, acte qui remplit d'effroi et de dégoût tout bon Chrétien. Mais si nous voulons les prendre et détruire, une à une, il faudra se résoudre à assister à cet abominable spectacle et prier Notre-Seigneur de garder âme droite et sans tâche.
Si les routes sont bonnes, sûres, je devrais te rejoindre d'ici trois à quatre semaines. Quelques affaires à régler encore ici. Je me mets en route. Pour mercy et gloire de Dieu. Qu'il te bénisse, mon ami et te tienne en Sa Très Sainte Garde.
Illisible »
Ah merde ! Mais merde ! Tout était lisible, sauf évidemment le nom de ce type !
Deux heures déjà que je suis dessus...
Bon... me préparer et un café et prendre une pause avec Sam et François.
*¨Dominique de Guzman, fondateur de l'Ordre des Dominicains ou Ordre des Frères Prêcheurs. C'est parmi leurs rangs, ainsi que parmi ceux des Franciscains, que furent recrutés bon nombre d'Inquisiteurs à l'instigation du Pape Grégoire IX. En effet, en tant qu'ordres mendiants, ils étaient accoutumés à voyager, contrairement aux moines vivant en clôture.
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Alec Krynn
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VirginieG
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Marie Cappart
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Mauricevem
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VirginieG
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Madame Split
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VirginieG
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