VirginieG La Source et La Flamme La part de l'autre.

La part de l'autre.

Sur les quelques mètres qu'il reste jusqu'à la maison, je demeure silencieuse.

Aller à la rencontre de cette femme, oui, bien entendu, j'en ai envie. Pour comprendre. Mais je dois d'abord déchiffrer quelques-uns des documents, faire le lien ou l'invalider.

J'ai désormais la conviction que l'homme possédé, c'est Patrice Poitevin. Patrice Poitevin qui est interné dans un hôpital psychiatrique et sous surveillance. Hors d'état de nuire, donc. Il ne sortira pas, à moins d'être abruti de médicaments.

Et cette femme, que vais-je lui dire ? « Bonjour, je m'appelle Élisabeth Dubray, votre fils a essayé de me tuer » ? Quelle responsabilité peut-elle avoir là-dedans ? Elle a sauvé sa peau, on lui a retiré son enfant, elle n'y est strictement pour rien.

Pourtant je sais, je sens qu'elle peut m'aider. Ou c'est moi qui l'aiderais, en lui permettant de déballer ce qu'elle a sur le cœur ? Religieuse, peut-elle véritablement accuser d'autres croyants de lui avoir fait tant de mal ? N'est-elle pas assignée à un pardon inconditionnel ? À une forme d'oubli ? Enfouir le traumatisme, comme l'a dit Xavier ? Tant de questions...


Nous arrivons à la maison. Je paye la baby-sitter qui retourne chez elle, quelques maisons plus loin. Ella a été très sage, comme toujours. Elle a juste demandé encore et encore la même histoire, sans que la pauvre Ysaline ait pu sauter une ligne. Bien entendu, ma petite vendange tardive connaît par cœur « L'oie Eugénie et Snif lapin », ce livre que j'ai moi aussi usé jusqu'à la trame, dans lequel j'ai appris à lire.


Nous prenons une verveine avant d'aller nous coucher, silencieux et songeurs.


— Les gars, ça vous dérange de continuer à travailler sans moi, demain ? Je crois que je vais m'attaquer aux documents pour de bon.

— Bien entendu que non, on peut même s'occuper du repas, si tu veux. Pas vrai, François ?

— Mais oui. Après ces quelques jours de gastronomie, une quiche avec une salade feront du bien à tout le monde. Sinon Murielle prétendra encore que Babou veut boucher mes artères ! Tu as tout le matériel nécessaire ?

— Mes deux yeux, mes lunettes et un dictionnaire d'ancien français. Sinon, Google est mon ami. Et en cas de problème de luminosité, je détournerai ma lampe de brodeuse.

— Sam, quand ton amoureuse ne joue pas au criminologue, c'est Mac Gyver.

— Ah, là je comprends la référence au moins...


Nous montons enfin. Pas vraiment de réveil matinal programmé. Pendant que Sam prend une douche, j'ouvre mon livre de chevet. Mais pas moyen d'entrer dans l'histoire. Les questions se bousculent dans ma tête et même l'effet apaisant verveine n'y fait rien.


Sam sort de la salle de bain. Il a encore l'air soucieux. La ride entre ses sourcils – la fameuse ride du penseur – semble plus profonde que d'habitude. Il garde les yeux dans le vague. Ils ont l'air légèrement embués. Lorsqu'il s'assied sur le lit, il malaxe ses trapèzes. Il a mal.


— Amour ? Veux-tu que je te masse ? Tu as l'air contracté.

— Vraiment, ça ne te dérange pas ?

— Depuis quand serais-je dérangée à l'idée de honteusement te tripoter par derrière ? Va chercher l'huile de jojoba, je n'ai pas envie de sortir du lit.


Je me cale dans les oreillers, il vient s'asseoir en tailleur devant moi et enlève son t-shirt. Je chauffe l'huile entre mes paumes avant de poser les mains à la base de sa nuque et d'effleurer ses épaules, doucement pour commencer. Puis je m'applique à défaire les points de tension un à un, le long de sa colonne, avec les pouces. Je le sens qui se relâche petit à petit, mais ses trapèzes sont durs comme de la pierre. Comme s'il s'était crispé d'un coup. Alors je prends mon temps, glisse de sa nuque au creux de ses reins, revenant au trapèze quand les autres tensions disparaissent, j'insiste, je le pétris comme un pâton, je l'entends soupirer. Et soudain, il fond en larmes.


— Oh, mon amour... C'est cette histoire ? Que se passe-t-il ?

— Ce n'est rien, ça va passer. Excuse-moi.

— Samuel Wilson, si tu pleures, pour moi ce n'est pas rien. Et tu n'as pas à t'excuser, surtout pas à moi. Dis-moi juste si je peux faire quelque chose, si tu as besoin de quelque chose.

— Je ne sais pas de quoi j'ai besoin. C'est comme si mon passé m'explosait à la gueule. Comme si je me trouvais confronté au genre d'homme que j'aurais pu devenir.

— Et que tu n'es pas devenu. Tu ne l'es pas devenu, d'accord ? C'est ça le plus important.

— Mais peux-tu me jurer que je ne t'ai jamais fait de mal ?

— Oh ça non, je peux pas te le jurer. Mais ce n'était pas de la maltraitance, juste tes peurs et tes blessures qui te faisaient agir, pardon, comme un con. Un parfait petit con arrogant. Toutes les fois où tu m'as ignorée dans des endroits où j'étais mal à l'aise et toi comme un poisson dans l'eau. Puis ta course à la femme-trophée, après ton divorce. C'est à ce moment-là que je me suis installée ici, tu te souviens ? Pour ne pas assister à ça, notamment. Pour me faire du bien à moi, ne plus rester comme une andouille à attendre ton attention. Je ne m'en rendais pas compte, alors, mais c'était le cas. Et la dernière fois, c'est quand tu as disparu des radars pendant deux mois, avant le mariage de Romaine, pour réapparaître comme une fleur avec tes valises et tes caisses. En me considérant somme toute comme un acquis. Et ça, j'avais déjà donné. Même si je sais maintenant que c'était écrit, nous deux, depuis plus longtemps que le temps lui-même, je ne te considère pas comme un acquis. Et je ne veux pas que tu me voies comme ça non plus.

— Très sage Elisabeth...

— Je ne sais pas si c'est de la sagesse. C'est comme ça que je le ressens. Et chaque jour, tu me prouves que j'avais raison de croire en l'être magnifique derrière la carapace en toc. Mais je ne voudrais pas non plus te faire du mal en continuant mes recherches. Veux-tu que je cesse ? Veux-tu que je continue seule ? Dis-moi...

— Je ne lâcherai pas ta main au milieu du gué, companera.


Je voudrais passer la main dans ses cheveux, mais elles encore couvertes d'huile. C'est lui qui la prend et la pose sur sa tête. Je passe les doigts dans ses boucles, approche mon visage du sien, plonge mon regard dans cette nuit de velours... Enfin, je l'embrasse avec une infinie douceur. Mes lèvres quittent les siennes pour se poser au creux de son cou, là où cela sent vraiment lui, ce subtil mélange de lavande et d'anis. Je le respire. Je prends mon rail de Sam.


Il tire légèrement sur ma nuisette, la fait passer par-dessus ma tête. Je tends la main vers la lampe de chevet, il la retient.


— Non, je veux pouvoir te regarder dans les yeux...

Tu as aimé ce chapitre ?

10

10 commentaires

Phaenna SH.

-

Il y a 5 ans

Ohh les révélations <3

Alec Krynn

-

Il y a 5 ans

Très mignon ce petit moment entre nos deux amoureux. On en apprend plus sur eux et sur les épreuves qu'ils ont traversé et pourtant cet amour persiste 😊

Marie Cappart

-

Il y a 5 ans

De l'huile, une nuisette alors qu une rencontre intrépide attend, sans parler du LE document!!! Raaaaaaaaaaaaaaaaah, tu es le mal!!!!

VirginieG

-

Il y a 5 ans

Le document au chapitre suivant 😁

Sand Canavaggia

-

Il y a 5 ans

Des réponses à venir d'ici deux chapitres qui vont peut-être m'enfoncer dans d'autres questions, de la religieuse, Patrice Poitevin, leur lien et pourquoi en arriver jusqu'à elle....Ce sont les questions qui vont répondre à toutes les autres pour elle, et moi 😊Un tendre moment entre huile et baiser...Merci de ce nouveau partage, bonne suite à toi avec mon attente de la suite... 😋😊😉

Madame Split

-

Il y a 5 ans

Nooooon 😨 !!! C'est un page-turner et je suis à court de chapitres... Au secours, à l'assassin...

VirginieG

-

Il y a 5 ans

Merci ☺️
Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.