Fyctia

À la vue du pistolet, Sarah passe en mode offensif. Nul instant elle ne craint la menace de l’arme pointée sur elle, mais Larry ne lui laisse pas le choix.

Il doit disparaître.

Espérons seulement qu’il n’y aura pas de témoins.

Prête à lancer le sort qu’elle vient de préparer intérieurement, la jeune femme lève la main et fait appel à la magie qui circule dans ses veines, provoquant une vive réaction du médaillon serti dans sa poitrine.

« Ne fais pas ça ! » lui hurle cette voix intérieure peu encline à la violence.

« Au contraire, prends conscience de ta puissance ! » répond le démon en elle.

« N’oublie pas le conseil de tes amis : éviter les ennuis. » termine sa conscience affaiblie par la colère de l’instant présent.

À une dizaine de mètres d’elle, Larry la fixe avec un air satisfait, inconscient du sort funeste qui le guette.

— Si tu crois que tu peux me ridiculiser devant mes amis sans en subir les conséquences, tu rêves ! éructe-t-il avec véhémence, transi par une rage profonde.

Alors qu’elle s’apprête à libérer sa magie, une forme noire vient soudainement s’interposer entre Sarah et sa cible. Déconcentrée, elle sent le sort se dissiper, l’exposant à l’ire de son ennemi. Celui-ci ne peut toutefois plus la viser puisque le nouvel arrivant s’avère être nul autre que le chauffeur de la limousine. Ce dernier, aucunement impressionné par l’arme létale dans la main de Larry, observe ce dernier avec un air neutre.

— À votre place, monsieur, je rangerais cette chose, indique le chauffeur d’une voix calme.

— De quoi tu te mêles, sale con ! crache Larry. Dégage de mon chemin !

Appuyant ses paroles dures d’un ample mouvement de son bras armé, le jeune homme percute avec violence le visage du chauffeur de la pointe de son arme. Paniquée, Sarah s’imagine déjà devoir expliquer la mort de l’homme à son amie. Toutefois, la suite se révèle encore plus inquiétante.

Stoïque malgré le formidable coup reçu, le chauffeur profite de l’élan de Larry pour saisir son poignet, apparemment insensible à l’effet dévastateur de son attaque. Bien que le côté gauche de sa mâchoire a été ouvert par le canon, l’homme possède toujours cet air neutre sur son visage. D’une torsion semblant sans effort, il retire l’arme et la glisse dans la poche de sa veste avant de poser ses mains de chaque côté de la tête de son agresseur.

— Vous auriez dû m’écouter, monsieur, se contente de dire le chauffeur.

C’est alors que la situation dégénère sous le regard estomaqué de Sarah. D’abord, les ongles de l’homme noircissent et s’allongent jusqu’à former de longues griffes tordues. Puis, son visage prend soudainement l’aspect d’une vieille momie desséchée. De loin, l’adolescente ne perçoit pas tous les détails, mais elle profite du fait que les deux corps se sont tournés légèrement pour voir les yeux du chauffeur devenir aussi noirs qu’une nuit sans lune.

Affolé, Larry tente de crier, mais aucun son ne sort de sa gorge. En fait, c’est tout son corps qui semble être devenu catatonique, ses muscles se contentant de faire trembler ses membres alors que la créature le maintien par la tête à quelques centimètres au-dessus du sol.

La scène dure quelques secondes, jusqu’à ce que le son sourd du corps de Larry qui chute lourdement sur le sol vienne la conclure. Le chauffeur se tourne alors vers Sarah, son visage reprenant peu à peu sa forme humaine.

— Puis-je vous suggérer de monter ? lui demande-t-il de cette même voix calme.

— B... bien sûr ! parvient finalement à prononcer Sarah.

— Excellent. Madame Darmore est impatiente de vous retrouver.

Ébranlée par ce qu’elle vient de voir, Sarah ne parvient pas à prendre place derrière la limousine. À la place, elle s’installe à l’avant, du côté passager. Aussitôt assise, elle fixe le chauffeur avec un regard mélangeant la reconnaissance, la curiosité et, elle doit bien se l’avouer, un peu de peur.

— Il est mort ? questionne-t-elle au bout de quelques secondes de silence.

— Non, mais je doute qu’il se souvienne même de son nom à son réveil.

— Que lui avez-vous fait ?

— Pardonnez-moi, mais ce serait assez difficile à expliquer à une néophyte comme vous.

— Essayez toujours, je risque de vous surprendre. Ma petite tête fonctionne à plein régime depuis quelques jours !

— Savez-vous seulement ce que je suis, madame ?

— C’était ma prochaine question.

— Je préfèrerais qu’Ava vous fournisse les réponses que vous attendez si cela ne vous dérange pas.

— Justement, cela me dérange. J’ai besoin de déterminer par moi-même ceux à qui je peux faire confiance et il semble qu’Ava me cache encore beaucoup de choses. Si vous voulez que je vous suive jusque chez elle, répondez-moi !

— Ma maîtresse ne cherche qu’à préserver votre innocence, madame Black.

— Mon innocence !? Vous n’avez aucune idée de ce que vous dites. Encore quelques secondes et cette stupide brute allait être démembrée à quelques mètres de l’école que je fréquente. Vous trouvez ce geste innocent vous ?

— Certainement pas. Je suis intervenu pour l’éviter justement.

— Vous saviez ce que j’allais lui faire ?

— En quelques sortes. Je peux ressentir la magie.

— Donc vous êtes un sorcier, c’est bien ça ?

Pour la première fois, le visage du chauffeur perd sa neutralité. L’homme explose alors d’un rire grinçant qui glace le sang de la jeune femme.

— Ma chère, je déteste les sorciers encore plus que les humains !

Horrifiée, Sarah observe le chauffeur d’un regard nouveau. Si cette chose n’est ni un sorcier, ni un humain, que peut-elle bien être !?

— Votre peur est délicieuse, ma chère. Vous n’avez toutefois pas à vous en faire, je sers ma maîtresse et il m’est donc impossible de vous faire du mal. Vous seriez morte depuis longtemps si cela n’avait pas été le cas.

À peine rassurée par la fidélité de la créature envers Ava, Sarah réprime avec peine ses tremblements, ce qui plaît visiblement à la chose. L’esprit affolé par la présence de cette éventuelle menace à ses côtés, l’adolescente peine à mettre de l’ordre dans les connaissances qui l’habitent depuis moins de vingt-quatre heures. Néanmoins, un sort prend lentement forme dans sa tête.

L’invocation démoniaque.

L’information lui apparaît alors comme une évidence et elle ancre une fois de plus son regard dans celui de la créature occupée à les conduire vers la résidence de sa maîtresse.

— Vous êtes un démon, c’est bien ça ?

— Je préfère l’épellation « prince des ténèbres », c’est plus agréable à mes oreilles.

— Je vois. Et vous êtes pris dans notre monde pour une raison particulière ?

— En effet. Permettez-moi de vous dire qu’il est préférable de vous arrêter ici dans vos interrogations. La suite risquerait de vous déplaire.

— Encore une fois, vous me connaissez bien mal si vous croyez que je vais m’arrêter. Vous venez de me dire que vous ne pouvez pas me faire de mal.

— Intentionnellement, non, mais mes réponses pourraient vous tourmenter d’une toute autre manière.

Déterminée à en apprendre plus, Sarah toise la créature d’un regard noir.