Fyctia
Gamine et police nationale
Solène se tournait les pouces depuis plus d’une heure avant que la porte d’entrée ne s’ouvre à nouveau. Elle tuait le temps en observant la porte du bureau de Rodrigue. Que pouvait-il bien afficher aux murs ? Des articles ? Des discours ? Des photos ? Des posters ? Curieuse comme l’était, Solène allait bien finir par le découvrir.
Apparition de la nouvelle collègue dans les locaux bien garnis du cabinet. Jupe courte, cheveux courts, mais certainement pas idées courtes, sinon elle n’aurait rien à faire là. Maquillée de noir sous les yeux, de carmin sur les lèvres, fond de teint pâteux sur les joues, elle avait tout de la collégienne à la recherche de son identité, et pourtant, sa caméra dernier cri et son dictaphone hurlaient le contraire.
Évidemment, elle ne manqua pas d’apercevoir Solène la fixant depuis son bureau entièrement vide.
— Z’êtes la nouvelle baby-sitter ? fit-elle d’une voix de crécelle en s’invitant sur le rebord de la fenêtre.
Solène resta coite. La personne devant elle était une femme, certes, mais une femme au retard mental très perturbant. Son chewing-gum faisait un bruit infernal, qui plus est. Il s’avérait particulièrement déstabilisant de rencontrer un enfant monté sur talons hauts, aux cheveux si noirs qu’ils étaient de toute évidence teintés.
— Quoi ? Z’avez perdu vot’ langue ?
— Euh…
Et la nouvelle venue éclata de rire. Un rire étrangement doux et mélodieux. Rien à voir avec sa voix de crécelle. De l’autre côté de la paroi de verre, Coline se trémoussait sur sa chaise en lançant un regard entendu à sa collègue. On se moquait de Solène.
— Je … je ne comprends pas.
— Je vous ai bien eu, hein ?! Allez, faites pas cette tête, on dirait que vous avez vu Bob Marley au café du coin. Avouez que je joue bien la comédie !
Solène hocha la tête sans comprendre.
— Normal, c’est mon métier ! Marie-Bénédicte Simonet, pour vous servir. Ça me va pas, je sais, c’est pour ça qu’ici, et pour tout le monde, c’est Sissi. Ancienne actrice, je roule pour m’sieur d’Estrain depuis deux ans, je fais son sale boulot.
— Son sale boulot ?
— Vous pensez qu’on estime la dangerosité des rues en restant dans son canapé à lire des journaux ?
— Euh…
— Je planque pour lui dans certains coins un peu chauds. Petit film, et hop, un viol en bande organisée en moins. Je tombe souvent sur de la drogue, j’avoue. Dès qu’une agression à caractère sexuel est signalée, c’est bibi qui se tape toute la route pour aller provoquer le pervers, d’où la baby-sitter. On joue un jeu dangereux, mais c’est pas la pègre qu’on déniche, c’est juste des pauv’ types en manque de galipettes. A la rigueur, une bande de jeunes qui veut briller par sa connerie. Jamais vu de tueurs en série en six ans de carrière dans le milieu.
— Vous voulez dire que votre boulot c’est d’aller rôder dans les quartiers dangereux pour attirer les pervers ?! s’emporta Solène. C’est… impensable ! Vous risquez votre vie, sans compter que c’est illégal pour votre patron !
Encore une fois, la dite Sissi se gaussa sans retenue.
— Jetez un coup d’œil à ce prospectus, indiqua-t-elle en brandissant son portefeuille sous le nez de la journaliste.
Elle y exhibait une carte un peu particulière. Sa tête, démaquillée et sérieuse, Marie-Bénédicte Simonet écrit en gros à côté du logo de la police nationale sur fond bleu blanc rouge.
— Capitaine Simonet, brigade nantaise des mœurs, traduisit-elle. Mais c’est toujours Sissi hein…
Solène ne s’attendait pas vraiment à ça, elle devait bien l’admettre. La femme devant elle n’avait rien d’un flic, et encore moins d’un flic en infiltration. Poignets frêles, faciès d’une adolescente en quête d’attention, qui aurait cru qu’elle était haute gradée d’un milieu machiste ?
— Alors comme ça c’est vous la nouvelle ? s’intéressa Sissi en tournant autour de sa proie. Encore une rouquine, décidément… Bienvenue ! Vous verrez, ici, c’est l’aventure tous les jours. Les tâches pénibles, c’est pour le Big Boss et Coline.
— Vous pourriez me dire quel va être mon job exactement ?
— Expérimenter la rue, analyser les sources de craintes, et si l’occasion se montre, confronter et confondre un pervers. Sinon de jour, faudra recueillir des témoignages, interroger des violeurs emprisonnés…
— Très intéressant, admit Solène, heureuse de ne pas avoir à laisser son travail de terrain derrière elle au profit d’un séjour dans un bureau. Si je comprends bien, nous faisons équipe ?
— Exactement ! D’ailleurs, on va pas chipoter, je te tutoie et réciproquement, sinon c’est la guerre, d’accord ? Et ça commence maintenant. Debout, tu m’enlèves cette pince que tu as dans les cheveux, tes boucles d’oreilles, ton collier et tu passes un bout de ficelle pour remplacer ta ceinture. Bizutage, on va en prison.
— En prison ?
— Visiter André Desvilles. Il a été jugé coupable pour le viol aggravé sur une mineure de 15 ans dans un bled paumé de région nantaise. Une heure du mat’, réverbères éteints (campagne oblige ), la gamine seule dans la rue, et hop, un pervers de plus à arrêter. Il est incarcéré depuis avant-hier, je n’ai pas eu le temps d’aller le voir jusque là. Ça te fera un bon début.
— Et une fois l’interrogatoire passé, vous faites un rapport au « Big Boss » ?
— Un rapport écrit la plupart du temps, comme ça je le duplique pour l’hôtel de police. Cela dit, m’sieur d’Estrain s’en sert rarement. Il tire des exemples de son chapeau, et ça s’avère toujours exact.
— Vous ne trouvez pas ça bizarre ?
— Mais le prof’ d’Estrain EST bizarre. Franchement, un mec qui se bat contre le viol plus que les femmes, on est en droit de se poser des questions.
2 commentaires
Aliena
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Il y a 8 ans
Cornélia Lavrenti
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Il y a 8 ans