Fyctia
Chapitre 2
- Ça va, pas trop fatiguée ?
Lulu me jeta un demi-regard amusé avant de replonger dans son livre — le tome trois du Dernier amour de Léna, le fameux roman de l’hiver de Pink. Trois jours que je prenais mon temps pour peindre la chambre du bébé tandis qu’elle trônait en son centre sur son éternel gros ballon, ne cessant sa lecture qu’entre les chapitres pour nous faire un thé ou nous cuisiner des pâtes au beurre. Pâtes que nous avalions assises sur le carton du lit d’enfant dont nous repoussions chaque jour le montage. J’aimais cette ambiance studieuse et complice qui me rappelait nos années lycée, moi au pinceau, elle à la romance. Elle, concentrée sur “son travail” ; moi, rêvassant vaguement, le corps engourdi par la chaleur de l’appartement et les mouvements répétés de mon bras.
- Mais c’est toi !, s’exclama-t-elle en se levant brutalement de son ballon. C’est tout toi !
- Oui ?
- Barbara Pink, elle parle de toi. La Charlotte du bouquin, c’est toi.
- Tu veux dire que c’est moi l’héroïne ? C’est moi qui vais découvrir l’amour-le-vrai dans les bras d’un milliardaire au torse musculeux et à la blessure secrète ?
- L’héroïne, c’est Léna, pas Charlotte, comme le stipule le titre.
- Suis-je bête, c’est écrit dessus. Du coup, c’est qui Charlotte ? La bonne copine rigolote ? La collègue pleine de bon sens ? L’ex jalouse, la jumelle maléfique, la…
- C’est la copine de son meilleur ami, me coupa-t-elle.
- Oh, fis-je faussement déçue. Un second rôle ?
- Même pas, désolée. Une figurante. En vérité — il faudrait que je relise pour en être sûre — mais je crois qu’on ne la voit jamais en vrai. C’est toujours lui qui en parle, mais elle, Charlotte, n’a pas d'interaction avec Léna.
- Et donc, cette Charlotte invisible, qu’est-ce qu’elle fait ? Elle repeint ta chambre d’enfant ?
- Non, mais elle s’habille comme toi. Attends.
Dans ce passage, Léna, l’héroïne, est au téléphone avec Pio, son meilleur pote, donc. Son mec — oui, il est milliardaire — l’a invitée avec Pio et sa copine à une remise de prix à laquelle elle n’ira finalement pas… bref, peu importe. Et Léna ne sait pas quoi mettre, du coup elle demande ce que met Charlotte. Tu suis ?
- Oui. Et je dois avouer que c’est PAS-SION-NANT.
- Tu veux savoir ou pas ?
- Oui. Ce suspense est insoutenable.
- Je lis, c’est Pio qui parle : “Charlotte ? Elle porte une robe courte et légère, en soie, je dirais, jaune moutarde, d’une simplicité indécente.”
- C’est pas délirant non plus. On doit être quelques milliers à porter une robe de ce genre.
- Attends ! Léna demande si Charlotte a mis des bijoux. Et Pio répond : “D’artifices et de colifichets, aucun, si ce n’est un délicieux pansement Peppa Pig sur la malléole.”
- C’est joliment dit.
- C’est fou, non ?
- Bof.
- C’est forcément quelqu’un qui t’a vue le jour du mariage de Sophie ! Une robe jaune en soie avec un pansement de dessin animé à la cheville ! C’est pas ce qu’on appelle un look commun, si ?
- Ok. Peut-être. Ta Pink a dû me croiser ce jour-là et je lui aurai laissé un souvenir impérissable. J’avoue, c’est marrant. D’autant que je l’imaginais ricaine, le cheveu bleu clair, très âgée et vautrée sur un lit rose avec des tonnes de peluches.
- C’est Barbara Cartland, ça ! Qui, pour ta gouverne, est anglaise.
- Oh. Et Barbara Pink, elle est comment ?
- Aucune idée. Personne ne sait qui elle est, ni où elle vit. Ça pourrait être n’importe qui ! Enfin, n’importe qui parmi les personnes que tu as croisées le 12 juin dernier.
- Ça fait beaucoup.
5 commentaires
Eva Baldaras
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Il y a 7 jours
loup pourpre
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Il y a 10 jours
Patrick de Tomas
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Il y a 10 jours
P. Castang
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Il y a 11 jours
Helen Mary Sands
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Il y a 11 jours