Fyctia

Ce n’est que lorsque la voix de Sarah résonne dans sa tête qu’il comprend que la situation lui échappe encore bien plus qu’il ne le croyait.

— Adramelech, pose ta main sur ma poitrine à la base de mon cou. Tu sentiras la présence de l’objet que cette sorcière veut me prendre. Je sais que ce médaillon possède la puissance pour te libérer de son emprise, mais tu dois me faire confiance.

Ébranlé par la présence mentale de l’humaine, le démon ne bronche pas pour autant et fait semblant de se concentrer, respectant ainsi la demande de la sorcière. Profitant de son don inné pour la télépathie, il profite de la situation pour répondre mentalement à Sarah.

— Je sens la présence de l’objet, mais tu ne sembles pas apte à pratiquer la magie dans ton état. Je ne vois même pas comment tu comptes procéder.

— Les ombres se chargeront de briser le lien qui existe entre toi et cette famille. Fais-moi confiance.

— Ne me dis pas que tu comptes utiliser ces êtres fourbes !? Ton plan est voué à l’échec et tu me condamnes ainsi à pire que la servitude !

— Voilà pourquoi je te demande de me faire confiance. C’est mon seul espoir de sauver mon amie !

— Si tu veux mon avis, tu devrais surtout penser à te sauver toi-même. Dans quelques secondes, je serai obligé de t’imposer une souffrance que personne ne saurait endurer.

— Raison de plus pour agir rapidement. Pose ta main sur le médaillon et ouvre ton esprit.

Inquiet, le démon choisit néanmoins de faire confiance à l’étrange humaine condamnée à mourir dans d’atroces souffrances. Dès que sa paume touche le métal serti dans sa peau, une intense énergie pénètre tout son être, provoquant du coup la disparition de son masque humain.

Tout près, la sorcière se délecte de ce qu’elle voit à cet instant précis. Certaine que son laquais donne tout pour torturer sa victime, elle attend avec impatience son premier cri de douleur. Près d’elle, Ava assiste avec grande tristesse à la scène, luttant pour sa vie alors que son sang s’écoule entre ses doigts tremblants.

C’est alors que tout déraille. Cela commence par une explosion soudaine d’une vague d’énergie intense qui traverse toute la pièce, balayant les objets et les occupants d’une onde invisible réchauffant chaque particule les constituant. L’air devient ensuite lourd, donnant l’impression de prendre une consistance liquide rappelant celle de l’eau.

Puis elles apparaissent.

Les ombres.

Au début, ce ne sont que des artefacts optiques déformant la luminosité dans la pièce, puis elle se matérialisent de plus en plus clairement, entourant le démon et s’affairant à briser des liens invisibles aux yeux des occupants humains. Au bout de quelques secondes, le visage d’Adramelech est le premier à prendre conscience du changement qui s’est opéré.

Il est libre.

Consciente des forces surnaturelles en actions, la sorcière est la seconde à réagir, ses traits déformés par une rage démesurée. Incapable de dire exactement ce qui vient de se passer, elle sait pourtant que la situation va bientôt échapper à son contrôle. Furieuse, elle invoque le feu, désirant décimer cette jeune femme qui ose lui tenir tête. Lorsque le feu quitte ses paumes, elle se délecte déjà de la destruction à venir.

Heureusement pour Sarah, le démon est reconnaissant de ce qu’elle vient de faire pour lui. Sans hésitation, il se dresse donc entre les flammes et leur victime désignée. Insensible au feu de l’Enfer, son corps absorbe sans peine la puissante magie sous le regard horrifié de la sorcière. Enragée, celle-ci tente une seconde invocation, mais les griffes d’Adramelech viennent brusquement briser sa concentration en lacérant sa robe, sa peau et sa chair.

Consciente du danger qui pèse sur elle, la sorcière n’en demeure pas moins acerbe envers son adversaire.

— Espèce de limace sans âme ! Comment oses-tu défier ainsi ta maîtresse ? hurle-t-elle à plein poumons.

Impassible face aux insultes reçues, le démon saisit la tête de sa victime entre ses mains puissantes et la presse comme s’il souhaitait la faire éclater comme un melon trop mur. Son regard noir ancré dans le sien, il déchaîne sans plus attendre sa volonté dans son esprit. La sorcière aurait bien besoin de crier pour exprimer sa douleur, mais même cet exutoire lui est retiré alors que l’essence même de son âme est transcendée par celle de son agresseur. Au bout de seulement quelques secondes, sa peau se dessèche jusqu’à tomber en poussière, suivie de sa chair et ses os qui subissent le même sort. Ce n’est que lorsque sa longue robe termine sa chute en un amas difforme sur le sol qu’Adramelech reprend forme humaine.

— Voilà qui est fait, annonce-t-il de sa voix encore rauque. Cette sorcière infâme a enfin rejoint sa place en Enfer !

En temps normal, le démon se contenterait de rejoindre son monde à son tour, mais un sentiment nouveau le retient encore. Inquiet, il tourne d’abord son regard vers Ava qui gît quasi inconsciente au sol dans une marre de sang. Certes, sa colère pour cette famille est encore présente, mais il reconnaît que cette jeune femme n’aura pas été une si mauvaise maîtresse. Néanmoins incapable de se résigner à lui fournir son aide, Adramelech se précipite plutôt auprès de la source de cette étrange émotion qu’il ressent.

La reconnaissance.

Jamais une humaine n’a démontré un quelconque désir d’aider un individu de son monde. Pourtant, cette étrange adolescente vient de le libérer d’une éternité de servitude. Qui plus est, en contrôlant les Ombres, ces créatures immatérielles hantant les cauchemars de tout être possédant une âme, aussi damnée soit-elle.

Constatant que Sarah ne respire qu’à peine, Adramelech prend conscience de l’énergie qu’elle a dû investir dans sa libération. Hésitant, il pose sa main sur sa poitrine, évitant avec soin le médaillon. Découvrant un pouls régulier, il est rassuré. Désireux de l’aider, il consent alors à lui transmettre une partie de son énergie. Pour ce faire, il pose sa main sur son front et fait appel à ses pouvoirs, diffusant en elle ce qu’il espère être une quantité adéquate d’essence vitale.

L’effet dépasse largement ses attentes lorsque l’adolescente bondit littéralement sur ses pieds, un peu comme si la foudre venait de la frapper de plein fouet. Paniqué, il réalise qu’il y est peut-être allé un peu fort. Un instant, il songe intercepter la furie pour lui retirer une partie de cette énergie, mais il se retrouve soudainement projeté dans les airs, traversant la pièce tel un oiseau aux ailes brisées. Terminant son vol avec fracas sur la table du salon, le démon indemne observe avec incrédulité la scène qui se déroule devant lui.

A-t-il fait une nouvelle erreur en fournissant son aide à cette jeune femme possédant un lien aussi unique avec la magie de ce monde ?