Fyctia
Chapitre 2
Yasemin alpagua le serveur et lui recommanda deux pintes, une blanche et une blonde. Elle n’avait pas demandé à Loïc s’il souhaitait reprendre un verre ni même ce qu’il voulait boire ; elle ne désirait pas lui adresser la parole pour autre chose que la pizza-partiarcat. Et elle savait qu’il aimait la bière blanche. Malgré son silence, Loïc y vit un bon signe : elle ne quittait ni la table, ni la relation ; elle avait commandé une bière qu’il aimait ; elle n’avait pas perdu son pragmatisme puisqu’elle avait anticipé la fin de l’happy hour, dans quelques minutes. Il tenta une approche d’une voix douce :
- Je suis désolé si je t’ai blessée.
- Tes excuses sont aussi fades que cette pizza. Que tu n’as pas su manger.
- Mais tu veux quoi, à la fin ? s’impatienta le jeune homme. Que je devienne une femme pour qu’on partage tous nos petits soucis ?
- Nos quoi ?!
Son ton était monté d’un coup, en même temps que ses sourcils se fronçaient définitivement. Des « petits soucis » pour faire référence à 3000 ans d’oppression misogyne, c’était trop.
Yasemin répéta :
- Nos quoi, Loïc ?!
- Non mais sérieux, si je mange la pizza je suis un pervers narcissique, si je ne la mange pas je suis un radin ? T’es pas capable de te remettre en question une seule seconde et d’avouer que t’oses jamais rien, sous prétexte que ça pourrait déranger ? Que tu t’effaces toujours au profit des autres, sans penser à toi ?
- Je l’ai mangée, cette pizza, Loïc. Et ça t’a choqué.
- Mais parce que c’est pas ton genre !
- Et c’est quoi, mon genre ? D’être une soumise qui regarde son copain manger la dernière part de pizza pendant qu’elle crève la dalle ?
- Je savais pas que t’avais encore faim.
A ses gros yeux, il comprit qu’il avait oublié quelque chose et qu’il n’avait plus que quelques millisecondes pour corriger sa trajectoire avant impact.
- Et tu n’es pas une soumise, bien sûr.
Elle sembla accepter la correction ; il se sentit comme une équipe de déminage après une opération réussie à Gare du Nord. Yasemin reprit, d’un ton plus posé mais presque résigné :
- C’est pas un défaut, Loïc, de penser aux autres avant de penser à soi. C’est le résultat de siècles et de siècles où les femmes ont été reléguées au second rang. On nous a appris à nous taire. A mieux nourrir nos garçons que nos filles. A ne pas nous goinfrer. Je n’ai pas pris cette dernière part de pizza tout simplement car j’ai été conditionnée à agir ainsi, et tu as été choqué que j’aille à l’encontre de cette « nature », de ce « genre » comme tu dis, car de la même manière que j’ai été éduquée à la retenue alimentaire, tu as grandi avec l’idée que cette part te revenait.
3 commentaires
Pazuzu
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Il y a 2 mois
Mal_aussène
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Il y a 2 mois