Fyctia
16-Fuir !
Prise à la fine frontière entre l’éveil et l’inconscience, Sarah oscille sur le canapé, son corps menaçant de basculer à tout moment. Seule la main posée sur son épaule la préserve de cette conclusion.
— Sarah, reste avec moi, je t’en supplie. Toutes ces choses sont terribles, mais je dois te les raconter pour que tu comprennes le danger qui pèse sur toi. Sans tout te dire, ta grand-mère t’a chargée d’une mission sans précédent. Je crains que la mort l’ait trouvée trop tôt.
Peinant à respirer, Sarah fait l’impossible pour rester éveillée. Elle reconnaît à peine sa propre voix lorsqu’elle reprend la parole.
— Quand a-t-elle été assassinée ?
— J’avais douze ans, donc tu devais avoir environ dix ans.
— L’année où elle m’a remis le médaillon. Et aussi celle où les ombres ont commencé à me tourmenter. Tu saurais m’expliquer, s’il-te-plaît.
Épuisée par ces simples paroles, l’adolescente ferme les yeux et essaie de forcer l’air à pénétrer ses poumons comprimés par l’émotion.
Sa grand-mère ne l’aurait quand même pas volontairement mise en danger ?
Trop long, le silence devient angoissant. Déçue par l’absence de réponse de celle qu’elle croyait son amie, Sarah tente de se lever, mais la main encore posée sur son épaule l’en empêche. Frustrée, elle tente de la retirer, sans succès.
La frustration fait alors place à une colère profonde, grondant en elle comme le tonnerre dans un ciel orageux. Elle sent alors une chaleur en provenance de la poche de son pantalon envahir sa jambe, puis tout son corps. Animée d’une énergie nouvelle, elle bondit sur ses pieds, propulsant Ava contre le dos du fauteuil pour se dégager. Un changement s’opère alors chez l'adolescente. Celle-ci observe avec attention se mains tendues, certaine de les voir crépiter d’une électricité qui n’a pas lieu d’être. Devant-elle, le visage d’Ava se décompose dans une expression d’horreur absolue, comme si ses yeux aveugles pouvaient discerner le danger de cette situation.
— Sarah, calme-toi. Je ne suis pas ton ennemie. Si tu te laisses aller à cette colère, tu vas me tuer et peut-être même en mourir toi aussi. Ce médaillon possède une magie puissante différente de toutes celles que je connais. Tu dois apprendre à le maîtriser et je suis la seule qui peux t’aider. Je t’en supplie, fais-moi confiance.
— JE NE PEUX PAS !
La réponse hurlée par Sarah s’accompagne d’une onde de choc invisible émanant de son corps telle une explosion sans flammes. Projetée contre le canapé, Ava est assommée sur le coup. Sans même s’enquérir de l’état de son hôte, Sarah sort en trombe de la maison.
À peine consciente, l’adolescente erre ensuite dans les rues, sans but apparent, son esprit gorgé d’une rage incontrôlable. Sur son visage, son maquillage sombre a coulé, lui donnant une apparence effrayante. Sans même lui adresser la parole, les quelques passants qu’elle croise s’écartent, fuyant sa présence et son regard. Pour la première fois depuis très longtemps, elle avance d’un pas confiant, traversant les zones ombragées sans même y porter attention.
Au bout de plusieurs longues heures d’errance aveugle, la rage toujours maître de son corps, l’adolescente commence à prendre conscience de son environnement. Elle reconnaît les lieux, l’orphelinat n’étant plus qu’à quelques kilomètres. Cette réalisation lui fournit alors un objectif précis.
La vengeance.
Les souvenirs de sa matinée lui reviennent en détails, plus précisément la discussion parvenue à ses oreilles depuis la fenêtre ouverte de l’orphelinat. L’angoisse ressentie à cet instant quant à son retour en fin de journée est maintenant transformée en un désir profond de leur montrer qu’elle ignore la peur.
Autour d’elle, l’air recommence alors à crépiter.
Puisque le monde semble lui en vouloir, lui retirant les personnes auxquelles elle s’attache, autant lui cracher à la figure toute cette colère qu’elle réprime depuis toujours. Véronique et Carl ne le savent pas encore, mais ils vont bientôt comprendre leur erreur de vouloir s’en prendre à elle.
Tout est de plus en plus clair pour Sarah : la magie existe.
Jusqu’ici, on l’a utilisée contre elle pour l’obliger à vivre dans la peur, mais cela va changer. C’est ce que sa grand-mère a voulu en lui confiant cet étrange médaillon, elle en est convaincue à présent.
Il ne lui reste plus qu’à en découvrir les secrets.
Seule.
Pendant un instant, l’image d’Ava surgit dans son esprit. Plus particulièrement la scène vue sur le fameux tableau. Elle revoit ce livre, le Codex Tenebris, et le pendentif à pierre noire.
« Certainement de l’obsidienne. » pense-t-elle.
Désireuse d’en apprendre plus, Sarah utilise les dernières minutes de sa longue marche vers son ancienne demeure pour monter son plan. D’abord elle récupèrera ses affaires dans sa chambre, profitant de sa présence pour montrer à ses anciens camarades de quoi elle est capable. Ensuite, elle fuira cet endroit maudit et profitera de l’anonymat de la rue pendant les quelques semaines qui lui restent avant sa majorité. Elle en profitera pour effectuer ses recherches dans la multitude de café Internet dispersés dans la grande ville de Montréal.
Certes, c’est un plan complètement fou, mais elle s’en fiche.
Puisque le destin l’a décidé, qu’il en soit ainsi.
Plus jamais elle ne perdra une personne qu’elle aime.
Lorsque l’immense bâtiment de l’orphelinat apparaît au détour de l’intersection, Sarah sent un doute l’envahir, mais elle le chasse mentalement en se concentrant sur la colère toujours présentee. Un instant, le souvenir de sa mère expirant son dernier souffle apparaît dans son esprit, alimentant le feu dans sa poitrine et faisant vibrer l’air autour d’elle.
Après une grande respiration pour se calmer, l’adolescente pose la main sur la poignée de la porte, décidée à suivre son plan à la lettre. Dès le premier pas, la vie fait toutefois un magistral pied de nez à son plan.
Debout devant elle, deux personnes échangent une poignée de main, leurs visages affichant un sourire partagé. Lorsque l’une d’elle aperçoit Sarah, elle se tourne vers elle et lui balance sa joie au visage.
— Voilà justement cette douce enfant, lance la dame responsable de l’orphelinat.
— Merveilleux ! répond alors son interlocutrice, tournant à son tour son visage dans la direction de l’adolescente.
Malgré les riches habits de la femme, Sarah la reconnaît sans peine. Impossible pour elle d’avoir oublié ces deux billes d’émeraudes serties dans ce visage qu’elle ne pourra jamais chasser de sa mémoire. Un instant, le feu brûlant en elle menace de tout incinérer, mais une expression de profonde tristesse déforme brièvement le visage de la femme, calmant la menace.
— Je vous remercie d’avoir accepté mon offre, madame, dit simplement la femme à la responsable. Ma famille prendra grand soin de Sarah, je vous le promet.
Sans autre mot, elle tend ensuite la main vers l'adolescente et la prend dans la sienne.
Tremblante, Sarah la suit sans broncher.
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