MAmaugham La Romance pour les nulles Chapitre 1

Chapitre 1

Dire que je n’avais jamais entendu parler de Barbara Pink serait de mauvaise foi. Cet hiver-là, elle était partout : dans les stations de métro, au dos des magazines, sur les bus… Si bien qu’en n’ayant jamais lu une traître ligne de ses romans, la simple persistance rétinienne me condamnait à connaître parfaitement le dessin rose des lettres qui composaient son nom. Oui, je savais qui était Barbara Pink. Comme tout le monde. Personne ne pouvait ignorer le fait qu’elle avait commis une énième romance de Noël à laquelle nous allions, c’était garanti, « toutes succomber » cet hiver.

Lulu y compris.

Lulu, titulaire d’un doctorat de lettres modernes et prof à la fac de cette même matière, fan absolue des écrivains les plus difficiles d’accès, celle qui était capable de trouver Duras “fun” et Chateaubriand “délassant”, ma docte sœur donc, depuis qu’elle était enceinte, était tombée dans ce que la presse féminine avait baptisé “le piège Pink”. Je l’avais retrouvée quelque mois auparavant, le soir de sa première échographie, vautrée sur le canapé, plongée dans un gros pavé fluo, ne levant les yeux vers moi que pour me signifier qu’elle savait que j’étais là et s’en réjouissait. C’était Nicolas qui m’avait rapidement débriefé l’écho et, beaucoup plus longuement et en m’attirant vers la cuisine comme s’il allait me parler d’une malformation connue de lui seul, exposé les circonstances de l’apparition de la nouvelle lubie de ma sœur.


Ça s’était passé dans la salle d’attente. Lulu était nerveuse et fatiguée. Elle avait feuilleté en fulminant tous les magazines de la table basse avant de jeter son dévolu sur l’exemplaire de Qui d’autre que lui qu’une patiente précédente avait dû oublier. Si c’est hilare et crâne qu’elle avait commencé, son expression avait rapidement changé. « Au moins, elle s’était détendue », avait expliqué Nicolas, comme pour se justifier. Par bonheur quand son tour était enfin arrivé, elle avait laissé le bouquin dans la salle d’attente. Mais, le rendez-vous fini, elle l’avait fourré dans son sac. Comme une junkie. Dans le taxi, elle avait tenté d’expliquer : « Je l’ai commencé, je veux voir comment ça finit. »


Six mois plus tard, elle avait évidemment terminé l’ouvrage, mais s’était également enquillé toute la production - et elle était volumineuse-, de Barbara Pink. Nicolas s’était fait une raison, rangeant cette obsession au rayon des mystères insondables - mais temporaires - de la maternité. Elle avait promis de s’arrêter sitôt le bébé né, promis également de ne pas laisser traîner ses “œuvres” dans l’appartement où défilaient universitaires et étudiants sérieux, promis enfin que, malgré son congé maternité allongé à cause des trajets, elle ne ferait pas que ça de ses journées, faisant montre d’une normalité de façade devant amis et connaissances.


La seule personne devant laquelle elle ne faisait aucun effort, c’était moi. Ce qui m’offrait une occasion - événements que je chérissais depuis l’enfance - de me foutre d’elle.


Ce soir-là donc, je ne dérogeais pas à cette réjouissante habitude. Il y avait longtemps qu’elle avait échangé le canapé contre un gros ballon vert qu’elle chevauchait — toujours un livre à la main — à l’heure où je débarquais chez elle.


- Un bruit étrange avait tirée Lucie de sa rêverie. Il y avait quelqu’un dans son appartement. Était-ce le séduisant milliardaire-torse-nu-tatoué rencontré au gala de charité des Chesterfield ?

- Hélas, ce n’était que son irritante petite sœur Charlie qui, après avoir passé sa journée à enseigner l’art délicat du coloriage, allait s’empresser de lui faire un thé, et plus vite que ça.


Lulu me rejoignit rapidement dans la cuisine où j’avais évidemment, et plus vite que ça, mis l’eau à bouillir.


- On est quel jour ? demanda-t-elle, les yeux encore flous de fatigue et de romance.

- Mardi… et je suis encore arrivée à l’école en retard.

- C’est le gros avantage de bosser à fac, les étudiants sont contents quand t’es à la bourre…


Je passai sur cette réflexion qui d’ordinaire n’était qu’une critique de mon choix de carrière — franchement, l’école maternelle ? — parce que je savais que la fac lui manquait et qu’elle s'ennuyait toute la journée.


- Horloge papy a pris sa retraite ?

- Qui est Horloge papy ? fit Nicolas qui venait d’arriver de Nanterre.

- D’aucuns font confiance à des montres pour se repérer dans le temps, Charlie se repère aux passants.

- J’ai un réveil, bien sûr ! Mais j’ai un point de référence dans la rue, un petit vieux qui passe devant le Franprix tous les jours à la même heure. Si je le croise avant le Franprix, je cours, si c’est après, je suis dans les temps. Enfin, je dis “j’ai”, mais c’est “j’avais” ; ça fait une semaine que je ne l’ai pas vu.

- Pas de remplaçant ?

- C’est à l’étude… j’ai des vues sur une lycéenne renfrognée, mais elle ne commence pas tous les jours à la même heure, ce qui est problématique ; et un type mignon qui semble avoir des horaires réguliers, mais qui a plus l’air de se promener que d’aller réellement quelque part, ce qui est dérangeant.

- Un type mignon ? gloussa Lulu comme j’imagine que le font à chaque page les héroïnes de Pink.

- Laisse tomber, je l’ai croisé plusieurs fois à l’école avec une grande section au bout du bras.


Je préférai couper court à cette conversation. Mon absence de vie amoureuse constituant, avec bien sûr mon manque d’ambitions universitaires, un des sujets préférés de ma sœur. Comme Nicolas, j’avais décidé de tout lui passer eu égard à son état. Tout sauf sa passion ridicule pour les romans à l’eau de rose. D’autant que j’avais effectivement vu le type en question à l’école avec une petite fille. Et aussi à la boulangerie. Avec une femme enceinte. Deux adjuvants qui, malgré ses délicieux sourires, empêchaient tout gloussement sous-entendu.


- Tu te trouveras bien quelqu’un d’autre la semaine prochaine… Je veux dire pour arriver à l’heure, bredouilla Nicolas.

- On verra ça dans 15 jours, après les vacances de Noël, répondis-je sur un ton sans doute un peu trop enjoué pour être honnête.


Ils me regardèrent tous les deux, affligés. Ils le savaient bien : j’allais passer deux semaines à me demander quoi faire et à ne quitter mon pyjama que pour leur rendre visite. Plus de parents, pas de petit ami, des amis occupés par les deux entités précédemment citées… c’était vite vu.

Pour le réveillon de Noël, Lulu et Nicolas allaient chez les parents de Nicolas. Ils m’avaient bien entendu invitée, et j’avais - bien entendu - refusé poliment.


- On aurait un service à te demander. Voilà. Le bébé arrive bientôt et on n’a rien fait pour la chambre, on se demandait si tu acceptais de repeindre la pièce du fond, Lulu n’en a plus la force et moi j’ai encore du travail à finir, récita Nicolas qui n’avait décidément aucun talent pour la comédie.


La pièce en question était nickel, mais ils avaient dû sérieusement se creuser pour me trouver une occupation que je ne puisse pas refuser. C’était finalement assez mignon. J’acceptai.



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5 commentaires

Alsid Kaluende

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Il y a 7 jours

Bonne chance pour le concours! Venez lire mon thriller 🙂

Patrick de Tomas

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Il y a 10 jours

Bienvenu dans ce concours où nous sommes nouveaux entrants. J'ai liké car j'aime votre style mâtiné d'humour qui donne à l'héroïne ce second degré d'autodérision. Si vous voulez découvrir le mien, il s'intitule "être ou ne pas être aux anges", mais si vous passer, likez seulement si vous aimez.

MAmaugham

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Il y a 8 jours

Merci ! Je m'en vais de ce pas lire le vôtre !

Elisa Daven

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Il y a 10 jours

Bienvenue dans le concours ! J'ai démarré il y a pas longtemps non plus ! Je te souhaite une belle aventure ✨, n'hésites pas à venir voir mon histoire si ça te dit 😊

MAmaugham

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Il y a 8 jours

Merci ! J'y cours !
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