Fyctia

En silence, Sarah se place dans l’ombre qui s’étend à la base du pot. Avec le soleil radieux de cette belle journée, celle-ci est vraiment longue, permettant ainsi à Ava de poser elle-aussi le pied dans son étendue. Elle sent alors la main de son amie glisser dans la sienne, lui provoquant un doux frisson de bonheur. Toutefois, une chaleur dans son cou vient rapidement attirer son attention. Pendant quelques secondes, elle assiste ensuite à un phénomène qui la laisse sans voix.

D’abord, les grandes feuilles flétrissent une à une, puis les tiges. S’ensuit une décomposition en accéléré du végétal qui se dessèche comme s’il se trouvait au milieu d’un désert aride. Lorsque Sarah ouvre finalement les yeux, il ne reste plus rien du magnifique ornement si ce n’est qu’un amas de feuilles brunes et craquelées sur le sol.

Impressionnée, Ava observe son amie d’un regard ahuri. Voilà encore une démonstration inattendue de ses facultés étonnantes. Surtout qu’elle perçoit le changement dans son pendentif d’obsidienne : celui-ci vibre d’une énergie nouvelle.

— Comment as-tu fait cela ? s’exclame Ava.

— Je ne sais pas trop. J’ai découvert hier cette étrange faculté de mon médaillon de puiser dans l’essence des végétaux, simplement en me plaçant dans l’ombre qu’ils projettent. Il semble que maintenant que le médaillon est fusionné à ma peau, l’effet soit encore plus fort. Est-ce que le transfert a fonctionné ?

— Je crois. Je sens une différence dans mon pendentif. Voilà enfin quelque chose de rassurant dans la folie des derniers jours. J’aimerais bien pouvoir faire comme toi !

— J’ai l’intention de faire mes recherches. Peut-être peux-tu toi-aussi utiliser cette nouvelle forme de magie ? Après tout, ma grand-mère t’a fait confiance en partageant une partie de ses connaissances.

— Ce serait merveilleux. Je crois toutefois qu’il faut nous dépêcher. Avec le départ d’Adramelech, nous allons devoir prendre le transport public pour nous rendre à l’école. Tu veux que l’on prenne quelque chose sur la route ? J’aurais bien besoin d’une bonne dose de caféine !

— Va pour un départ en flèche. J’approuve entièrement l’idée d’un café et d’un bon croissant. Nous pourrons parler de ma journée d’hier en marchant vers la station, à l’abri des oreilles indiscrètes.

— Bonne idée. Je veux tout savoir. J’avais tellement peur hier que ces brutes te fassent encore des problèmes. Cela m’empêchait de me reposer et ma tante a pu me surprendre sans que je puisse réagir.

— Ces idiots ont pourtant été l’élément le moins inquiétant de ma journée. Je te verrais très bien manger du maïs éclaté en écoutant mon histoire !

Lorsque les deux amies posent le pied dehors, elles ne sont pas prêtes à la surprise qui les attend. À quelques pas du manoir, un homme en costard les salue poliment, debout près de la limousine conduite jusque-là par Adramelech.

— Bonjour mesdames, lance le chauffeur, le visage impassible.

Sa main toujours dans celle d’ava, Sarah sent une pression soudaine s’appliquer sur ses doigts, indiquant l’inconfort de cette dernière. Suspicieuse, l’adolescente analyse le nouvel arrivant en se concentrant sur la magie qui circule en elle. Rapidement, sa nervosité monte aussi en flèche lorsqu’elle ressent l’énergie qui émane de l’individu.

Figées, les deux jeunes femmes s’échangent un regard rempli d’inquiétude. Le chauffeur profite de leur stupeur pour poursuivre.

— Ne vous inquiétez pas, je ne suis pas ici pour vous faire des problèmes. Adramelech m’envoie pour vous assister. Je suppose que vous savez déjà ce que je suis ?

À peine rassurée par les propos de l’homme, Ava se concentre sur ses facultés pour préparer un sort de protection qui leur permettra de décider de la suite de leurs actions. Elle n’a toutefois pas le temps de relâcher le bouclier que Sarah s’avance, un large sourire étirant ses lèvres.

— Votre présence tombe à pic, monsieur. Nous sommes assez pressées et l’idée de pouvoir discuter tranquillement dans la voiture m’est très agréable. Ava, tu viens ?

Surprise de la confiance instantanée accordée par son amie, l’interpelée hésite un moment à la suivre, résistant à la traction sur son bras à présent en pleine extension.

— Tu dois te méfier, Sarah ! s’insurge Ava. Les démons ne sont pas le genre de créature à respecter leur parole. Adramelech est libre de ses choix à présent.

— S’il voulait nous faire du mal, il n’avait qu’à nous laisser mourir aux mains de Valencia. Le fait qu’il souhaite nous fournir la protection de l’un des siens devrait plutôt te rassurer. Hier, il a vu que je pouvais contrôler les ombres et il m’a avoué que ces choses tourmentent même son peuple. Je crois sincèrement que nous pouvons lui faire confiance.

— Si tu te trompes, nous risquons de perdre plus que notre vie, tu en es consciente ? s’inquiète Ava.

— Je ne connais pas grand-chose par rapport à la damnation éternelle, mais je préfère mettre toutes les chances de mon côté maintenant que je sais dans quel pétrin je me trouve. Je conçois que les démons ne soient pas des alliés typiques, mais je suis prête à prendre tout le support qui m’est offert.

— J’aimerais pouvoir te faire confiance, mais j’ai déjà assisté à une invocation qui a mal tourné. Ces créatures sont fourbes et dangereuses. Pardonne-moi, mais je ne peux pas !

À la fois déçue et soudainement un peu craintive, Sarah observe le chauffeur qui n’a pas bougé d’un iota pendant leur discussion.

« S’il nous veut du mal, il aurait profité de notre inattention pour attaquer, non ? » pense-t-elle.

« Tu as le pouvoir de la forcer à te suivre. » suggère intérieurement sa part ténébreuse.

« Reconnais l’expérience de ton amie et renvoie ce démon parmi les siens ! » propose sa part lumineuse.

Troublée par toutes ses pensées contradictoires, Sarah ne sait plus comment réagir. Nerveuse, elle observe tour à tour Ava, puis le démon, incapable de décider. Après un instant d’hésitation qui lui parait une éternité, elle fonce.

— Puis-je avoir votre nom ?

— Vous pouvez m’appeler Karl, répond le chauffeur.

— Ce n’est pas le nom que j’attends de vous, monsieur. Vous savez très bien en quoi consiste ma question. Soit vous nous fournissez votre véritable identité, soit je convoque les ombres pour qu’elles vous renvoient chez vous sans aucune possibilité de revenir dans ce monde.

Un changement à peine perceptible survient sur le visage du chauffeur. Pendant une fraction de seconde, ses traits se déforment pour afficher un rictus qui n’a rien d’humain. Nerveuse, Ava se prépare à réagir.

Toutefois, une puissante vague d’énergie la submerge, brisant sa concentration et laissant les deux femmes vulnérables à l’éventualité d’une attaque de la part du démon.