Fyctia

Loïc savait qu’il ne gagnerait pas sur ce terrain. Sa compagne en savait plus que lui, lui simple allié du féminisme, et elle pouvait dégainer très rapidement des arguments indiscutables. Le jeune homme était toujours persuadé d’avoir bien agi concernant la pizza, mais il avait perdu le fil du raisonnement. Comment en étaient-ils venus à parler du sexisme systémique ? Pouvait-il retourner sur le sujet initial sans être traité de misogyne, sans être accusé de mépriser la douleur millénaire de celle qu’il aimait ?

Il tenta, incertain :

- J’ai été choqué que tu la manges parce que tu as dit que tu n’en voulais pas.

- Mais surtout parce qu’au plus profond de toi, tu ne t’attendais pas à ce que je me serve - mais plutôt à ce que je TE serve.

Yasemin se savait provocante : Loïc n’avait jamais exigé d’elle qu’elle le serve. C’était pour le côté dramatique de la réplique.

- Alors, là, non, je m’attendais pas à ça et jamais je…

- Je sais. Mais tu vois l’idée ?

Il le savait : il devait capituler. Il battit en retraite.

- Oui… Tu as raison. Je suis désolé d’avoir eu cet air choqué, tu as bien fait de prendre l’initiative et la pizza avec.

Elle sourit, satisfaite. C’était elle, l’équipe de déminage à Gare du Nord. Mais Loïc ne pu s’empêcher une dernière pique :

- Il est beau, l’empowerment par la pizza.

- T’es con.

- En même temps, on avait pris une Reine.

- Tu peux t’en prendre qu’à toi-même : c’est toi qui l’as choisie.

- C’est vrai. En commandant cette pizza, j’aurais dû me douter que Gisèle Halimi reprendrait le contrôle de ton corps.

- Au moins, ça te fait invoquer de grandes figures du féminisme, retorqua Yasemin. C’est pas tous les jours.

- Excellent marketing, tu me diras ; « une pizza achetée = une femme libérée ».

- T’as fini ?

- J’y peux rien : ma masculinité toxique m’oblige à camoufler mes excuses derrière mon insolence.

- Tu essayes de sortir toutes les notions féministes que tu as apprises ?

Loïc sentait que sa compagne commençait à s’impatienter. Il fallait qu’il s’arrête pour ne pas perdre la face de nouveau. Il gonfla sa poitrine, et puisa son meilleur air charmeur pour la flatter :

- Impossible de toutes les lister, j’en apprends beaucoup trop chaque jour à tes côtés.

C’était gros, mais un sourire fendit le visage de Yasemin malgré elle. Elle l’emportait sur le fond, lui sur la forme, tout le monde était sain et sauf.

Et comme pour sceller leur réconciliation, le serveur les rejoignit avec deux bières sur son plateau en plastique noir. Il supposa :

- La blanche pour madame et la blonde pour monsieur, j’imagine ?