Fyctia

Déterminée à en apprendre plus, Sarah toise la créature d’un regard noir.

— À moi de décider de ce qui me tourmente. Alors, qu’est-ce qui vous retient ici ?

— Je n’ai jamais pu terminer la mission pour laquelle je me suis fait invoquer. Je suis maintenant prisonnier de la famille qui m’a fait venir dans ce monde.

Sachant qu’Ava a été référée comme sa maîtresse à plusieurs reprises, Sarah n’a pas à réfléchir longuement pour savoir de quelle famille il s’agit. Cette idée lui donne des sueurs froides, mais elle n’abandonne pas pour autant.

— Quelle est cette mission ?

— Il est préférable que je me taise.

— Répondez-moi !

L’intensité de l’ordre lancé par Sarah n’a rien d’humain et la créature le ressent comme un assaut mental d’une force démesurée. L’adolescente parvient même à percevoir un tremblement dans sa lèvre alors qu’il reprend la parole.

— Je devais tuer votre mère, répond-t-il d’une voix faible.

Surprise, Sarah perçoit la peur dans la voix du démon. Un instant, elle se demande d’où cette émotion peut bien venir, mais un regard dans le rétroviseur lui fournit la réponse.

Ses yeux brillent chacun d’un éclat très différent.

L’un est rouge comme le sang, traversé de stries noires.

L’autre est doré et lumineux.

Prenant conscience de l’étrange phénomène, la jeune femme sent maintenant l’énergie qui circule dans son corps. En un claquement de doigt, elle pourrait effectivement renvoyer ce monstre chez lui, mais elle ne compte pas le faire.

Pas encore du moins.

— Vous savez qui l’a fait si ce n’était pas vous ? Si vous avez le moindre indice, j’exige que vous m’en fassiez part !

Tremblant, le chauffeur peine à maintenir le regard de sa passagère. Au comble de la nervosité, le démon hésite un long moment avant de répondre.

— Je ne l’ai jamais su. Je vous jure. Tout ce que je sais, c’est que les ombres étaient partout ce soir-là. Du moins jusqu’à ce qu’un vent magique nous envoie tous valser dans les airs comme de vulgaires brindilles.

— Je sais très bien pour les ombres. Elles m’assaillent depuis aussi longtemps que je me souvienne. Ce soir-là, c’est l’une d’elles qui m’a pris ma mère, j’en suis certaine. C’est moi qui les ai repoussées avec ma colère.

— Loin de moins l’idée de vous contredire, mais personne ne peut contrôler ces choses. Même dans mon monde, les ombres sont une plaie et font toujours ce qui leur plaît. Vous les humains aimer qualifier leurs actes comme étant chaotiques.

— Pourraient-elles avoir tué ma mère ?

— Seules, non. Elles n’ont pas une emprise sur le monde humain, à moins de bénéficier de l’énergie de l’un d’entre eux.

— Peuvent-elles prendre possession d’un corps humain pour arriver à leurs fins ?

— En théorie, c’est possible, mais vos esprits sont si fragiles que je n’ai jamais eu vent qu’une telle possession ait pu donner le résultat attendu. Votre ridicule enveloppe charnelle ne survit jamais au choc.

— Donc, si je vous suis, une ombre aurait pu tenter de prendre possession de ma propre mère pour me faire du mal et l’aurait ainsi tuée ?

— Cela pourrait être possible, mais vous devez savoir que l’ombre en question se serait alors condamnée à disparaître avec l’hôte qu’elle tentait de posséder. J’imagine mal ces sales profiteuses risquer leur existence pour éliminer une vulgaire humaine.

— Hé, c’est de moi dont il est question ! s’offusque Sarah.

Apeuré par le haussement de voix de l’étrange humaine à ses côtés, le démon se colle sur la vitre de la portière tel un enfant grondé par sa mère. Dans un contexte plus léger, Sarah aurait été amusée par la scène, mais son esprit n’est pas à ce genre d’émotions pour le moment.

— Que savez-vous d’autre sur ces ombres ?

Anormalement nerveuse, la créature observe l’humaine avec un regard mélangeant le mépris et cette peur irrationnelle dont il ne peut se départir.

— Il y a trop de choses qui vont sont inconnues. Votre esprit ne pourrait supporter toute la connaissance qui habite un être comme moi.

Frustrée, Sarah lance un regard incendiaire au chauffeur. Animées de l’énergie qui circule dans son corps, ses mains commencent à dégager une chaleur surnaturelle. Reflets de sa colère, ses yeux deviennent d’un noir abyssal, provoquant un nouveau recul du démon.

— Attendez ! s’exclame le monstre. Peut-être devriez-vous parler avec Ava de vos interrogations. Elle saura vous présenter ce qu’elle sait d’une meilleure façon que moi. Si cela ne vous suffit pas, je vous promets de répondre à vos questions par la suite. Nous sommes presque arrivés.

Faisant de son mieux pour calmer le feu qui la ronge, Sarah reste muette pour le reste du voyage, triturant ses doigts avec force afin de contenir son impatience. Dès l’apparition de la somptueuse demeure de son amie, elle prend une profonde respiration.

— Entrez avec moi, ordonne-t-elle alors que le véhicule s’immobilise devant l’entrée.

Incapable d’ignorer cette demande prononcée avec l’appui de la puissante magie circulant dans l’adolescence, le chauffeur s’exécute sans rouspéter. Dès que le duo pose le pied en dehors du véhicule, une étrange sensation habite toutefois la jeune femme. D’un rapide coup d’œil vers son accompagnateur, elle constate que ce dernier ressent aussi son inconfort.

— Je sens un danger, prononce-t-elle à l’adresse de l’homme. Vous percevez quelque chose ?

— En effet. Une magie puissante est présente dans la maison.

— Cela provient d’Ava ? Je croyais qu’elle était affaiblie ?

— Non, cela provient d’une personne beaucoup plus puissante que ma maîtresse. Vous devriez fuit cet endroit au plus vite.

— Quoi !? Il est hors de question que j’abandonne mon amie ! hurle Sarah. Quel genre de monstre êtes-vous donc ?

— Moi je n’ai rien à craindre, contrairement à vous. Je crois que vos exploits des derniers jours ne sont pas passés inaperçus.

Inquiète, Sarah observe le démon avec mépris. Certes, elle craint de se diriger vers un piège, mais il est hors de question pour elle d’abandonner la seule personne qui puisse l’accompagner dans cet univers qu’elle découvre un peu trop rapidement à son goût.

— Si vous ne craignez pas le danger, alors aidez-nous ! commande-t-elle au chauffeur. C’est un ordre !

— Si la personne qui vous menace fait partie de la famille de ma maîtresse, je ne pourrai rien faire. N’oubliez pas que je suis lié à elles. Votre volonté ne peut rien changer au sort qui m’attache à ce monde.

L’esprit enflammé par la situation, Sarah s’immobilise un instant à quelques mètres de la porte. Dans sa tête, le Codex Tenebris enchaîne les sorts à une vitesse étourdissante, avec pour résultat commun la mort et la destruction dans une succession d’images mentales terrifiantes. Soudainement, une idée émerge dans le tourbillon.

— Dites-moi votre nom ! lance-t-elle avec conviction.

— Quoi ?

— Je veux connaître votre véritable nom. Celui qui a servi à vous convoquer dans ce monde.

Insulté par la demande de l'adolescente, le démon la fixe d'un regard sombre et son visage se déforme dans un rictus de haine profonde.