Fyctia

D'ici quelques chapitres, vous saurez comment Julien a découvert que j'étais une fille qui écrivait des livres. Pas de spoiler, pas ici. Mais il y avait cette dédicace. Incomplète. Celle dont Julien parlait dans son message du 14 janvier quand il m'avait proposé de se revoir pour que je puisse la terminer.

Lorsqu'il avait acheté mon livre, Julien avait absolument voulu une dédicace. La plaie. Je déteste les dédicaces. Il faut toujours trouver un truc différent à écrire. Un truc personnalisé. Et le trouver vite en plus. Mais une dédicace sur-mesure, ça ne s'improvise pas sur un coin de table. J'aurais clairement pu me contenter de lui écrire le classique : Pour Julien – virgule, à la ligne, saut de ligne, saut de ligne – Stella. Mais déjà, je n'en avais pas envie. Ensuite, c'était Julien, donc on ne pouvait pas me demander une dédicace de trois mots alors que je lui écrivais des lettres de quatre pages. Enfin, j'avais ce truc dans mon cœur. Ce truc pas bien identifié. Une intuition, appelez ça comme vous voudrez. Que les mots que j'allais écrire seraient probablement la dernière chose que je lui laisserais de moi quand il serait parti. Il était encore là pourtant. Pas parti. Pas porté disparu. Pas volatilisé dans une autre galaxie. Et il ne donnait aucun signe de vouloir s'en aller. Mais je savais que je devais se concentrer pour écrire cette dédicace à l'homme qui se souviendrait de moi comme de la fille du livre. Celle qui l'avait aimé de toutes ses forces, mais qu'il avait dû rejeter faute de pouvoir l'aimer en retour.

J'avais totalement oublié ce que j'avais commencé à écrire dans la première partie de ma dédicace. Septembre c'était loin. Je me souvenais juste que Julien m'avait dit « C'est loooong » quand il était sorti de la douche en me voyant assise par terre, en train d'écrire sur le rebord de la table de nuit. « Je n'en suis même pas à la moitié ! » avais-je râlé. Mais le stylo ne marchait plus. Julien devait partir au travail et moi à l'école. Alors il m'avait dit « Tu la termineras la prochaine fois ». Je m'étais dit que ce n'était pas très grave, que je reprendrais ma dédicace là où je l'avais interrompue, la semaine prochaine, dans pas longtemps. Sauf qu'il n'y avait jamais eu de prochaine fois. Parce qu'après ce matin-là, après ce dernier baiser volé devant la porte du 21 de la rue Véron, Julien était parti et la saison 3 de notre relation s'était terminée.

La dédicace commençait comme ça :

Je ne connaissais pas grand-chose à la vie quand j'ai écrit Ellie Vermuse. Je me disais que j'inventais des histoires pour vivre d'autres vies que la mienne. Tu es et resteras la première personne qui aura réussi à me faire me sentir vivante au point que j'aie envie d'y vivre à nouveau. Simon et Ellie sont une utopie

— Dans quel bourbier je me suis mise toute seule... j'ai soupiré, dépitée. J'étais vraiment partie en pleine déclaration et je suis en plein milieu d'une phrase.

Julien souriait.

— En plus, je vais l'écrire en sachant que ta mère va la lire.

— Non mais ne pense pas à ça. Écris-la pour moi, m'a répondu Julien en me tendant un stylo.

Il était vert et blanc, le stylo. Du genre de ceux qu'on nous offre en cadeau aux événements à Porte de Versailles sur le stand d'une agence immobilière ou d'une entreprise qui pose des fenêtres. C'est Julien qui avait pensé à le prendre. Juste avant qu'on se retrouve, il m'a envoyé un message pour savoir si j'avais un stylo bleu. Mais je n'écris jamais avec des stylos bleus. Toujours noirs. Comme de l'encre de chine. Julien aussi n'avait que des stylos noirs chez lui. Alors je lui ai dit Ce n'est pas très grave, comme ça on se souviendra qu'elle a été écrite en deux fois.

***

Je lisais et relisais ce Simon et Ellie sont une utopie en me demandant comment terminer ma phrase autrement qu'en faisant un parallèle entre l'histoire de mes personnages et mon histoire avec Julien. Je ne savais pas pourquoi il était revenu. Je ne comprenais pas le sens de ces étranges retrouvailles. Et je ne voulais pas laisser mon cœur retomber dans le piège des précédentes fois. Mais malgré toute la peine qu'il m'a faite, Julien était et resterait pour toujours mon Simon dans la vraie vie. Et s'il y avait bien un endroit où il fallait le lui dire, c'était dans cette dédicace que je devais finir.

Après avoir parcouru chaque recoin du plafond pour trouver l'inspiration, mes yeux étaient tombés sur ceux de Julien. Je mordillais le capuchon du stylo, mon livre ouvert devant moi. Je me suis mise à le regarder et à sourire bêtement. Je savais d'avance que je perdrai à ce jeu-là. Parce que Julien me regardait aussi. En souriant bêtement aussi. Il me devinait m'appliquer à choisir les bons mots dans ma tête avant de les broder sur le papier. J'étais tellement concentrée. Julien savait que plus rien n'existait autour de moi. Et il avait raison. Je ne pensais qu'à cette page blanche à remplir. Cette dédicace que je voulais lui écrire. Cette missive que je lui adressais, comme si ces mots étaient les derniers qui nous relieraient quand la vie aura décidé de nous séparer.

Simon et Ellie sont une utopie, c'est vrai. Simon surtout, parce que je crois que tu as pu retrouver quelques bouts de moi en Ellie. J'ignorais tout de ce à quoi pouvait ressembler une relation – avec un garçon je veux dire. Au moment où l'on vivait ce que l'on vivait tous les deux, je n'avais jamais fait le rapprochement entre Simon et toi. Et c'est finalement quand ça s'est terminé que j'ai réalisé à quel point tu avais été spécial pour moi comme il l'avait été pour Ellie.

J'aimerais que cette dédicace ne soit pas la dernière, mais si ça devait l'être, fais-moi la promesse de ne jamais oublier que tu as changé la vie de quelqu'un.

Julien venait de finir de lire la dédicace. Je le savais parce que ses yeux étaient tout en bas de la page. Ils n'avançaient plus de gauche à droite. Ils ne bougeaient plus de haut en bas. J'attendais qu'il me parle, qu'il me dise ce qu'il en pensait, si la dédicace était bien, si elle lui plaisait. Ses yeux ont fini par quitter le livre pour retrouver les miens.

Merde. Est-ce qu'il pleure ?