Fyctia
~ Chapitre 1.3 ~
Bonsoir Sté,
J'ai hésité entre écrire ici ou t'envoyer une lettre, mais je préfère garder un peu de spontanéité et espérer que tu voies mon message assez rapidement, voire peut-être que tu y répondes. Donc j'écris dans mes notes avant de copier-coller parce que je m'en voudrais trop si j'envoyais un demi-message par inadvertance.
Je viens de terminer ton livre. Ça m'a pris beaucoup de temps, c'est vrai. Je le lisais au travail, petit passage par petit passage, puis je n'ai plus avancé pendant plusieurs semaines. Je l'emmenais toujours avec moi quand je voyageais, mais il restait simplement dans ma valise. Je t'ai lue à Marseille. Puis j'ai encore arrêté. Le week-end dernier, je suis allé à Bordeaux et j'ai lu pendant trois heures d'affilée dans le train. Je n'avais pas fait ça depuis très longtemps ! Je viens de finir tes lignes aujourd'hui. C'est très beau, je te voyais et t'imaginais à travers chaque page. Je me demandais systématiquement à quel point cette histoire était autobiographique. J'ai envie de te poser pas mal de questions... Après avoir lu les remerciements, je suis allé dans mon petit meuble japonais prendre ta dernière lettre que je viens de relire. Ton dessin est magnifique, même l'enveloppe est belle... Je m'en veux tellement de t'avoir blessée et délaissée de la sorte. Tu mérites tellement d'amour, mais ce n'est pas quelque chose que j'ai réussi à te donner. Je ne suis pas ton Simon, mais j'espère que tu trouves quand même quelques analogies entre lui et moi.
Qu'est-ce que tu dirais d'aller boire un verre dans les semaines à venir, et que chacun rentre chez soi ensuite ? Juste pour échanger, te parler de ton livre, te poser mes questions (sans feuille dans ma poche arrière) et que tu termines ta dédicace incomplète. Ma mère veut absolument que je lui prête mon exemplaire, elle me l'a déjà réclamé deux fois.
J'ai essayé de coller ce texte sur Instagram, mais il est trop long, donc je te l'envoie ici. Je ne saurai pas si tu l'as vu, tant pis pour moi.
En tout cas j'ai hâte de lire ta suite.
Merci et pardon.
Julien
***
Stella
Quelques heures plus tôt
Samedi 14 janvier 2023
Ce 14 janvier a tout d'un samedi d'hiver ordinaire. Le froid. Le souffle du vent. La bruine humide. Et la solitude des week-ends qui me tient compagnie depuis quelques mois.
De fines gouttes de pluie s'échouent sur la Seine. Je m'en suis aperçue en traversant la passerelle qui relie le Palais de Tokyo au musée du Quai Branly. Je connais bien le quartier, j'y ai vécu deux ans auparavant. Chaque fois que je reviens, c'est la mallette des souvenirs que j'ai emmagasinés qui s'ouvre à nouveau. C'est quand je vivais ici que j'ai rencontré le garçon au cœur de pierre. En passant devant le grand immeuble du 54, quai Branly, je me suis remémoré le jour où je l'ai vu pour la première fois. C'était au beau milieu de l'été dernier. Il était venu passer la nuit avec moi alors qu'on ne se connaissait que depuis 48 h. Quand mes yeux étaient tombés sur les siens en lui ouvrant la porte, je m'étais dit que...
Ah.
Demande exceptionnelle de report du sujet.
La pluie vient de s'intensifier. De grosses gouttes se fracassent sur le goudron. Et la foudre d'un orage menaçant est sur le point d'éclater. Mon pas cadencé me force à ne pas m'éterniser devant la façade de mon ancien immeuble. C'est sûrement bien comme ça. Mieux vaut ne pas rouvrir la mallette de nos souvenirs. Ils me font encore trop souffrir.
En me réfugiant dans le métro, j'ai reçu un texto de Jade, une amie de ma classe. Elle me demande si je me suis enfin décidée à me remettre sur Tinder. Ça fait des semaines qu'elle me tanne pour que je voie des garçons. Jade est convaincue que c'est ce dont j'ai besoin pour oublier le fantôme de Julien. Mais chaque fois que je fais l'effort de rencontrer un nouvel homme, je ne peux pas m'empêcher de le comparer au seul avec qui je voudrais être. Ça a déjà donné lieu à des situations un peu bancales. Comme ce soir de décembre où je me suis retrouvée dans un bar sur la place de l'église des Batignolles. J'avais rencontré un garçon qui cochait toutes les cases du boyfriend parfait. 29 ans. 1 m 89. Sportif. Ne fume pas. Ne fait pas de fautes d'orthographe (très important). Travaille dans l'actuariat. Regarde le foot. Vie stable. Objectivement drôle. Attentionné. Respectueux. On était resté quoi ? Trois heures dans ce bar ? La conversation avait été fluide et intéressante. Il avait effleuré mes doigts plus d'une fois et je ne l'avais pas repoussé. Mais, au moment où il m'avait proposé qu'on termine la soirée chez lui, j'avais pris peur. J'avais passé un bon moment, et je n'avais pas pensé à Julien une seule fois en l'espace de trois heures — un record. Mais l'idée que cette conversation dans un bar puisse basculer en rapprochement physique dans un lit m'avait fait paniquer. J'étais rentrée chez moi au beau milieu de la nuit. Et dans un moment de faiblesse ou d'égarement, j'avais envoyé un message à Julien sur le chemin du retour.
Je sors d'un date. Il était gentil, drôle, affectueux. Mais je rentre chez moi, et le seul avec qui j'aurais envie de dormir ce soir, c'est toi.
Mais comme on ne se parlait plus depuis des mois, il ne m'avait pas répondu.
***
Jade : Alors, de retour sur Tinder ?
Moi : Pas encore.
Jade : T'abuses, tu attends quoi ?
Moi : Je ne sais pas. On sait toutes les deux comment ça finit à chaque fois.
Jade : Laisse-toi une chance que ça puisse être différent. Je suis vraiment sûre que ça te changerait les idées.
Moi : Je pense que je ne suis pas prête.
Jade : Ça fait quoi ? Quatre mois ? Tant que tu continueras à chercher une copie de Julien dans un autre, tu ne trouveras rien tu sais.
Moi : Je suis découragée rien que d'avoir à swiper.
Jade : Tu te cherches des prétextes là.
Moi : Non mais c'est vrai. Entre ceux qui vont me demander « T'es dispo ce soir ? », les « Salut, ça va ? », et les conversations qui vont s'essouffler au bout de cinq messages.
Jade : Tu sais ce que j'en pense.
Moi : Ton Julien à toi est une exception.
Jade : Bon et JB ça donne quoi ?
Moi : Ça va nulle part. Je l'aime bien, mais on se parle depuis des mois et je n'ai toujours rien fait pour qu'on se voie.
Jade : Propose-lui !
Moi : On verra. Je rentre chez moi là. Je t'écris tout à l'heure.
2 commentaires
Valentina Jenkins
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Il y a un an
lexie9_11
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Il y a un an