Fyctia
Chapitre 1
- Tu veux la dernière ?
- Non non, prends-la, lui répondit-elle distraitement.
- Non mais j’en ai mangé quatre, j’ai déjà bien mangé…
- Moi je sais plus, j’ai pas compté… Mais vraiment, prends-la, insista-t-elle avec un mouvement du doigt en direction de la pizza.
- Je voudrais pas te léser, on a partagé l’addition… argumenta-t-il d’une voix traînante, et en triturant le ticket de caisse déjà froissé. Puis t’as sûrement encore faim…
Yasemin se redressa soudainement sur sa chaise. Elle ne supportait pas cette indécision.
- Eh bah tu sais quoi, Loïc, je vais la manger cette pizza, voilà. Regarde-moi bien.
Elle fit glisser la part de la table vers sa main et croqua goulûment dans la pointe. La mozzarella s’étendit en long filaments, et il lui fallut tirer dessus à plusieurs reprises pour la désolidariser de sa bouche. Loïc semblait partagé entre la surprise et le désarroi.
- Bah quoi ? T’es pas…
Mais Yasemin dût interrompre sa phrase afin de terminer sa bouchée et d’éviter de projeter des morceaux sur son compagnon. Elle reprit :
- T’es pas content que je mange cette pizza ? Il en restait qu’une, on se décidait pas, je l’ai mangée. Voilà.
- Bah je sais pas… On aurait pu la partager…
- Mais tu rigoles là ? On va pas se partager douze centimètres d’une mauvaise pâte brisée en deux, si tu la voulais vraiment tu aurais dû la prendre et puis c’est tout. Je pensais qu’on avait passé ce stade de fausse politesse…
Mais paradoxalement, elle reposait la fameuse dernière part dans l’assiette.
- Mais c’était pas de la fausse politesse ! s’insurgea-t-il.
Le regard du jeune homme lorgnait déjà sur la demi-croûte restante et balayait en effet toute forme de politesse, vraie ou fausse. Elle passa sa main au-dessus du reste, l’air de dire : c’est à toi. Sans un mot, Loïc s’en saisit et goba le tout en deux bouchées.
- Elle était plus très chaude.
Yasemin leva les yeux au ciel.
- Bah non, je te l’avais dit.
Loïc reconnaissait bien là sa mauvaise foi ; il préféra ne pas répondre.
Elle relança :
- Donc là tu t’attendrais à ce que je te fasse un virement au prorata de ce que j’ai mangé ? Comment on fait ? J’ai mangé plus de mozza et toi plus de pâte et de sauce tomate… Tu crois que le fromage ça coûte plus cher ?
- C’est bon Yas, lâche l’affaire.
- Non. Tu m’as présenté cette part comme une part de trop, qui en théorie me revenait parce que j’en ai mangé moins que…
- Ah ! Donc tu avais compté, la coupa le jeune homme.
- Parce que j’en avais mangé moins que toi, il me semble, reprit Yasemin. Donc, techniquement, elle était pour moi, mais je te l’ai laissée, et tu l’as refusée à plusieurs reprises.
Il la corrigea, l’air outré :
- Je m’assurais juste que t’en voulais vraiment pas. Que tu ne t’effaçais pas par gentillesse.
Affligée, Yasemin agitait la tête de gauche à droite.
- Mais bien sûr que je m’effaçais par gentillesse, Loïc ! C’est le principe de la femme et du patriarcat. Toi, on t’a jamais inculqué ces valeurs d’abnégation et de discrétion, toi quand tu vois quelque chose de supposément libre tu le prends, il t’appartient, en fait toi t’en as rien à foutre de…
- Tu vas pas recommencer avec ça, l’interrompit-il.
- Si.
- C’était juste une part de pizza, t’abuses.
- Oui, j’abuse. Mais elle reflète toute l’injustice du monde.
- Arrête un peu. Ça reflète juste que t’es pas capable de t’imposer et de vraiment verbaliser ce que tu veux. Tu me parles de communication dans le couple à longueur de journée et t’es pas capable de me dire que t’avais envie de manger cette part de pizza, démontra-t-il avec son petit air supérieur qu’elle lui connaissait si bien.
- J’y crois pas. Tu inverses totalement les rôles. Je te rappelle que je l’ai mangée, cette pizza, dit-elle en insistant sur le deuxième « je ». Et c’est toi qui n’as pas su dire que tu la voulais.
3 commentaires
Pazuzu
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Il y a 2 mois
Clara Soudy
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Il y a 2 mois