Fyctia

Voyant l’angoisse dans le regard d’Ava, Sarah plonge sans attendre.

— Je comprends la douleur avec laquelle tu as dû vivre pendant toutes ces années et je suis heureuse d’apprendre que ma présence te fait du bien et t’aide à oublier ce terrible moment. Je suis désolée d’avoir douté de tes intentions. Puis-je te poser une question très personnelle qui risque de te paraître un peu surprenante ?

— Je te l’ai dit, je n’ai aucun secret pour toi.

— Je me lance alors. Même si notre rencontre est vraiment très récente, je ressens une grande attirance pour toi. Ce que nous venons de vivre toutes les deux ce matin n’est pas une simple folie passagère dans mon esprit. Puis-je connaître tes intentions à mon égard ?

L’éclat qui apparaît dans les yeux émeraudes d’Ava est une réponse en soi, mais elle ne se contente pas de ce non-dit pour exprimer sa joie. Bondissant telle une enfant surexcitée d’avoir reçu un cadeau longtemps attendu, elle fonce littéralement sur Sarah pour l’enlacer une fois de plus. Alors que leurs corps ne font plus qu’un tellement elle la serre fort, elle affirme haut et fort son sentiment.

— Je peux sans hésiter te dire que je ressens un amour très réel pour toi. Non seulement je l’ai ressenti dès les premières minutes suite à notre rencontre, mais je te confirme que la moindre seconde passée près de toi est un bonheur inestimable à mes yeux. Je sais que cela peut sembler ridicule, mais c’est bel et bien l’émotion qui m’habite, je te le promets.

Totalement fébrile suite aux propos de sa compagne, Sarah sent des larmes de joie lui monter aux yeux. Incapable du moindre mot, elle se contente de serrer tellement fort Ava que celle-ci émet un gloussement étouffé pour lui faire comprendre son incapacité à respirer normalement. Une fois libérée, elle ancre son regard dans les yeux de Sarah.

— Tu ne connais pas ta force, toi ! Encore un peu et tu m’écrasais comme une brindille. Du coup, je n’ai pas besoin de te demander si tu partages mon sentiment, n’est-ce pas ?

— L’amour que j’éprouve pour toi est bien réel en effet. Depuis notre rencontre, j’essaie de me convaincre que ce que je ressens provient seulement des situations dans lesquelles nous nous sommes retrouvées, mais en ce moment je sais que ce n’est pas ça. Hier, quand j’ai passé cette journée misérable loin de toi, je n’ai pas cessé une seule seconde de penser à toi.

— Voilà donc une chose qui est claire. Je crois qu’il serait mieux pour nous de terminer de nous vêtir si nous voulons rejoindre l’école avant le début des cours. Tu pourras me raconter ta journée d’hier sur le chemin.

— Tu comptes vraiment aller là-bas et faire comme si rien ne s’était passé. Tu viens quand même de passer près de mourir !

— Le passé ne doit jamais définir notre présent et encore moins notre futur. N’oublie pas que tu es surveillée par l’établissement et que ton absence pourrait t’attirer des ennuis.

— Comparativement à ce qui m’arrive en dehors des cours depuis quelques jours, je te dirais que ces soucis me semblent plutôt anodins si tu veux mon avis. D’ailleurs, comment comptes-tu expliquer la disparition de ta cécité ?

Visiblement prise de court par la logique implacable de Sarah, Ava réfléchit un bref instant avant de lui répondre. Toutefois, un sourire apparaît rapidement sur ses lèvres au plus grand bonheur de son amie.

— Je n’ai qu’à utiliser mon absence d’hier pour justifier ce changement. Certaines formes de cécité peuvent être résolues par une opération relativement simple. Je n’ai qu’à dire que j’ai reçu l’intervention hier après de long mois d’attente. Je doute que l’on me questionne puisque la plupart des gens m’ignorent tout bonnement depuis mon arrivée dans cette école il y a quelques mois.

— L’idée est bonne, mais j’oublierais l’aspect incognito si j’étais toi. Disons que j’ai brassé pas mal les esprits hier...

Profitant de l’entrée en matière effectuée par Sarah, Ava s’empresse d’apporter le sujet qui lui apparaît le plus sensible.

— Est-ce que cela est relié au fait que ton médaillon est maintenant fusionné à toi ? demande Ava avec une note de malaise dans la voix.

— Plus ou moins, répond rapidement Sarah. La personne qui en est responsable est simplement passé en coup de vent dans la matinée. Par contre, je me suis retrouvée malgré moi mêlée à un groupe d’amis dans lequel j’ai retrouvé l’une des brutes qui t’ont attaquée pour te voler ton sac.

— Ne me dis pas que tu as utilisé la magie contre lui en présence de témoins !? s’inquiète Ava, la voix débordante d’une peur profonde.

— L’envie était présente, mais je n’ai pas eu à le faire. Du moins pas avec les sorts que ton codex suggérait dans mon esprit. Il y a beaucoup de choses que je dois te dire avant d’en arriver à ce point de ma journée. Crois-moi, tu risques de ne pas en croire tes oreilles. Tout ce que je peux t’assurer, c’est que ce Larry ne nous posera plus de problèmes.

Inquiète, Ava fixe Sarah d’un regard incrédule et apeuré. Après de longues secondes d’un silence lourd, elle ose poser la question qui tourne en boucle dans sa tête.

— Tu ne l’as quand même pas tué ?

— Non ! Par contre, je n’ai aucune idée de son état. L’idiot m’a menacé avec un pistolet peu après ma sortie et Adramelech s’est interposé. Je n’ai aucune idée de ce qu’il lui a fait subir, mais il a dit qu’il ne se rappellerait probablement pas son propre nom.

Complètement assommée par les propos de Sarah, Ava l’observe d’un regard si intense que cela la met mal à l’aise. Ne voulant pas en rajouter, l’adolescente attend patiemment sa réaction.

— Je ne comprends pas pourquoi ce démon a décidé d’intervenir. Certes, il avait l’obligation de servir ma famille, mais tu n’en fais pas partie.

— Peut-être voulait-il que je me retrouve à tes côtés ? Quand je t’ai laissée hier au matin, tu étais très faible. Il l’a probablement ressenti.

— Même si tel était le cas, il n’aurait rien fait. Il devait m’obéir, mais rien ne l’obligeait à prendre soin de moi.

— J’aimerais pouvoir t’expliquer, mais j’en sais moins que toi.

— Pourtant, tu as su récupérer son nom et briser les liens qui le maintenait dans notre monde. Cet exploit montre au contraire que tes connaissances dépassent largement les miennes à présent. Peut-être a-t-il senti quelque chose en toi et cela l’a poussé à t’aider. Même libre, il a choisi de prendre notre côté, ce qui est impensable dans mon esprit.

— Cela va encore plus loin. Avant de partir cette nuit, il m’a dit qu’il répondrait à l’appel si je devais un jour lui demander son aide. Je ne suis pas érudite en démonologie, mais cela me semble néanmoins inhabituel.

— J’aurais plutôt dit impossible. Je préfère nettement t’avoir à mes côtés dans cette aventure !

— Et moi je tiens à t’avoir avec moi pour m’aider à comprendre. J’ai beau avoir dans mon esprit la totalité des codex, cela ne m’aide pas à me retrouver.

Inconsciente de l’effet de son affirmation, Sarah voit soudainement le visage d’Ava s’allonger dans une expression frisant l’affolement.