Fyctia
14-Sorcière !
Visiblement ébranlée par la réaction de Sarah, Ava laisse ses larmes couler et elle sent son corps trembler au rythme des soubresauts qui parcourent sa poitrine qui se serre de plus en plus. Près d’elle, son amie reprend un semblant de contenance en voyant comment son hôte est affectée par sa soudaine appréhension.
— Sarah, reprend Ava, je t’en prie, écoute-moi. Je sais que c’est rapide et brusque comme introduction, mais ne te fais pas de fausses idées sur moi avant d’au moins avoir entendu mon histoire. Je te jure sur ma propre vie que je n’ai pas de mauvaises intentions en ce qui te concerne.
— Si tu es vraiment une sorcière comme le suggère ce tableau, alors comment puis-je te faire confiance ?
Sorcière.
Ce mot, la pauvre Ava l’a toujours eu en horreur. Certes, c’est le nom affublé aux femmes décidant de pratiquer la magie au travers des âges, mais elle le trouve terriblement péjoratif.
Qui plus est lorsque l’adepte en question pratique la magie dite « noire ».
Pourtant, comme toute personne, une sorcière peut faire ses propres choix et c’est ce qu’elle a fait il y a trois ans déjà. Malheureusement, ce n’est pas comme si elle pouvait tout raconter à son amie sans considération pour les conséquences de ses paroles. Néanmoins, elle doit tenter de lui expliquer.
— Vient avec moi au salon, réitère Ava. Tu pourras me poser toutes les questions qui te passent par la tête et j’y répondrai sur le champ, sans te mentir.
— Comment puis-je te croire ? Qu’est-ce qui me dit que tu ne manipuleras pas l’esprit si cela fait partie de tes facultés.
— Je le pourrais, mais ce n’est pas mon intention, je t’assure.
— Tu me fais peur.
La peur.
Voilà une conséquence inévitable qui suit presque toujours le mot qu’elle exècre tant.
Les sorcières font peur, c’est un fait reconnu.
Abattue, Ava tente de prendre les mains de son amie, mais celle-ci recule d’instinct, craintive.
— Tu n’as pas à avoir peur de moi. J’ai eu de nombreuses occasions aujourd’hui pour te faire du mal alors que tu ne savais rien de moi. T’ai-je démontré un quelconque désir de te blesser jusqu’ici ?
Hésitante, Sarah réfléchit un moment avant de répondre. Toujours méfiante, elle fixe son hôte d’un regard dur.
— Non, mais tu peux avoir d’autres projets pour moi. Les sacrifices humains ne sont-ils pas une pratique commune en sorcellerie ?
Un hoquet d’horreur surgit alors de la bouche d’Ava et ses larmes redoublent d’intensité. Incapable de répondre, elle s’écroule à genoux, les mains posées sur la tête. Surprise par cette réaction, Sarah s’approche lentement et s’agenouille devant elle. Nerveuse, elle pose néanmoins ses mains sur ses épaules, inquiète de la voir réagir aussi fortement.
— Je suis désolée, Ava. Je suis peut-être allée un peu loin en affirmant une telle chose sans te laisser la chance de t’expliquer. Je reconnais que tu as été gentille avec moi et je n’ai sans doute aucune raison de douter à ce point de toi. C’est juste que cela fait beaucoup d’informations à assimiler pour moi. Tu sais, cela fait maintenant dix ans que je cherche à me convaincre que ces ombres étaient le fruit de mon imagination de petite fille. Admettre que la magie existe est assez compliqué pour moi en ce moment.
Soulagée par le contact des mains de Sarah, Ava reprend lentement contenance. Après un moment, elle penche la tête pour s’appuyer sur son épaule.
— Tu as raison pour les sacrifices.
Troublée, Sarah réprime néanmoins son instinct de recul afin de permettre à son amie de poursuivre.
— Si j’avais écouté ma mère, j’aurais beaucoup de sang sur les mains, mais je n’ai jamais accepté de compléter ce genre de rituels horribles.
Soulagée, Sarah prend doucement les mains de son amie et l’aide à se relever. Toujours méfiante, elle tente de lire son regard pour y trouver la sincérité qu’elle espère tant. Tout ce qu’elle y trouve, c’est une profonde tristesse.
— Cela n’a pas dû plaire à ta mère, poursuit-elle.
— Le terme est faible. Elle a pris ma décision comme une trahison envers la sororité.
— Tu as été punie ?
À cette question, l’expression d’Ava devient soudainement très sombre. Un moment, Sarah croit même voir ses yeux devenirs aussi noirs que la nuit, mais le phénomène passe très vite. Un long soupir s’échappe alors de ses lèvres.
— Mes yeux aveugles sont le témoignage de la punition qu’elle m’a imposée.
— Quoi !? s’écrie Sarah. Ta cécité a été causée par ta mère ?
— Oui.
Complètement atterrée par l’annonce de son amie, Sarah l’encercle de ses bras et la serre fortement contre elle. Pendant un long moment, toutes deux partagent en parfaite synchronisation les soubresauts de leurs corps transis par l’émotion déclenchée par la profonde injustice subie par Ava. Lorsque leurs corps se séparent, l’adolescente ne peut détacher son regard de celui de son amie, et ce même si un flot de larmes coule sur ses joues.
— Comment a-t-elle pu te faire une telle chose ? demande-t-elle dans un souffle.
— Elle a dit que je ne voyais pas ce qui était important pour notre famille et que mes yeux ne devaient plus corrompre ma foi. Elle a insufflé la noirceur en moi en espérant me faire adhérer à ses projets.
— Que veux-tu dire par là ? Elle a utilisé une substance chimique ?
— Non. Elle a utilisé une magie tirée du livre que tu as vu dans mes mains sur le tableau. Cet ouvrage est vraiment monstrueux, tu ne peux même pas savoir à quel point.
— Pourquoi tu es restée auprès d’elle si tu ne partageais pas ses convictions ?
— Il est impossible de fuir une personne comme ma mère, crois-moi. Plusieurs personnes ont essayé, mais une seule a survécu à ce jour.
— Tu connais cette personne ?
— Pas encore totalement, mais j’espère y parvenir.
— Si c’est ta cécité qui t’en empêche, je suis prête à t’aider. Cette personne habite-t-elle près d’ici ?
— Sarah, c’est toi qui dois ouvrir les yeux. Si je te dis que notre rencontre n’était pas un hasard ce matin, cela t’éclaire un peu ?
Prise d’un étourdissement suite à la dernière affirmation d’Ava, Sarah sent ses jambes devenir molles. Autour d’elle, les formes deviennent vaporeuses et elle sent son corps glisser vers le sol. Près d’elle, un cri de désespoir masque le bruit de sa tête qui percute les lattes de bois du plancher.
— Sarah !
***
Lorsqu’elle reprend conscience environ une heure plus tard, Sarah ouvre les yeux sur le plafond d’une pièce plongée dans la douce lumière projetée par un magnifique lustre accroché au plafond situé à plusieurs mètres d’elle. Encore dans les vapes, elle ne perçoit pas immédiatement la présence de la main sur son front, mais un mouvement subtil de cette dernière lui provoque un frisson. Elle réalise alors qu’elle est étendue sur un immense fauteuil, sa tête posée sur la cuisse d’Ava, dont la main lui caresse à présent les cheveux. Un instant, elle songe bondir hors de sa portée, mais un nouveau frisson la maintien dans sa position.
Une pensée la torture : pourquoi se sent-elle aussi bien à ses côtés malgré tout ce qu'elle vient d'apprendre ?
30 commentaires
Lyaure
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cedemro
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La Plume d'Ellen
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