Claire Guilvaillant La sixième femme Parfum et bureaux

Parfum et bureaux

— Hein ? Quoi ? Vous plaisantez ?! manqua de s’étouffer Solène.

Son estomac avait fait un tour sur lui-même, agitant tout son maigre dîner avalé à la va-vite entre deux stations de bus.

Les dents blanches du psychologue indiquaient bien qu’il ne s’agissait pas d’humour. Pour lui comme pour elle, c’était une proposition qui ne se refusait pas.

— Je… je ne vois pas en quoi je pourrais vous être utile ! réalisa la rouquine, soudainement paniquée, animée par une excitation au-delà de l’entendement.

Elle aurait profondément souhaité obtenir le soutien de Rodrigue. Un compliment, un clin d’œil, ne serait-ce qu’un petit mot ! Mais il ne vint pas. Le professeur si bavard durant ses conférences, si intéressant dans ses discours était bien silencieux lorsqu’il s’agissait de vie privée. A Solène de s’y habituer, elle n’avait pas fini de le côtoyer.


Évidemment, les deux nouveaux partenaires partirent fêter leur accord avec un verre, voire une dizaine. Ainsi, Solène ne pouvait qu’oublier sa question, une fois encore.

— J’ai vu que vous portiez un intérêt tout particulier à mes cheveux, constata la journaliste au cours d’une conversation, alors que Rodrigue se noyait encore dans la contemplation de sa masse rousse.

Le professeur prit un air gêné.

— Quel est votre parfum Solène ?

— « Posion Girl », Dior. Pourquoi ?

Elle n’eut jamais de réponse.


Le lendemain, le rendez-vous était fixé à 8h tapantes au huitième étage de la tour de Bretagne. La journaliste, un peu nerveuse, essayait de dissimuler ses tremblements en jouant du bout des doigts avec son crayon déjà mâché et dépouillé de sa gomme personnelle. Comme de coutume, la conversation avec Rodrigue n’avait rien donné. Ni information sur son travail, ni sur l’affaire des cinq femmes que la tignasse rousse avait fini par oublier. Et la voilà en train de faire les cent pas devant l’entrée des bureaux « Rodrigue d’Estrain, psychologie, droit et répression du viol ». Qu’allait-elle trouvé derrière la porte ? Un openspace grouillant de secrétaires nécessaires à la rédaction des discours ? Des murs couverts de panneaux d’enquêtes répertoriant tous les viols de la région, illustrés qui plus est ? Une grande surface vide devant un diaporama sectaire ?

— Bonjour Solène ! résonna la voix du grand conférencier juste derrière l’intéressée.

Celle-ci bondit au plafond. On n’avait pas idée de faire des peurs pareilles à quelqu’un de nerveux.

— Prête pour votre premier jour ?

La journaliste se contenta de cligner des yeux.

— Alors c’est parti !

Rodrigue, avec sa tignasse brune en bataille comme un jour de week-end, ouvrit la porte. En voyant ce que l’on trouvait derrière, Solène admit être déçue. Une table recouverte de gâteaux, cafés et autres réconforts, et un accès à quatre bureaux vitrés, c’était tout. A cette heure, le local était désert et silencieux à l’exception du tintement d’une cloche rustique que le professeur avait dû accrocher là pour signaler l’entrée d’un visiteur ou d’un collègue.

— Bienvenue dans l’antre de Rodrigue d’Estrain, annonça fièrement le psychologue en ouvrant les bras. Nos deux autres compatriotes ne sauraient tarder, elles vous aideront à vous installer.

Il se dirigea vers le bureau tout au fond, qui faisait face à un second, dont les murs étaient couverts de tableaux blancs jusqu’au dernier des centimètres carrés.

— Il y a bien longtemps que le fauteuil qui se trouve là-dedans n’a pas eu de propriétaire. Il est tout à vous.

Et le grand ponte fila se réfugier dans le cabinet isolé ô combien curieux. « Décidément, c’est un drôle d’oiseau », se résolut à penser sa nouvelle collaboratrice. « Mais il est si fascinant ! »

Fauteuil moelleux, espace de travail spacieux et lumineux, que demander de plus ? De sympathiques collègues peut-être ?

Quelle ne fut pas la surprise de Solène quand, quelques minutes seulement après son arrivée, surgit une petite dame rondelette aux faux-airs de Mimie Mathy avec ses cheveux blonds mal peignés. Elle portait un sac aussi bariolé et coloré que sa robe et arborait fièrement sa cicatrice en travers de la joue.

— Alors c’est vous Solène ?! s’exclama-t-elle en surgissant dans le bureau.

Si l’on était physionomiste, on pouvait brandir cette conclusion : débonnaire et extravertie. Du haut de sa quarantaine, elle donnait l’air d’une maman refoulée car ignorée des hommes à cause de son apparence peu commune.

— C’est moi ! répondit la journaliste en se levant pour l’accueillir. Vous êtes ?

— Coline Vasseur, rédactrice et correctrice. J’écris les discours et corrige les romans du professeur d’Estrain. Mais dites-moi, vous êtes bien jolie ! C’est naturel cette couleur capillaire aussi flamboyante ?

Solène rougit.

— Il faut croire que oui. Je tiens de la succube.

— Vous êtes comme la dernière en somme !

— La dernière ?

— Elle est partie, petiote ! Direction les États-Unis. Promotion au sommet.

Solène, même accaparée par son invitée, ne pouvait pas détourner les yeux du bureau hermétique aux regards extérieurs qu’elle avait juste en face. Coline l’ayant remarqué, la remarque ne tarda pas :

— Ça, c’est l’antre du Big Boss. Quoi qu’il arrive, n’entrez pas. Il défend son intimité comme un chien son os.

— Il cache quelque chose, vous croyez ?

— Allez savoir.

Tu as aimé ce chapitre ?

8 commentaires

Maloria

-

Il y a 8 ans

Alors me voilà après avoir lu tes 8 premiers chapitres. J'ai bien accroché à ton histoire et à tes deux personnages principaux. Rodrigue : homme compétent et pointe dans son domaine, défend les femmes faces au violences et viols dont elles peuvent être victime. Comment ne pas l'apprécier en tant que femme ? Puis, on se demande s'il n'a pas une face cachée sordide avec cette vieille histoire dont il refuse de parler. J'ai noté l'ironie du fait qu'il habite une petite ruelle sombre et qu'il y laisse la rouquine toute seule sans craintes pour elle... bizarre. Solène : j'aime son tempérament, elle est un peu perchée (venir menacer qqun avec de faux explosifs...) . Elle se laisse peut-être un peu trop endormir facilement par Rodrigue à mon goût. Ton intrigue se met doucement en place et je pense que c'est volontaire de ta part, pour ne pas brusquer les évènements. Sur la forme, je n'ai rien à dire, tu as un niveau d'écriture élevé et j'ai adhéré à ton style. Reste juste la question du thème : Derrière les portes. Comme tu n'en es qu'au début, je pense que tu développes cet aspect là de l'histoire un peu plus loin. J'ai hâte maintenant que la suite se débloque pour en savoir plus.

Alexiane Thill

-

Il y a 8 ans

monter la pression à chaque mot lu, chaque ligne parcourue. Afin que nous soyons plongés avec elle dans ces rues obscures - homme comme femme - et que nos tripes se nouent parce que nous sommes obligés de nous identifier à ton héroïne. Nous pourrions être elle. En outre, se pencher sur ce qui fait son humanité dans une telle situation. "Le corps humain, l'être humain, réagit de deux façons face au danger : soit il l'affronte droit dans les yeux, soit il le fuit." L'influence de la peur sur le corps a tant de facettes, de conséquences, que tu pourrais en jouer pour mieux attiser l'adrénaline. Qu'est-ce qui fait que la peur nous pousse à courir ou à se retourner et braver le danger ? Quelle est la différence, qu'est-ce qui fluctue ? Bien sûr, je ne dis pas que c'est absent dans ton texte ; peut-être t'y pencher un peu plus pour mieux en nourrir tes chapitres, les plonger dans les "ténèbres". Je pense aussi que tes personnages méritent autant d'attention, notamment Solène qui a un caractère bien trempé mais qui, parfois, me parait paradoxale. Elle est capable de se ceinturer d'explosifs (factices), de provoquer Rodrigue et, au chapitre suivant, elle se retrouve pantoise face à lui et lui serre la main en se présentant "poliment". Peut-être peaufiner un peu plus son background, son vécu (même si tu ne souhaites pas aborder un passif douloureux que tu préfères garder sous le

Alexiane Thill

-

Il y a 8 ans

coude.) A-t-elle de la famille ? Des amis ? Des souvenirs ? Ce qu'elle aime ou n'aime pas. Tout ce qui peut lui créer une identité à part entière et la définir autrement que "la journaliste un peu délurée qui ne cesse de poser la même question". En Thriller, je crois qu'il est important de peaufiner la psychologie des protagonistes ; leurs manières, leurs tics. Tu pourrais en jouer là aussi durant les dialogues. Tu décris beaucoup (trop, peut-être) les sourires : dents blanches, sourire immaculé, ect, mais très peu les gestes, les sourcils qui se haussent, l'ourlet de la lèvre qui trahit l'inconfort ou la prémisse d'un agacement. Quel tic fait Solène lorsqu'elle est nerveuse ? Est-ce vraiment se passer la main dans les cheveux ? Ce geste n'a rien d'anodin dans son langage ; on peut l'interpréter comme de la séduction ou un sentiment amoureux inavoué en contemplant l'être désiré - lorsque l'on se tourne, jambes, buste, bras, tête, vers l'interlocuteur : une très grande affection, si ce n'est plus. Quand on maintient les bras croisés : on se renferme, on bloque l'accès à notre zone de confort, notre intimité, notre espace. Ect. Bref, ne pas hésiter à utiliser tous ces petits codes qui nourriront d'autant plus le côté psychologue de Rodrigue d'Estrain. Même s'il est spécialisé dans les violences sexuelles, le viol, il est d'abord passé par la case "basique" de son métier/de ses

Alexiane Thill

-

Il y a 8 ans

études. Tes dialogues seront plus vivants encore. Plus dynamiques. Et tes personnages seront très humanisés et, donc, l'identification plus facile et accéssible. Je n'ai pas réussi à m'attacher à eux pour l'instant - nous n'en sommes qu'au début, aussi. Côté intrigue, tu l'abordes tout juste. Pour l'instant, nous n'avions que la sempiternelle question de Solène et le refus de Rodrigue à y répondre. Mais le mystère plane, on sait de quoi il est question ou, tout du moins, dans ses grandes lignes. Cinq femmes violées, d'Estrain impliqué, mais à quel point ? Tu sèmes le doute : le PDV (bref) du potentiel violeur et celui d'Estrain qui lorgne sur la chevelure de Solène (et son parfum). Un effet miroir qui nous fait douter du protagoniste masculin. Ce n'est pas mal du tout. Bien sûr, la question étant : La sixième femme. Solène qui devient la proie et/ou une autre femme qui correspond à son profil ? L'enquête se centrera-t-elle sur la culpabilité d'Estrain, du mystère qui l'enrobe ou se mettront-ils tous les deux en quête du criminel à venir ? La proie deviendra-t-elle le chasseur ? Beaucoup de questions qui se soulèvent et c'est très bon dans un Thriller. Niveau écriture, des coquilles. Tout le monde en fait. C'est factuelles et je n'aime pas m'y attarder sauf sur demande. J'ai cru comprendre que tu les voyais par toi-même après-coup, pas besoin d'en rajouter une couche.

Alexiane Thill

-

Il y a 8 ans

Peut-être prendre garde à ne pas "lister" le déroulement de tes chapitres, les actions et les interactions. "Untel fait ça, l'autre fait ci. Lui, sourit, l'autre non." Ce que je ne dis n'est pas péjoratif. Je pense que tu tiens une bonne histoire et le point le plus important à mon sens serait que tu te recadres sur le thème du concours "Derrière les portes". Mais, comme déjà dis, tu n'en es qu'au début et ça viendra sûrement après. Concernant ton lectorat, n'hésite pas à aller le chercher. Peu de lecteurs viennent d'eux-mêmes sur les histoires, il faut les tirer par le bras ... Ou prendre le temps de lire leurs histoires, de commenter, de t'investir comme tu aimerais qu'ils le fassent pour ton récit. Soyons lucides : ça reste rare. Beaucoup prennent les votes et les critiques et "bon vent !". Mais lorsque ça arrive, c'est précieux. Et ne t'inquiètes pas, ton histoire n'est pas mauvaise. Il faut parfois faire son propre "marketing" pour espérer être lu ... Je te souhaite bon courage, accroche-toi ! Et je reste à ta disposition si tu souhaites débattre, discuter ou si tu as des questions sur un point qui te fait douter et que je n'ai pas évoqué. A bientôt !

Claire Guilvaillant

-

Il y a 8 ans

eh beh ! Sacré commentaire ! :) C'est très constructif, merci :) Je vois ton inquiétude quant au sujet " derrière les portes" et tu l'as dit justement, la suite s'y concentre nettement plus ;) Les personnages sont développés, Solène a bien un passé, d'Estrain et ses collègues aussi ;) Seulement je suis adepte des récits lents, pas bousculés, donc les descriptifs ne sont pas abusés et viennent avec le temps, c'est un peu monde style ;) Épurer les descriptions ;) Quant aux extraits qui "font peur", je tiens à les intégrer creshendo, les effets "Jump scare" sont à venir, le temps d'installer un cadre stable. Pour moi, c'est important de ne pas être balancée au cœur d'une histoire sans précision de l'environnement, du ton, des personnages ... Merci beaucoup pour tes commentaires, je prends note pour la suite ! ;)

Alexiane Thill

-

Il y a 8 ans

Hello ! Me voilà donc comme promis pour te faire part de ce que j'en ai pensé et ce qui serait susceptible de clocher. Je reprécise que je ne suis pas une professionnelle, ne travaille pas en ME, et que ma critique est subjective et à trier en fonction de ce que tu as trouvé judicieux et conforme à ce que tu recherches, tes objectifs Ma plus grande inquiétude vient du thème "Derrière les portes". Tu fais quelques références avec le voisinage, lors d'une interview de Rodrigue : on ne sait pas qui ils sont, dans quelles rues ils vont et ce qu'ils y font. Mais le danger "direct" ne vient pas de là, l'histoire ne tourne pas autour du voisinage de Solène, par exemple. Ou, peut-être n'as-tu pas encore pu l'aborder et l'ébauche du thème imposé se dessine dans tes chapitres actuellement bloqués. Il y a cette présence menaçante, oppressante qui semble la suivre la nuit, mais pas de réels indices quant à sa proximité avec l'habitat de Solène. Peut-être plus tard ; je suis désolée, je ne peux que me fier aux chapitres disponibles pour l'heure. :/ Je me permets de te proposer d'accentuer les "mini-poursuites" nocturnes pour mieux instaurer l'ambiance sordide et lugubre, te concentrer d'avantage sur les ressentis de Solène : sa respiration, la sensation dans ses membres lorsqu'elle courre, les picotements le long de son échine, l'observation de son environnement ... Tout qui va faire

Cornélia Lavrenti

-

Il y a 8 ans

bravo :)
Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.