Fyctia

Confuse entre l’idée de fuir et celle d’essayer de comprendre ce qui se passe, Sarah reste immobile, sa tête posée sur la cuisse d’Ava. Cette dernière poursuit sa caresse dans ses cheveux, inconsciente de son réveil jusqu’ici. Toutefois, dès qu’elle tortille son corps pour dénouer les muscles de son dos, cela interrompt le mouvement tendre et provoque un sursaut chez son hôte.

— Sarah, tu m’as fait très peur. Sans mes yeux, je peux difficilement juger de la gravité de ta blessure à la tête, mais je crois que ça ira. Je suis désolée de te faire vivre autant d’émotions, mais je n’ai vraiment pas le choix.

Groggy, l’adolescente tente d’absorber toutes les informations apprises dans les dernières heures. Malgré la douleur dans son crâne, elle sait que sa blessure n’est pas sérieuse. Le problème est plutôt le maelström qui sévit dans son esprit en cet instant.

— Pourquoi n’as-tu pas le choix ? demande-t-elle d’une voix faible.

— Même si ma mère n’est plus une menace, il y a encore quelques-unes de ses collègues qui pourraient vouloir s’en prendre à toi.

— Je ne comprends pas. Pourquoi moi ?

— Car tu es la descendante d’une famille ancestrale qui s’oppose à la magie noire pratiquée par mes pairs.

— Non seulement tu m’avoue pratiquer la sorcellerie, mais en plus là tu parles de magie noire !?

— Tu t’attendais à autre chose quand tu as lu le titre du livre que je tiens dans mes mains sur ce tableau ? Désolée, mais c’est la réalité.

— Tu es consciente que tes paroles attisent la peur qui m’habite. Comment puis-je te faire confiance maintenant que je sais tout ça !?

— Je comprends tes craintes, mais sache que même la magie noire peut être utilisée à bon escient. L’équilibre entre le Bien et le Mal est nécessaire au bon fonctionnement de notre monde. Cela a toujours été et restera à jamais.

— Et le fait que ta mère veuille me tuer faisait partie de cet équilibre ?

La question fait tressaillir Ava et son corps entier se fige comme un bloc. Sarah en profite pour se redresser, mais elle résiste à la tentation de fuir, choisissant plutôt de s’asseoir près d’elle. Étrangement, malgré la peur qui la tenaille, elle ressent un besoin de rester en sa présence. Inquiète, elle se demande si elle n’est pas sous l’effet d’un quelconque sort. Elle profite donc du silence de son hôte pour poursuivre.

— Je te demande d’être honnête. Est-ce que tu utilises tes pouvoirs pour contrôler mon esprit en ce moment ?

La réponse est instantanée et est prononcée d’une voix qui déborde d’une vive émotion.

— Non ! Jamais je ne ferais cela ! Tu es libre de prendre la décision qui te semble la meilleure à mon sujet.

— Pourquoi m’as-tu invitée à venir ici ? Tu devais te douter que je découvrirais ton secret.

— Je n’avais pas le choix. Plus les années passent et plus tu risques de déclencher des choses dont tu n’as pas encore la moindre connaissance. Lorsque cela arrivera, d’autres sorcières risquent de te trouver et là il sera trop tard.

— Trop tard pour quoi ?

— Pour que je puisse te sauver. À moi de te poser une question : que sais-tu de ta grand-mère ?

Surprise par cette question d’apparence simple, Sarah observe avec attention le visage troublé de celle qu’elle pensait être son amie. Une partie d’elle-même lui crie de ne rien dire et de fuir cette maison regorgeant de dangers potentiels, mais son cœur la supplie néanmoins de rester.

Pourquoi ressent-elle un tel attachement pour une personne qu’elle n’a jamais rencontrée avant aujourd’hui ?

Prenant son courage à deux mains, elle creuse dans sa mémoire pour déterrer les souvenirs de son ancêtre, rappelant du coup des images de sa regrettée mère dans son esprit. Le cœur transi par la douleur, elle tente une réponse.

— Je ne sais presque rien de ma grand-mère. La plupart de mes souvenirs impliquent des discussions enflammées entre elle et ma mère. Chaque fois que nous passions chez elle, maman ne voulait pas que je reste seule, insistant pour m’accompagner partout. Un soir, elle a dû répondre à un appel important et elle s’est enfermée dans une pièce. C’est à ce moment que ma grand-mère m’a remise le médaillon que je traîne toujours avec moi. Elle m’a dit qu’il me protègerait contre la noirceur. Sur le coup, je n’ai rien compris puisque je n’ai jamais eu peur du noir. Ce n’est que peu de temps après que j’ai commencé à apercevoir les ombres dans ma chambre. Au début, je n’avais pas peur, mais plus les semaines passaient et plus elles se faisaient insistantes, m’approchant pendant mon sommeil sans pourtant me toucher.

Lorsque Sarah prend une pause pour reprendre son souffle, Ava en profite pour intervenir, attentive au moindre détail.

— Ces ombres ne t’ont donc jamais fait de mal ?

— Directement, non. Par contre, je suis certaine que c’est l’une d’elles qui m’a pris ma mère. Se faisant, elle m’a causé la pire douleur de toute mon existence. Je déteste les ombres !

Envahie par une rage soudaine, Sarah se frappe violemment les cuisses à plusieurs répétitions, faisant vibrer le sol sous ses pieds avec chaque nouveau coup. Paniquée, Ava tend le bras en se guidant sur le bruit des impacts, recevant ainsi plusieurs coups douloureux.

— Sarah, arrête ! Tu ne peux pas te faire ainsi du mal en espérant chasser celui résidant dans ton esprit. Crois-moi, j’ai essayé et ça ne donne rien de bon. Pourquoi as-tu conservé ce médaillon si tu crois que les ombres y sont attachées ?

— Ma grand-mère m’a dit de le conserver aussi précieusement que ma propre vie. Qu’il changerait un jour ma vie et celle de toutes les personnes qui me sont chères. Je ne sais pas pourquoi, mais je sens qu’il me protège justement de ces ombres.

— Tu veux que je te dise ce que moi je sais de ta grand-mère ?

— Évidemment !

— Désolée si cela te choque, mais elle-aussi était une sorcière. L’une des plus grandes de cette époque. Pour une raison qui m’est inconnue, sa fille, Morgan, n’a jamais voulu pratiquer la magie.

Frappée d’entendre le nom de sa mère prononcé par Ava, Sarah émet un hoquet de surprise, son corps parcouru d’un violent tremblement. La main de son hôte se pose alors sur sa cuisse et elle ne la repousse pas.

— Sarah, ta grand-mère pratiquait la magie blanche et c’était la meilleure. Elle s’est intéressée un jour à la fusion entre sa magie et celle plus sombre pratiquée par leurs ennemies. Un jour elle a contacté notre sororité et ma mère a été choisie pour être son contact. Malheureusement pour ta grand-mère, le monstre qu’elle était n’y a vu qu’un moyen pour acquérir encore plus de pouvoirs et elle a tout fait pour la corrompre. Jusqu’à cette nuit où elle...

Lorsqu’Ava s’interrompt, incapable de poursuivre sa phrase, Sarah sait pertinemment ce qui va suivre et c’est elle qui complète.

— Ta mère l’a tuée, c'est ça ?

— Pire encore, elle a détruit son corps et maudit son âme pour qu’elle ne puisse pas rejoindre les siens dans l’autre monde.

Frappée par la cruauté derrière cette action, Sarah sent son esprit vaciller une fois de plus.