Claire Guilvaillant La sixième femme Interrogatoire et déception

Interrogatoire et déception

Tout ceci avait un air de déjà-vu, récent qui plus est. Humidité, regards inquisiteurs... sauf que cette fois-ci, Solène entrait par l’entrée des artistes. L’établissement pénitentiaire sentait le mâle. 420 hommes pour 40 femmes. On avait vu plus paritaire.

Le parloir ne se fit pas attendre. Sissi brandissant sa carte de police sous le nez de chaque planton obtenait l’accès à tous les couloirs sans jamais se justifier. Solène n’échappa tout de même pas au contrôle en vigueur.

— Votre stylo, mademoiselle, réclamait le militaire en uniforme.

— C’est bon Jojo, laisse-la tranquille, l’interrompit la capitaine. On va pas le faire échapper ton détenu, tu me connais à force ! On lui pose deux trois questions et on lui lâche la grappe, promis. La p’tite est journaliste, laisse-lui son joujou favori.

Et le dit Jojo s’exécuta bien docilement.

Petite pièce d’entretien, deux chaises d’un côté, une seule de l’autre, un quarantenaire malingre posé mollement dessus. André Desvilles n’avait pas une tête de pervers avec ses beaux yeux bleus et son sourire timide. Pourtant, il avait laissé une gamine de 15 ans complètement traumatisée, et à vie.

— Monsieur Desvilles, capitaine Simonet et Solène Marino, journaliste. Nous avons des questions à vous poser.

— Je suis déjà en taule, je devrais plus avoir affaire aux flics… Qu’est-ce que vous voulez me mettre sur le dos encore ?

— Rien de spécial, nous avons seulement quelques questions pour vous à propos d’Eleonore, vous savez ? La pauvre gosse que vous avez laissé pour compte après l’avoir violée et rouée de coups.

— Cette petite pute a eu ce qu’elle méritait, elle l’a bien cherché avec son maquillage et son décolleté. Je suis sûr qu’elle a aimé.

— Vous ne le pensez pas sérieusement...

— Toutes les gamines méritent ce sort. Il est temps qu’elles comprennent qui est l’être supérieur.

Solène en eut des frissons. Rodrigue d’Estrain avait raison, la perversion n’avait pas de visage.

— Que faisiez-vous dans la rue à cette heure monsieur Desvilles ?

— J’étais chez moi quand la p’tite est passée sous ma fenêtre. Elle méritait bien que je sorte pour la punir, croyez-moi.

— Vous avez une famille ?

— Une femme et un garçon.

— Et vous violentiez votre femme comme vous avez traité Eleonore ?

— Bien sûr que non, elle est grande. C’est aux petites allumeuses qu’il faut expliquer les choses.

— Quel était votre métier avant votre incarcération ?

— J’étais expert-comptable.


Et les semaines passèrent. Jours après jours, les interrogatoires s’accumulaient, les rencontres avec les jeunes victimes s’entassaient dans un coin de la tête de Solène, tandis qu’une angoisse ambiante allait grandissante sous sa peau. Elle n’était pas faite pour un travail pareil. Sa sensibilité omniprésente ne faisait pas bon ménage avec les horreurs dont elle était témoin au quotidien. Lorsqu’elle fermait les yeux, elle entendait ces voix lugubres qui répétaient : «  Quel était votre métier avant votre incarcération ? » , question à laquelle on répondait : « commercial », « traiteur », « maçon », « professeur »…

« Quel âge avez-vous ? » : « Quarante ans », « Soixante ans », « Quinze ans »…

Parfois une voix féminine s’élevait : «  J’avais douze ans quand on m’a agressée », « Il m’a dit que je l’avais bien cherché », « J’ai perdu le procès à cause de ma tenue », « ma famille religieuse et pratiquante m’a renié après ça »… Et Solène vivait avec.

Depuis qu’elle travaillait pour Rodrigue d’Estrain, elle ne faisait que le croiser. Le professeur passait son temps dissimulé dans son bureau hermétique toujours fermé à double tour, qu’il soit à l’intérieur ou non. Cet homme demeurait une énigme. Silencieux, altruiste, et démesurément secret.

Sissi et Coline s’avéraient être d’excellentes collègues au mental d’acier et au cœur bien accroché. Elles parvenaient à rire de tout, même dans les pires situations. En l’espace d’un mois, Solène n’avait encore jamais été confrontée au travail nocturne où pouvait l’entraîner sa policière de binôme. Elle savait donc qu’elle était loin d’avoir vu le pire de sa profession.


Un midi, faim oblige, Sissi et sa gratte-papier retrouvèrent Coline en train de grignoter une biscotte en relisant un rapport, la télévision allumée juste devant elle. On entendait la voix du présentateur partout dans la salle de repos.

— Oh ! Bonjour les filles ! s’étonna-t-elle en pressant la touche « mute » de la télécommande. Je ne vous espérais pas de sitôt…

— La petite qu’on devait questionner s’est rétractée, expliqua Solène. Elle n’avait pas vraiment envie de rouvrir une vieille blessure comme celle-là. Donc retour à la case maison. Monsieur d’Estrain est ici ?

— Non il n’est pas venu aujourd’hui. Il a appelé pour dire qu’il était malade. Migraine.

— Oh, c’est rien alors, écarta Sissi presque aussitôt. Il a l’habitude. Alors, quelles sont les nouvelles aujourd’hui ?

Elle vint se blottir prêt de la rédactrice pour admirer les infos.

— Un enlèvement à Nantes cette nuit, apparemment.

— Vraiment ?

— Où ça ?

— Quartier Malakoff.

— C’est la jeune femme dans le coin de l’écran, là ?

C’était une trentenaire aux cheveux longs et roux, un teint hâlé et une paire de billes noires en supplément. Elle avait un piercing à la narine gauche, c’était sans doute son seul signe distinctif.

— C’est moi ou elle te ressemble un peu ? remarqua Sissi en se tournant vers sa collègue.

— Tu dis ça parce que je suis rousse, c’est comme dire que tous les chinois se ressemblent…

— Ahah ! Exact ! Allez, à table !

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5 commentaires

Claire Guilvaillant

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Il y a 8 ans

Ahah merci bien ! La suite est mise depuis longtemps, plus qu'à la débloquer ^^ il n'en tiendrait qu'à moi, le roman serait bouclé ^^

Breaumeister

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Il y a 8 ans

Q_Q oh. Bon, bah je vais aller chercher des potes à moi sur discord et whatsapp pour qu'ils viennent lire x)

Breaumeister

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Il y a 8 ans

Alors. Je veux bien croire aux hasards, hein, mais pas dans les livres. Donc le fait qu'ÉTRANGEMENT Mr d'Estrain est malade le jour où un viol capillairement flamboyant est commis, je trouve ça louche, huhu. Hâte de voir la suite, en tout cas, tu fais un excellent boulot~

Claire Guilvaillant

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Il y a 8 ans

Bonsoir Aliena, merci d'être passée ! :) Je suis ravie de t'avoir fait découvrir un autre univers ! :) En tout cas, Rodrigue est en effet bien louche ^^ N'hésite pas à revenir pour découvrir ce qu'il advient de lui et de Solène :)

Aliena

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Il y a 8 ans

Et voila ma lecture terminée, le thriller c'est pas vraiment ce que je lis, je suis plus héroique fantasy avec un peu de romance. Mais c'est bien de découvrir un autre univers et un auteur! Je ne parlerais pas français conjugaison et syntaxe parce que je suis pas vraiment bien placée pour ça. Mon ressenti sur ton histoire, après lecture voici ce que je pense de Rodrigue Je pense de lui que son féminisme cache une obsession pour les rousses, et que, il pourrait avoir été le violeur des 5 femmes et l'auteur de la dernière disparition. Après tout est possible c'est juste mon avis^^ en tout merci pour ce WE de partage de style de lecture et bonne continuation ;-)
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