Fyctia

Le train ne semblait pas vouloir arrêter sa course folle, hypnotisée par le paysage presque flou, je ne pouvais pas détacher mon regard de la fenêtre.

Les écouteurs vissés dans les oreilles, j'appréciais la musique qui pulsait doucement et résonnait dans mon corps.

Si mon père était là, il aurait levé les yeux au ciel et se serait exclamé "Encore une de tes musiques assourdissantes !", je lui aurait répondu qu'il ne connaissait pas la "bonne" musique et qu'il n'avait rien à redire puisqu'il écoutait tout le temps ces chansons des année soixantes qui me donnaient la chaire de poule...

Après ça nous aurions mangé des crêpes bananes/chocolat en signe de réconciliation.

Mais ça, c'était avant que ma mère ne décide qu'après huit années de silence radio, elle aimerait rattraper le "temps perdu" et que je la rejoigne en Bretagne pour les vacances d'été.

J'avais lutté contre mon père, qui optimiste, m'avait dit que ça me ferait du bien de la revoir...mais j'avais peur de ne plus reconnaître la femme qui avait été un jour ma mère et qui était partie car elle se sentait "prisonnière" - et aussi, je l'avais appris par la suite, parce qu'elle entretenait une relation très "intime" avec son prof de Yoga...

J'avais au moins réussis à négocier le trajet en train, mon père avait voulu m'y emmener en voiture mais étant avocat au barreau de Paris - rien que ça - il avait du travail...

Bon, je n'y était pas allée sans arrières pensées, mon père m'avait promis qu'a la fin des deux mois de vacances chez ma"mère" je recevrais un ordinateur portable flambant neuf pour remplacer l'épave qui trônait sur mon bureau depuis que j'étais en primaire.

Mais j'y avais mis mon véto, si jamais elle essayais de me convertir à quoi que ce soit de louche, je retournais à Paris illico Presto...

Je posais ma tête sur la vitre en soupirant, envoyant un Smiley qui vomit à mon père, faute de celui qui se suicide....il osait me répondre avec un pouce en l'air !

En vérité, j'étais sûre qu'il avait saisi l'occasion que ma mère ai une pulsion de maternalisme, pour pouvoir se taper la nouvelle secrétaire du bureau.

Je ris intérieurement car je savais que mon père était un homme à femmes, il aimait flirter et papillonner, depuis ma mère, il ne s'était pas remarié.

Je m'assis plus profondément dans mon siège et soupirais : encore une heure pour rejoindre la pointe de la Bretagne, et une autre pour atteindre le coin paumé de Bresyrick, ma mère devait m'attendre à la gare et m'emmener chez elle en voiture, son nouveau mari et les enfants de celui-ci, un garçon de dix-sept ans et une fille de quinze ans nous y attendraient.

Je soupirais, je serais donc l'aînée de cette joyeuse famille...

Je m'enfonçais un peut plus dans le fauteuil moelleux de première classe, savourant les derniers instants qui me restaient avant de revoir celle qui m'avait mis au monde... depuis tout ce temps.

Mon telephone vibra, je souris en voyant le nom de Derrick, mon petit ami, s'afficher sur l'écran. Un beau blond aux yeux verts avec qui je sortais depuis quelques mois. Il devait savoir que je prenais le train aujourd'hui...

Depuis quelques temps, il s'était montré distant avec moi pour une raison qui m'échappait, mais avec mes examens et mes soirées aux beaux arts, à peindre la future exposition des Tuileries avec mes amis étudiants en art, j'avais moins de temps à consacrer à mon couple, même si j'etais très proche de Derrick.

J'ouvris le message et commençais à sourire bêtement comme je le faisait toujours lorsqu'il s'agissait de lui, mais je me figeais bien vite quand je me rendit compte de la teneur du message.

Je me frottais l'oeil en me persuadant que j'avais du mal lire, j'étais un peu fatiguée ces dernier temps...

Je relis donc le message, mais celui-ci me fit autant de mal que la première fois, de mon oeil valide, je pus lire avec horreur les mots qu'il m'avait adressé. Ça avait mal commencé, il ne m'appelle jamais par mon prénom....d'habitude...

" Elerina,

Je pensais que tout ce que nous avions vécu ensemble pourrait nous être bénéfique, je me trompais.

Comme je croyais t'aimer assez fort pour pouvoir être ton oeil gauche...tu n'as jamais voulu que je te vois sans ce fichu cache-oeil.

Tu ne veux pas que je dois ton soutien, ton pilier, celui qui te protèges...mais je me suis rendu compte que tu étais une étoile, que jamais je ne pourrais rester à tes côtés sans que cela nous fasses du mal. Je t'empêche d'avancer, de progresser dans tes rêves, je suis un boulet que tu traîne alors que tu pourrais déployer tes ailes pour pouvoir t'envoler.

C'est pour cela que je te demande de rompre, ce n'est pas de ta faute, c'est uniquement de la mienne, tu n'as rien à te reprocher.

Je t'aime mais je dois te quitter.

Derrick."

La douleur, au fil des mots que je lisais et relisais depuis de longues minutes, laissa place à une sensation de vide.

Ce vide abyssal qui commençais à recouvrir tout. La colère, la haine, la tristesse...

Puis soudain, je ne ressentis plus rien. Mon esprit, en quelques secondes, se persuada que ce qui venait de se passer, de ce que je venait de lire, n'était pas si grave.

Un sourire confiant étira mon visage, m' étonnant moi même d'une si grande indifférence alors que j'aimais sincèrement Derrick...ou peut-être pas tant que ça...

Je fronçais les sourcils, essayant de me décrire tous les sentiments que j'éprouvais pour mon ex, mais je ne percevait à chaque fois qu'un sombre gouffre. Je haussais les épaules et décidais de ne plus y penser.

Après tout, ce n'était qu'un garçon.

J'avais du m'endormir car lorsque je levais les yeux, j'aperçus soudain une controleuse me dévisageait avec douceur.

- Nous sommes arrivés Mademoiselle.

Je soupirais en espérant de toutes mes forces que tout se passe bien, avec la sensation désagréable d'avoir oublié quelque chose d'important.

Je descendis sur le quais, l'incertitude devait se lire sur chacun de mes mouvements, je ne savais pas ce qu' j'allais trouver.

En sortant de ce train, je sentais que ma vie prenait un tournant décisif, mais le pourquoi de cette sensation m'échappait totalement. De longs frissons me remontaient l'échine et je sentais ma tête bourdonner de milles pensées sans pour autant savoir de quoi il s'agissait.

Je trainais ma lourde valise, mon sac en bandoulière rebondissait sur ma hanche à chaque pas. Mon ventre se serra douloureusement en ne voyant aucun signe d'Aliénor, ma mère, et me demandais si je pouvais reprendre rapidement le train pour repartir à Paris, la peur me donnant autant de courage qu'un escargot.

La foule qui m'entourait n'était pas très épaisse, je sentais néanmoins de nombreux regards se fixer sur moi et sur mon cache-oeil, une curiosité malsaine que je supportais tous les jours depuis longtemps.

Je fermais les yeux quelques instants, prise de vertiges, et recalait instinctivement mon cache.

Les jambes encore en coton et le dos en miette, je m'assis sur une petite place, attendant patiemment ma génitrice.