Fyctia
Une croix n'a jamais indiqué 1
— Bon, ben je crois que la meilleure solution c'est de supprimer le mur entre la cuisine et la grange. On ouvre un espace pour les stages, ça fait un endroit plus grand pour les repas de groupes, et puis on te fera un bureau sur une mezzanine. Et comme ça on garde la yourte uniquement pour l'hébergement. Qu'est-ce que tu en penses ?
Ce que Samuel en pense ? Il a l'air atterré de ma fièvre des travaux. La maison est toujours en mouvement, en changement. Les murs changent de couleurs, les meubles de place, les coussins de housses et parfois même les fauteuils de tissu de recouvrement. Et maintenant je veux casser un mur et lui faire un bureau pour lui seul. Comme si partager le mien, dans l'ancienne remise, me posait un problème.
Hé bien oui, ça me pose un problème. Son besoin de silence quand je fais tout en musique. Son besoin de calme absolu quand il m'arrive de me mettre à danser comme ça, pour un rien, parce que ça me démange, parce que le son est bon, parce que mes pieds commandent...
La solution se trouve donc dans des travaux, plutôt que de lui demander de faire des efforts pour supporter mon bruit, plutôt que moi contrarier mes élans. Un espace disponible existe, un terrain de compromis, une possibilité pour cohabiter en paix sans que personne ne fasse de sacrifice.
Lorsque Samuel avait définitivement emménagé chez moi, quelque temps avant la naissance de notre fille, je lui avais rappelé ce qui avait motivé mon installation dans ce village, dans cette maison que venait de m'offrir – enfin, vendre pour un euro symbolique – ma tante : ne plus être le second rôle dans la vie d'un autre. Ce que j'avais été durant tout le temps de mon mariage : soutien financier, groupie, nounou et plus ou moins agent artistique, le tout assorti d'épouse, amante, mère. Et de ça, je ne voulais plus. Sam et moi nous nous aimions, cela ne faisait aucun doute. Mais je nous voulais deux être libres ayant fait le choix de cheminer ensemble. Aucun de nous ne comblant un manque chez l'autre. Même si quelquefois nous jouions l'un pour l'autre le rôle du miroir, dans les moments de doute ou de fatigue. Mais ça, ce n'était pas pareil. Parce que c'était réciproque, avant tout.
Ella était assez grande pour avoir une chambre rien que pour elle, nous avions donc besoin d'un espace d'hébergement supplémentaire. La yourte sur le tertre aux Trois-Chênes, dans le fond du jardin, devait y être entièrement consacrée. Les réservations dans notre maison d'hôtes se multipliaient d'autant plus que nous organisions des ateliers d'écriture, des stages de méditation et même de boulangerie historique, avec la complicité de nos amis Yolande et Pascal, les boulangers du village. Nous avions donc les moyens de procéder à ces aménagements. Vraiment, l'air désolé de Sam ne pouvait venir que de l'impression d'être chassé de mon bureau, de notre bureau...
— Sam, Sam, Sam... Je sais que tu aimes que nous travaillions dans la même pièce. Mais avoue que ça demande tant pour toi que pour moi des concessions qui n'auraient plus besoin d'être si nous avions chacun notre bureau. À moi mon bordel et mon bruit, à toi un espace zen et dépouillé et le silence. Maintenant qu'Ella va à la crèche, on a le temps de midi pour se retrouver tous les deux. Puis ce n'est pas encore réalisé. On doit encore avoir les plans d'architecte, attendre la basse-saison, et je me disais qu'on pourrait faire ça en partie nous-même quand François sera là. Après tout, il a pas mal bossé dans son moulin et ça donne franchement bien.
En effet, François, mon frère aîné, illustrateur et dessinateur de BD, avait aménagé lui-même un vieux moulin à aube aux portes de l'Ardenne. Un lieu fort et paisible comme lui, dans une vallée secrète – euh... comme lui. Un coin tranquille pour créer à l'aise au creux d'un écrin de verdure. Un refuge de calme ursidé qu'il avait accepté de quitter pour venir visiter le « Trou de Hobbit » de sa petite sœur et embrasser sa filleule. Certes, c'était tangent de l'inviter pour finalement l'accueillir dans une maison en travaux, travaux auxquels il allait en plus participer. Cavalier même. Et en même temps, je savais que je pouvais le lui demander parce que fabriquer des choses, restaurer des vieilles bâtisses, il adorait ça.
— Oui, tu as raison. Je sais que tu as raison. C'est juste que ça sera difficile de ne plus pouvoir me lever pour t'embrasser. Ou te demander directement ton avis sur ce que je viens d'écrire.
— On a le drive, pour mon avis. Je suis capable d'ajouter des commentaires. Et pour m'embrasser, hé bien, le désir s'accroît quand l'effet se recule. Ou tu descendras de ta mezzanine et tu traverseras la maison, tiens ! Plus besoin de passer par la terrasse, c'est pas beau, la vie ?
L'affaire est rondement menée. Samuel est têtu, mais moi aussi. Très vite, la chambre art déco, dite Montparnasse, celle qui semblait la plus incongrue dans cette fermette périgourdine, devient le domaine de notre petite sorcière. Je prends un plaisir infini à orner les murs de graminées et de fleurs des champs. Ma vieille Cyrcé, belle chartreuse, m'observe attentivement. Elle veille sur Ella depuis sa naissance comme s'il s'agissait de son propre petit. C'est pour ainsi dire elle qui lui a appris à marcher, la petite s'agrippant à sa queue pour faire ses premiers pas.
— C'est beau, maman. C'est comme les fleurs de la fontaine.
— Oui, mon trésor. Comme ça tu les as près de toi même quand elles dorment sous la terre, l'hiver.
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Véronique Rivat
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Il y a 5 ans
Phaenna SH.
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Carazachiel
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Emmanuelle TZ
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Il y a 5 ans