Fyctia
Une tribu
Lola ? Bon sang ! Une de plus... Mais comment ne m'en étais-je jamais rendu compte ? Qu'est-ce que j'avais loupé, zappé ?
Bon, en même temps, il avait fallu que Romaine m'en parle, je ne sentais pas le don chez elle non plus.
Rectification : je ne le sentais pas encore.
Depuis que nous avions mis la source au jour, depuis que j'avais retrouvé ma source, je sentais ce lien. Depuis que j'avais accepté le don et que je le développais, je l'apprivoisais. Or, cela faisait bien longtemps que je n'avais pas vu Lola, partie étudier en Angleterre (ce tropisme britton, dans la famille!). Lors du dernier réveillon chez nous, elle n'était pas là, ayant choisi de rester à Londres. Entre les fêtes à Londres et chez une tatie en Dordogne, ma foi, à 19 ans, je n'aurais pas hésité longtemps non plus.
J'entends les pas de Sam sur le gravier, puis sur les dalles de la terrasse. Il entre, tout sourire, chargé de croissants, des gouttes de bruine dans ses boucles noires et de la buée sur les lunettes.
— Bonjour tout le monde ! Bien dormi, François ?
— Hum, bien, disons que je viens d'avoir une discussion avec ma petite sœur et que tu es passé à un cheveu de te faire casser la gueule, mon vieux !
Sam nous regarde, l'air totalement abasourdi.
— Pardon ?
— J'ai entendu Babou crier pendant la nuit. Et ça n'avait pas vraiment l'air d'être de plaisir, tu vois. Donc j'allais t'en mettre une fameuse, de rouste !
— Ah, ça... Non, rien à voir. Lizzie, tu veux bien me faire un thé, mon cœur ?
Il dépose les paquets sur la table, s'assied, sonné. Je vois qu'il a les larmes aux yeux. Un point sensible a été touché. Très sensible.
— François... Évidemment, un homme violent pourrait te tenir ce discours. Mais jamais, au grand jamais je ne pourrais faire le moindre mal à Élisabeth ! C'est inconcevable, pour moi.
— Elle vient de m'expliquer en gros de quoi il retourne. Tu l'as échappé belle. Il semble qu'un certain don passe dans les femmes de la famille. Mais je ne sais toujours pas ce qui l'a fait hurler comme ça. Une vision ? Une perception ?
— J'ai contacté la mémoire de l'étui... Enfin, de celui à qui l'étui appartenait. Et c'était vraiment pas beau à voir.
— Pas beau au point de te faire hurler ?
Je dépose la tasse de thé devant Sam, me sers un autre café, prends un croissant dans le sac posé sur la table. Je meurs littéralement de faim.
— Bah foui, f'était 'raiment dégueulaffe.
— Pas la bouche pleine, Dubray !
— Tu fais fier ! Laiffe-moi finir fe cwoiffant, 'lors !
— Prends ton temps, tu risquerais d'avaler de travers par dessus le marché !
L'atmosphère se détend peu à peu. Nous voici revenus à la table du petit-déjeuner familial, le grand frère asticotant la petite sœur sur sa manie de parler la bouche pleine dans l’enthousiasme de vouloir raconter quelque chose, là, maintenant, tout de suite. Pour peu, dans le coin de mon champ de vision, j'apercevrais notre mère faire les gros yeux devant ce manquement le plus élémentaire à la bonne éducation qu'elle essaye de me donner. Soupirs et souvenirs et vice-versa.
— Tu disais donc, Babou, avant de projeter des miettes partout, que cette vision était vraiment dégueulasse au point de te faire hurler. Mais encore ?
— Un tueur. Un tueur sadique, de femmes. Chasseur de sorcières ou quelque chose comme ça, mais rien à voir avec l'Inquisition – je préfère le dire tout de suite, Sam m'a déjà posé cette question. Et qui agissait peut-être en bande, avec des suiveurs.
— Victimologie, Reid ?
Je pouffe. Samuel nous regarde, éberlué. Mais qu'est-ce que nous sommes en train de raconter ? Bon sang ! J'avais oublié que depuis des années il n'avait plus la télé et ne pouvait donc connaître Esprits Criminels.
— Pardon, Amour. Mon cher frangin est juste en train de me comparer à un petit génie télévisuel de la criminologie, grand pourchasseur de tueurs en série. Trois doctorats, lit vingt-mille mots à la minute, incapable de faire ses lacets tout seul. Absolument mignon.
— Tu réaliseras donc ta chance, mon vieux, que la petite soit revenue à ses premières amours, l'intello coincé, après avoir été pendant 20 ans confite en mariage aux côtés d'un bellâtre inspiré.
Sam paraît de plus en plus perplexe. Fils unique, ce genre de joutes oratoires matinales n'est pas dans ses habitudes. Sans doute encore moins celles qui perdurent entre François et moi à chaque fois que nous sommes ensemble, truffées de références à deux balles et de private jokes. Il y a quelques minutes, il apprenait qu'il avait évité une sévère dérouillée, voici qu'il était perdu dans une conversation à digressions multiples.
— Mais vous êtes tous complètement barge, dans cette famille !
— C'est possible. Sauf nos parents, évidemment, qui ont choisi l'absolue normalité pour se faire remarquer.
— Juste ! Mais pouvons-nous en revenir à ces perceptions ? Je crains que tu n'aies eu des retours pendant la nuit. Tu as encore pleuré et crié. Et ça, ça me préoccupe vraiment. Comment te sens-tu maintenant ?
— Là, ça va mieux. Deuxième café. Mais cette nuit, clairement, j'ai fait des cauchemars en lien avec les visions. Sauf que je ne m'en souviens plus, c'est flou. Ou je n'ai pas encore bu mon troisième café. Peut-être que ça va me revenir pendant la journée. Rien de mieux que le travail manuel pour se vider la tête et on n'a pas idée de ce qui peut surgir dans une tête vide !
Le petit-déjeuner terminé, mon troisième café bu, la vaisselle faite, nous couvrons les meubles de bâches en plastique. Il va falloir terminer d'abattre les murs et préparer le travail pour les plafonneurs. Finalement, nous laissons la pose de la lourde bille de chemin de fer qui servira de poutre à des professionnels. Nous superposons donc quelques planches pour fixer les étançons.
Au fur et à mesure je ramasse les débris, les gravats, je balaie, laissant voguer mon esprit. Je repense aux larmes de Samuel. Sans doute le souvenir de son père, éditeur, jet-setter, homme à femmes, grand buveur et la main leste, si l'on peut dire les choses ainsi. Sam avait tant vu le visage de sa mère tuméfié, petit enfant, que cela l'avait marqué à jamais. Il ne voulait plus entendre parler de son géniteur. Les mots de François avaient dû le toucher en plein cœur.
Puis mes pensées s'envolent un peu plus loin, dans le vague, dans le flou et des mots me reviennent. Que j'ai entendus pendant le rituel. Que j'ai entendus dans mes cauchemars. Que j'ai entendus... Il y a quatre ans, dans cette cuisine ! « Putain du diable ! Putain du diable ! »
— Oh nom de dieu !
— Ne jurez pas, Marie-Thérèse ! Mais où files-tu comme ça ?
— Appeler le médecin pour l'inviter au resto !
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Phaenna SH.
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Camille Jobert
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Sand Canavaggia
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chirine
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Marie-Eve Tries
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Il y a 5 ans