lexie9_11 La Fille du livre ~ Chapitre 1.11 🍻 ~

~ Chapitre 1.11 🍻 ~

Le bar était chaleureux. Vivant. Peuplé d'humains joyeux. On s'est faufilé l'un derrière l'autre pour échapper aux embouteillages de l'entrée. Je n'ai pas vu de place libre, mais du haut de son mètre quatre-vingts, Julien a repéré une petite table pour deux, tout à gauche. À côté des jeux de société inconnus au bataillon, du plateau d'échecs ou de dames en bois clair et juste en-dessous de la télé qui ne servait à rien. La grande télé figée sur le message d'erreur, vous savez ? Je me suis glissée sur la banquette, Julien sur la chaise. On était là, quatre mois plus tard au PMU, l'un en face de l'autre, dans cette configuration inédite qui rendait impossible de deviner la tournure que prendrait cette soirée.


— J'ai pris ton livre, a commencé Julien en ouvrant son sac à dos.


— Je ne pensais pas que tu aurais continué à le lire, j'ai avoué au moment où il l'a déposé entre nous deux sur la table.


— Je ne l'aurais jamais lu si je ne te connaissais pas, mais je voulais quand même le finir.


— Et c'est le terminer qui t'a donné envie de m'écrire ?


— Oui. Enfin, je ne sais pas trop.


— Mais quand tu le lisais, tu savais que tu finirais par m'envoyer un message ?


— Honnêtement non... Tu sais je ne réfléchis pas vraiment.


Quel cœur de pierre celui-là.


— Du coup j'ai des questions, a annoncé Julien.


— Ah, donc on commence directement par les questions ? je lui ai demandé en ne sachant pas si on allait revenir sur la manière dont ça s'est terminé ou s'il comptait passer sous silence les derniers mois qui s'étaient écoulés.


— Tu sais déjà ce que tu veux boire ? m'a demandé Julien après avoir réussi à attraper à la volée un serveur qui passait par là.


Julien allait prendre une bière. Julien prend toujours de la bière. Ses deux préférées : la Chouffe et la Triple Karmeleit. Non. Tripel Karmeliet. Je ne sais jamais comment ça s'écrit. Il a pris une Stella Artois. Ou un truc comme ça. Je n'ai pas bien entendu. Mais j'ai intercepté mon prénom entre Sting à la radio et les éclats de rire de la table à côté.


— Je t'ai beaucoup retrouvée en Ellie, a poursuivi Julien.


— Ce n'est pas une question.


— Non, mais je voulais te le dire, parce que je me suis demandé où était la frontière entre ton imagination et la réalité.


— J'ai inventé beaucoup de choses, mais il y a aussi des petits bouts de mon vécu.


— Seulement des petits ?


— Des gros morceaux peut-être, j'ai admis.


— Il y a un passage qui m'a interpellé...


— Je sais, l'ai-je coupé avant qu'il n'ait le temps de terminer. Mais pas ici.


Je savais exactement le passage auquel il faisait référence. Je m'étais préparée à ce qu'il veuille m'en parler, de ces choses qui me sont arrivées quand j'étais plus jeune. Julien ne m'avait jamais posé de questions frontales ; il savait que le sujet était difficile et il ne voulait pas que ses interrogations passent pour de la curiosité mal placée. En voyant mon regard fuyant, il a refermé de lui-même cette sombre porte, comme pour me protéger des monstres que je ne pouvais pas affronter.


— Au moment où tu l'as écrit, tu savais déjà qu'il y aurait un tome 2 ?


— Pas au tout début, j'ai répondu, rassurée de voir que Julien avait compris.


— Tu l'as commencé ?


— Le tome 2 ? Oui je dois avoir 80 pages quelque part sur un Word, mais je n'y ai pas touché depuis des mois...


— Pourquoi ?


— Déjà par manque de temps. Il faudrait que je puisse y consacrer des heures tous les jours, et avec les cours et l'école, ce n'est pas trop compatible.


— Ensuite ?


— Ensuite, je n'ai pas trop la tête à écrire sur cette histoire-là.


— Tu aurais envie d'écrire sur quoi ?


— Je pense que j'aurais du mal à imaginer des personnages qui ne nous ressemblent pas, j'ai avoué.


— Rien ne t'en empêche... a répondu Julien, comme pour me donner son approbation. D'écrire sur lui. D'écrire sur nous.


— Mais je ne sais pas comment elle se termine, l'histoire de ces deux-là.


Blanc. Long blanc.


Puis le Perrier et la bière sont arrivés à la rescousse. C'était bien une Stella Artois.


— Sache que je ne suis pas du tout à l'aise qu'on soit en train de faire ça.


— De faire quoi ?


— Parler de mon livre.


— Je ne comprends vraiment pas pourquoi.


— Déjà, je ne voulais pas que tu le lises.


— Mais pourquoi m'avoir caché pendant tout ce temps que tu écrivais ?


— Parce que je ne voulais pas que tu aies cette vision de moi.


— Quelle vision ?


— Celle d'une fille fragile au passé compliqué. Et aussi, je suis désolée si tu as l'impression que je t'ai caché des choses.


— J'aurais préféré que tu me le dises, c'est sûr, mais je ne t'en veux pas.


Mon regard était de nouveau fuyant. Pas confortable la conversation. Pas confortable du tout.


— Je ne t'en veux pas, a répété Julien en essayant d'attraper mes yeux.


— On s'est rencontré à une période de ma vie où j'essayais de laisser derrière moi celle que j'étais. J'avais même changé mon pseudo sur insta pour que tu ne saches pas mon nom de famille.


— Mais je le connaissais ton nom, a répondu Julien d'un air interloqué.


— Tu l'as su tard et tu avais réussi à me l'extorquer uniquement parce que tu en avais eu besoin pour prendre les places du match.


— Je ne comprends pas pourquoi tu as honte de qui tu es ou de qui tu as été. Je pense que j'aurais préféré que tu me racontes tout ça. C'est étrange pour moi de découvrir que je ne savais finalement rien de ton passé.


— Je ne voulais pas te mentir, mais je sais que tu veux être avec une fille normale et tout ça ne fait pas de moi une fille normale.


— Qui t'a dit que je voulais être avec une fille normale ?


— Je ne sais pas. J'ai toujours pensé que, si tu devais avoir une relation pour de vrai, ce serait avec une fille légère, insouciante, avec qui c'est facile parce qu'elle n'a pas de problème.


— On a déjà eu cette conversation toi et moi, tu sais ce que je pense des gens normaux.


— Qu'ils sont ennuyants ? j'ai tenté.


— Exactement. Ensuite ?


— Ensuite quoi ? j'ai répété en ne voyant pas où il voulait en venir.


— Tu as dit « Déjà, je ne voulais pas que tu le lises ».


— Ah. Ensuite, je n'écris plus du tout comme ça et je n'aime pas l'idée que les gens qui me découvrent à travers ce livre puissent se dire que la fille qui l'a publié il y a cinq ans écrit toujours de cette manière aujourd'hui.


— Ça je comprends, et c'est vrai que ton écriture a beaucoup changé.


Les lettres. C'est comme ça que Julien sait que je n'écris plus comme avant.


— Mais c'est facile à résoudre.


Je l'ai interrogé du regard.


— Tu as juste à en écrire un autre.


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